Algérie

Les Algériens, les Russes et le dossier Djezzy : Retour sur «une affaire politique»



«Rien ne peut se faire sans les télécommunications, nous espérons trouver une entente auprès de nos collègues algériens», a déclaré en substance le représentant du milieu de l'entreprenariat russe, mercredi dernier, à l'hôtel Hilton, à l'occasion de la tenue d'un forum d'affaires.

La visite du président russe, Dmitri Medvedev, à Alger, mercredi dernier, a été très courte. Elle a duré de 10 h 30 à 18 h avec un long déjeuner au milieu. A peine 8 heures de temps certes, mais elle a servi à reconfirmer des enjeux stratégiques entre les deux pays. Les observateurs estiment en effet, qu'elle a été programmée pour «(re)confirmer des enjeux énergétiques et d'armement». Il est connu que les Russes veulent depuis quelque temps développer et approfondir les questions énergétiques avec l'Algérie, un pays qu'ils qualifient de «pivot» dans la région du sud de la Méditerranée. «Ceci pour des raisons claires de géopolitique et de géostratégie». L'on rappelle aussi que Moscou est un fournisseur historique de l'Algérie en matière d'armement. «Les gros contrats d'armement (7 milliards de dollars) ont été signés au temps où Poutine était président de la fédération», tiennent aussi à rappeler des sources fiables. «Pour cette fois, avec le président Medvedev, il était question de faire le point», ajoute-t-on.

Les regards étaient pourtant braqués ailleurs que sur ces questions stratégiques d'énergie et d'armement. Les observateurs n'avaient en effet d'oreilles que pour le dossier Djezzy. Mais contrairement à ce que beaucoup prétendent, les télécoms n'avaient pas trop leur place dans les discussions qui ont été menées entre les représentants algériens et russes, que ce soit au plus haut niveau de l'Etat, au niveau ministériel ou alors à celui des représentants des milieux d'affaires. Du moins du côté algérien. En effet, les responsables algériens ont préféré taire les ardeurs des Russes qui espéraient tirer profit de la visite de leur président pour ouvrir le dossier Djezzy. D'autant qu'il semble qu'à Alger, l'on s'est rendu compte de la présence du représentant de Vimpelcom dans la délégation russe qu'à la dernière minute. «Il est venu se greffer sur cette mission à la dernière minute, il pensait qu'il était possible de discuter du dossier mais il n'en a rien été», nous disent les mêmes sources. Nos interlocuteurs rappellent que «la visite du président russe à Alger était, elle, programmée depuis très longtemps alors que la cession des actifs d'Orascom Telecom Holding (OTH) à Vimpelcom n'a eu lieu que ces derniers jours».

«Il y a des problèmes sérieux»

Les Russes ont quitté l'Algérie en ayant à cÅ“ur ce dossier avec l'espoir qu'il sera rouvert «dès que possible». Au «il est temps aujourd'hui, vu les opportunités d'affaires qui existent, de développer ensemble des partenariats» du ministre de l'Industrie, de la PME et de la Promotion des investissements, Mohamed Benmeradi, le responsable russe soulignera ainsi que «rien ne peut se faire sans les télécommunications, nous espérons trouver une entente auprès de nos collègues algériens». Le propos n'a donc rien d'anodin. Bien au contraire, son auteur a tenté, entre autres, de décrire quelque peu l'état d'esprit de ses «collègues algériens» dès lors que ses compatriotes russes ont tenté de profiter de la présence de leur président pour soulever le problème de la cession de Djezzy, filiale d'Orascom Telecom Holding (OTA). «Nous n'avons pas abordé la question», a répondu mercredi dernier Benmeradi à la presse présente au forum d'hommes d'affaires algéro-russes.

