Les Aïguades est le nom donné à une anse que Dame Nature a creusée dans le contrefort est du mont Gouraya. En vous y rendant par mer ou par route, vous succomberez volontiers à son charme. Lorsque les paquebots affrétés à la ligne Marseille-Béjaïa abordent la côte, les passagers sont tous sur le pont. Ils s’agglutinent devant les balustrades, subjugués par la magnificence des traits et des couleurs.Sur le fond d’une falaise abrupte, aux contours dinosauriens, les vacanciers regardent défiler des criques et des plages uniques en leur genre : pentes douces, mélange de rocaille et de végétation luxuriante qui plongent les pieds dans un plan d’eau limpide et où, ça et là, des récifs crèvent l’écume. Dans le décor, se succèdent M’cid El Bab, les Pierres Plates, Pertouze, Tamelaht… des plages dont les noms ne sont pas moins envoûtants, et qui demeurent intactes de toute agression perpétrée par la main de l’homme. Les lieux sont restés sauvages gardant leur beauté naturelle inaltérée. On explique cet heureux sort par la difficulté d’y accéder par voie terrestre. Seules les Aïguades, coincées dans la baie, entre le Cap Noir et le Cap Bouak, ont un accès aménagé. Une corniche creusée dans la roche à une hauteur de 25 à 30 m du niveau de la mer permet d’y aller à pied, les yeux dans la grande bleue, autrement dit du Cap Carbon jusqu’à Sidi Yahia. Près de 5 km de contemplation. Les Aïguades, l’eau ou les sources pour les Romains ; une eau douce chargée des entrailles des Sabaâ Djebilet (les sept collines) de Yemma Gouraya. Infusée des racines d’une végétation séculaire, elle s’en va à flanc de roche par des rigoles aménagées, se mêle à l’eau de mer. Lorsque le soleil est au zénith, des perles de lumière scintillent sur tout le plan d’eau. Une mer d’huile légèrement fouettée en surface laisse l’œil se délecter du spectacle qu’offre le fond de galets : une aquarelle de couleurs et de mouvements. Aux Aïguades, chacun s’attribue son « territoire ». Les familles préfèrent la plage de galets. Les gamins, eux, prennent possession du Darbouze, une dalle de rochers à deux brassées de la plage, et exécutent un incessant ballet de plongeons. Les plus intrépides, les ados généralement, optent pour le Septième. Un plongeoir naturel situé sur une hauteur de 7 m sur la crique bordant le côté ouest de l’anse. Ici, c’est à qui exhibera le meilleur plongeon de départ, un plongeon où l’on « amerrit » sur la poitrine, tête relevée en avant, les bras écartés et levés en V, les reins cambrés et les pieds joints.
Aquarelle naturelle
A l’extrémité droite de la plage, la Piscine, un bassin rectangulaire protégé d’énormes rochers. Ces brise-lames naturels permettent de faire plongette, même quand les éléments sont un petit peu déchaînés. Les « droits d’occupation » sont ici saisis par les « les intellectuels » en mal de lecture ou tout simplement de calme. Aux Aïguades, vous ne verrez pas un seul parasol. Pas besoin. D’abord parce que risquant d’encombrer votre petit territoire si vous êtes installé sur la plage, impossible à implanter sur la crique et puis à partir de 16 h, l’ombre du Djebel Gouraya commence à couvrir graduellement l’endroit. En fin de journée, les lieux se vident progressivement pour laisser place aux « vétérans » ou aux « connaisseurs », comme ils aiment à se distinguer du fait de leur longue fréquentation de l’endroit. Ces baigneurs tardifs considèrent la fin de l’après-midi comme un moment privilégié où le calme qui se réinstalle compose une enivrante symphonie avec le petit ressac, faisant en s’échouant sur la plage, rouler et tinter les galets. Les vétérans s’amènent aussi au petit matin avant l’arrivée des flopées de mômes. « Il faut surtout venir à pied de la ville », conseille Hadj Omar, chauffeur à Sonelgaz. La randonnée, d’après lui, agrémente votre sortie d’un avant-goût de plaisir escompté. Une route sinueuse surplombe en effet le port, offrant une superbe vue panoramique. Vient ensuite une voûte de feuillage bruissant sous les envolées acrobatiques des singes magots donnant l’air de vous fêter. Si vous voulez gagner quelques minutes, el qataâ, un raccourci à hauteur du cap Bouak, véritable trou dans la broussaille accompagné du gazouillis de moineaux et de chardonnerets peuplant les arbres centenaires. Vous déboucherez enfin sur une placette que des chênes et des oliviers, également séculaires, enveloppent d’une ombre immuable au grand bonheur des automobilistes qui y préfèrent alors garer leur véhicule. On peut prendre place sur le parapet entourant le plateau, non sans s’être d’abord désaltéré et épongé le visage ; l’eau tendre et savoureuse coule à flots d’une vanne ouverte sur une rigole creusée à même la pierre. Un chemin tortueux dallé s’en va, à l’ombre des chênes, des platanes, des citronniers et des néfliers parcourus de lierre dru, longer des plates-formes carrelées, restes de tavernes et de cabanons de colons, pour finir par des escaliers sur la plage.
Une Mémoire dense
Les Aïguades, c’est aussi pour Mohamed, un natif de Bab El Louz qui a ramené une ribambelle de gosses, « un endroit sans danger pour les enfants ». Il est vrai que, à cet endroit, on totalise zéro noyade. La plage étant petite, en plus de la présence des maîtres nageurs, on a facilement l’œil sur sa progéniture. Et puis, l’anse est naturellement protégée des courants. C’est certainement cette donnée physique qui a contribué à l’édification d’un port à l’époque de l’occupation romaine. Les bateaux y jetaient l’ancre pour refaire leurs provisions d’eau potable. Autre témoin du passé antique des Aïguades, une sépulture phénicienne. Le sarcophage taillé dans la roche garde intacte, à l’une des extrémités, la forme d’une bassine et d’une rigole qui fait penser au sacrifice du bélier exécuté lors des cérémonies consacrées à l’enterrement des marins décédés. Les Aïguades sont aussi précédées du Plateau des ruines où des vestiges de forteresses espagnoles sont encore apparents. Des grottes préhistoriques y ont été également mises à jour au début du siècle dernier par la Société d’archéologie de Constantine. L’un des abris, la Grotte du Pirate, telle que surnommée par les habitants de la ville de Béjaïa, avait servi au XIIIe siècle, de refuge à Raymond Lulle, un Catalan, philosophe de son état, qui, lapidé par la population autochtone, avait failli y laisser sa peau. Le philosophe avait tenté de prêcher la foi chrétienne. Des navigateurs l’auraient secouru, d’après des récits, sous l’« aânaya » (protection) de Sidi Aïssa, le saint tutélaire des lieux. « A Sidi Aïssa/ A Izem El Ghaba/ Herziyi Egma/ G’Saha Ou Lehna » (Ô Sidi Aïssa, lion de cette forêt/ Préserve mon frère/ Donne lui santé et paix) », ainsi invoquaient le saint patron, les ziyarin bougiotes lors des ouâdhas (offrandes rituelles). Le saint patron continue à veiller sur l’azur éternel des Aïguades. (El Watan-19.07.05.)
Posté Le : 11/09/2024
Posté par : patrimoinealgerie
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