Algérie

Les Algériens face à une élection sans vrais candidats



MIS EN LIGNE LE 27/05/2019 À 19:00
PAR BAUDOUIN LOOS
www.lesoir.be
C'est la confusion en Algérie alors que le peuple poursuit sa contestation. L'armée a voulu imposer des élections présidentielles le 4 juillet mais seuls deux inconnus se sont portés candidats.
Venue en force vendredi dernier, la police a empêché les manifestants de se réunir devant la Grande Poste à Alger, comme ils le faisaient toujours. ? EPA.
Le scénario qui se développe en Algérie se singularise par une extraordinaire originalité et un nombre étonnant de rebondissements. Depuis le 22 février, date des premières grandes manifestations à travers le pays contre la candidature du vieux président sortant grabataire Abdelaziz Bouteflika, les informations donnent le tournis : « Boutef »-la-momie a été démissionné le 3 avril par le chef de l'armée qui, à cette occasion, a dû jeter bas le masque et assumer le rôle politique prépondérant de son institution, d'ex-responsables militaires et civils ont ensuite été jetés en prison ainsi que plusieurs richissimes hommes d'affaires dans ce qui ressemble plus à une purge qu'à un changement de régime, la « rue » continue chaque vendredi à montrer sa puissante autant que pacifique résolution à venir à bout système, et enfin, il apparaît que les élections présidentielles que l'armée avait fixées au 4 juillet ne pourront pas se tenir comme prévu.
Samedi à minuit, en effet, à l'expiration du délai légal, le Conseil constitutionnel algérien a annoncé avoir enregistré le dépôt de deux seuls dossiers auprès de son secrétariat général, ceux d'Abdelhakim Hamadi et de Hamid Touahri, inconnus au régiment, si l'on ose dire. Le journal El Watan nous apprend que le premier est un « vétérinaire qui possède une usine de médicaments » et le second « ingénieur en aéronautique mais qui ne possède pas d'avion ». Mais, surtout, les Algériens ne les connaissent pas et ils ne franchiront sans doute pas les étapes légales comme l'obligation d'obtenir 60.000 parrainages d'électeurs ou 600 signatures d'élus. Exit donc les élections du 4 juillet.
Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major et virtuel président intérimaire, avait répondu au « Hirak » (mouvement populaire) en affirmant comprendre ses aspirations mais en réclamant le maintien de la légalité constitutionnelle. Il avait donc exigé, selon l'article 102 de la Constitution, que des élections présidentielles aient lieu le 4 juillet. Las pour lui, le « Hirak » n'en a cure : les Algériens continuent à manifester par millions tous les vendredis ? ils « vendredisent », comme ils disent avec humour ? poursuivant leur révolution joyeuse et pacifique malgré une répression policière qui se fait plus dure chaque semaine. Mieux : au fil des semaines, les manifestants se sont enhardis et, après avoir exigé le départ des responsables politiques, ils ont ajouté le nom de Gaïd Salah dans leurs slogans dégagistes. De quoi mettre du monde en émoi au sommet du pouvoir.
« En réalité, décode pour la Fondation Jean Jaurès José Garçon, une éminente spécialiste française, le régime ne sait que faire face à la politisation d'une société qu'il a toujours méprisée. Sauf à tenter de faire diversion en ressortant les ficelles éculées qui dénoncent la "main de l'étranger" et voient partout des "comploteurs" menaçant "l'unité et la stabilité" du pays. Comme si, embourbé dans ses conflits internes, il ne comprenait ni les implications du changement générationnel, ni la puissance des réseaux sociaux. Il est en outre d'autant plus réfractaire à toute idée de changement que des flux financiers énormes sont en jeu. Paniqué par l'installation du mouvement dans la durée, il tente de gagner du temps et navigue à vue, conscient qu'il n'a pas le choix. »
Cette armée, ces clans, n'ont pas abandonné la partie. S'ils vont devoir entériner le report des élections présidentielles, ce sera pour les organiser quelques mois plus tard, alors que les contestataires algériens, peu préoccupés par le vide constitutionnel qui s'annonce, veulent de leur côté mener à bien une transition sereine vers la démocratie. Mais leur feuille de route reste introuvable alors qu'ils ne semblent pas davantage réussir à désigner des responsables qui pourraient définir les étapes de la transition avec l'armée.
« Effectivement, l'évolution de la situation nous inquiète, nous dit d'Alger le docteur Salah-Eddine Sidhoum, opposant radical. Le peuple s'est soulevé et a montré la voie mais hélas, il n'y a pas de véritable élite intellectuelle et politique pour prendre le relais et présenter un projet démocratique en vue d'un changement du système politique pour aller vers un Etat de Droit. J'ai toujours dit que notre société était en avance sur ses "élites", ce qui est un drame ! » D'autant que « les vieux démons de l'extrémisme sont réveillés et mobilisés par les officines pour diviser les rangs de la Révolution populaire (?) Les risques de division ne sont pas négligeables. Nous essayons de contrer cette offensive tous azimuts. Cette situation profite bien sûr à l'oligarchie. »


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