«Les Algériens n'ont pas voulu parler des télécoms, ils ne les avaient pas inscrits dans la feuille de route des discussions avec leurs homologues russes», nous ont affirmé des sources proches de la présidence de la République. «Il y a des problèmes sérieux dans Djezzy, on ne peut en parler aujourd'hui», est la phrase clef que les responsables algériens ont lâchée pour faire reculer l'empressement des Russes à ouvrir ce dossier. L'on n'hésite pas un seul instant à préciser que «les autorités algériennes ont compris que Sawaris veut absolument vendre Djezzy, il y a essayé avec les Emiratis puis avec les Sud-Africains pour faire pression sur elles, mais ça n'a pas marché», nous disent les mêmes sources. L'opérateur égyptien pensait ainsi «(s') arracher une sortie honorable de la crise qui secoue son entité, comme il l'a fait en vendant la cimenterie à Lafarge». Djezzy est, explique-t-on, «une affaire que les autorités ont inscrite dans la liste des affaires qui ont engendré des problèmes de fond, de fisc, de transferts illicites même en passant par la place Port Saïd, vu l'impossibilité de transférer par la banque…». Autre grief retenu contre l'opérateur, «il n'a jamais voulu fabriquer un seul produit, il faisait tout à l'étranger, particulièrement au Liban, de la conception des messages publicitaires aux cartes de visites !». Aux yeux de nos sources, «c'est pour lui une sous-traitance très rentable du point de vue sonnant et trébuchant». Pis, «l'opérateur n'a jamais déclaré des options qu'il a mis en vente comme flexy par exemple», fait-on remarquer. Les explications de «cet empressement de vouloir à tout prix en finir avec Djezzy» vont plus loin. «Les Russes savent que ce qu'ils ont acheté comme actions d'OTA dans le monde sont des centres de perte pour lesquels ils doivent effectuer un redressement et seul Djezzy Algérie s'inscrit dans un travail de profit».

Ces responsables qui parlent gratuitement…

Nos sources proches de la présidence de la République remontent encore à plus loin. «L'installation de Djezzy en Algérie s'est faite sur une décision politique. On a bien voulu qu'il rentre et il s'est développé parce qu'on l'a aidé», nous dit-on avec cette précision: «un peu comme l'affaire Khalifa…» «L'Algérie est le seul pays au monde qui a accordé une préférence et des facilités d'expansion à un opérateur étranger par rapport à l'opérateur historique public qui est classé au 2e rang, non pas parce que le marché l'a sanctionné mais c'est le politique qui l'a bloqué et en a décidé ainsi !», rappelle-t-on avec une grande amertume. «Un grand nombre de responsables algériens - qu'ils soient dans le public ou dans le privé - parlent gratuitement, eux et leurs familles. L'entrepreneur étranger avait compris tout au début», continuent nos interlocuteurs de dire.

 Le dossier Djezzy revient entre les mains des politiques pour être encore une fois traité, cette fois non pour son ouverture mais pour sa fermeture qu'on qualifie d'emblée «de délicate et de sensible». «Un traitement politique, technique, financier ?», interrogent nos sources pour répondre «il y a des rapports de force, des pressions, il y a ce droit de préemption que le gouvernement tente de faire valoir… On attend de voir». Le dossier Djezzy revient aussi à la surface avec toutes les difficultés et «la prise de conscience» qu'il a provoquées au niveau des plus hautes instances du pays. N'est-ce pas le chef de l'Etat lui-même qui en a parlé le 26 juillet 2008 à la Coupole d'Alger, lorsqu'il a reçu les P/APC de l'ensemble du pays. Il semblait subitement se rendre compte qu'un homme d'affaires étranger avait réussi à renflouer les caisses de son entreprise «qui était au bord de la faillite», note-on, et engranger des milliards de dividendes grâce à l'argent du Trésor public. «Il a ramené 700 millions de dollars pour engranger chaque année 2 milliards de dividendes. C'est un piège, c'est notre nez qui est cassé», s'est lamenté Bouteflika. «Si je prends la moitié (ndrl: de ce qu'il gagne), il restera toujours gagnant !», avait-il conclu. En dehors de ces questions de «souveraineté», ce qui en ressort de la visite du président russe à Alger ne semble pas important. «Tout le reste de ce qui a été discuté entre les Algériens et les Russes», disent nos sources, «ce n'est rien du tout !». L'on note que le président Medvedev n'a ramené avec lui que les responsables des entreprises publiques. «Disqualifiées quelque peu par les effets de la mondialisation, les entreprises publiques russes veulent - comme les nôtres d'ailleurs - faire peau neuve en tentant d'arracher des marchés pour bénéficier de nouveaux plans de charge», nous disent des sources du ministère de l'Industrie. «Ce sont les 21.000 milliards de dinars du plan quinquennal lancé en Algérie qui les poussent aujourd'hui à se déplacer en force à Alger, ceci pour tenter de s'inscrire dans la réalisation de projets qui leur permettront de se remettre à niveau, financièrement bien sûr !», indique-t-on.




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