Algérie

«Les actes concrets permettent d'aller de l'avant»



: Comment avez-vous accueilli la nouvelle de l'ouverture des archives décidée par le président Macron'Karim Amellal: C'est une bonne nouvelle! C'est une nouvelle étape de la démarche impulsée par le président Macron afin de «réconcilier les mémoires», liées à la colonisation et à la guerre d'Algérie, aussi bien en France, entre Français, qu'entre la France et l'Algérie bien entendu. La déclassification des archives, qui vise à les rendre plus accessibles, était l'une des préconisations du rapport de Benjamin Stora, et une demande ancienne de la communauté scientifique. Cela intervient une semaine après la reconnaissance par le président de la République, au nom de la France, de la torture et de l'assassinat d'Ali Boumendjel en 1957, mais aussi après la reconnaissance en 2018, toujours au nom de la République, de l'assassinat de Maurice Audin, ou encore de la restitution à l'Algérie en juillet 2020 des crânes des résistants algériens qui étaient entreposés au Musée de l'Homme, à Paris. Tout cela va dans le même sens: tourner une page, aller de l'avant à travers des actes concrets, comme l'accès aux archives, et des mesures symboliques, conformément à la méthode proposée par le rapport Stora. De tout cela, on ne peut que se féliciter.
J'ajoute que ce que le président fait sur la mémoire au sujet de la guerre d'Algérie, il le fait aussi sur la question de l'immigration et de la reconnaissance du caractère pluriel de notre identité. C'est ainsi qu'il faut comprendre, par exemple, la liste des 318 noms de personnalités issues de la diversité, c'est-à-dire en grande partie de l'immigration dans ses multiples composantes, qu'un comité présidé par l'historien Pascal Blanchard a identifiées afin qu'elles soient honorées. Parmi elles, une large place est accordée à des personnalités algériennes ou d'origine algérienne comme l'émir Abdelkader, les chanteuses Warda Djazaïriya et Cheikha Rimitti, ou encore Slimane Azem et Kateb Yacine, Idir, Leïla Ben Sedira et d'autres encore. Cet hommage à ceux qui, venant d'ailleurs, ont contribué activement à faire la France est aussi un acte de reconnaissance majeur qui doit permettre à la France et aux Français de connaître, de comprendre, parfois aussi d'accepter la diversité du corps social, et cela contre un certain nombre de représentations longtemps propagées par l'extrême droite ou ses suppôts. Oui, l'identité de la France est aussi cousue d'altérité, de pluralité.
L'ouverture de ces archives est certes, un soulagement pour les universitaires et autres chercheurs, mais ne pensez-vous pas qu'elle porte en son sein même des germes de brouilles et discordes entre les deux pays'
Ce n'est pas à moi de le dire, mais aux historiens. C'est tout le sens de la démarche entreprise par le président Macron: permettre aux historiens, pour ce qui concerne la France bien sûr, de travailler. L'Histoire, ce sont les historiens qui l'éclairent et la restituent. Le président trace un chemin, celui de la réconciliation, qu'avant lui d'autres avaient déjà tracé, le président Chirac en particulier. La reconnaissance de la responsabilité de la France dans les actes ignobles commis en Algérie par l'armée française sur Maurice Audin, Ali Boumendjel, et tant d'autres, connus ou anonymes, ce sont des pas en avant sur ce chemin. Il en faut d'autres, et il y en aura d'autres. En outre, sur la question des archives, peut-être que cela occasionnera des discordes, entre historiens, notamment mais c'est finalement une bonne chose. Il vaut mieux dialoguer et débattre dans un contexte ouvert, transparent où les archives sont accessibles, plutôt que dans un contexte d'opacité, dans le secret, comme cela a longtemps été le cas.
Dans l'objectif d'encadrer leur partenariat et lui donner une réelle visibilité sur le terrain, Alger et Paris se sont donné, depuis 2013, des instances permanentes à l'échelle des ministres des Affaires étrangères et des Premiers ministres des deux pays. Comment jugez-vous les résultats de ce partenariat'
Le partenariat qui unit nos deux pays est puissant et dynamique. La crise sanitaire, bien entendu, est un frein important, hélas. Beaucoup d'initiatives, de déplacements, de réunions sont reportés. C'est naturel, compte tenu des circonstances. Cela n'empêche pas que les responsables politiques se parlent très régulièrement, les présidents Macron et Tebboune, mais aussi les ministres des Affaires étrangères, entre autres. Cela n'empêche pas non plus les visites, très régulières. La France est très engagée aux côtés de l'Algérie, qui est une puissance de premier plan en Afrique et en Méditerranée ainsi qu'un partenaire majeur dans un nombre considérable de domaines: l'économie, la culture, l'environnement, et tant d'autres. Et puis, cette relation, compte tenu de la nature des liens qui unissent nos deux pays, nos deux peuples, est aussi spéciale. Le président Macron y accorde une importance particulière. Je ne sais pas si je peux le dire ainsi, mais il aime et respecte sincèrement l'Algérie et les Algériens. Et puis, il n'a pas de passé ni de passif avec ce pays, il veut contribuer à ce que les relations s'apaisent durablement, à ce que le passé ne soit plus un obstacle, à ce que nos deux pays soient tournés l'un vers l'autre sans rancoeur ni défiance, et ensemble regardent vers l'avenir. À titre personnel, je ne peux que m'en réjouir.
Les relations algéro-françaises sont fluctuantes. Elles sont vues sous les prismes des visas, de la diaspora et de l'islam. Comment expliquer cette focalisation qui pervertit en quelque sorte les vraies relations entre les deux pays qui peuvent être d'ordre économique, commercial et même culturel comme avec tout autre pays'
Vous avez raison de rappeler que les relations entre nos deux pays sont d'abord essentiellement positives: elles sont familiales d'abord, mais aussi commerciales, économiques, liées à l'importante diaspora algérienne qui est en France, culturelles évidemment. Ces relations sont, je crois, sans équivalent par leur densité et leur enchevêtrement. Ce sont des millions de fils qui nous relient et nous unissent. Cela, c'est un fait majeur. C'est le socle robuste des relations franco-algériennes. Mais comme souvent dans les relations entre des pays qui sont si proches, la houle jette parfois son écume sur ce socle et tend à le recouvrir... On ne voit plus que l'écume et on en oublie le socle. Cela ne veut pas dire que les sujets que vous évoquez ne sont pas importants, les visas par exemple. Ce n'est pas moi, qui suis d'origine algérienne, qui vais vous dire le contraire.
Depuis ma plus tendre enfance, j'entends parler de problèmes de visas! Je suis sensible à ce sujet et comprends les attentes légitimes, parfois les récriminations, de nombreux Algériens qui souhaitent venir en France. Mais nous avons, comme tous les pays de l'Union européenne, une politique de visas et plusieurs contraintes qui sont liées à notre espace commun. Notre politique doit assurer un équilibre, notamment avec les autres pays, ainsi qu'avec des contraintes d'ordre intérieur. Elle se doit aussi, comme tous les pays, de lutter contre l'immigration illégale, et donc de contrôler les demandes de visas de façon plus rigoureuse. Tout cela n'empêche pas que de très nombreux Algériens obtiennent des visas pour venir en France, et que de très nombreux étudiants algériens viennent étudier sur notre sol. Ce sujet très important, et souvent crispant, fait cependant, l'objet d'un dialogue régulier et franc entre les autorités françaises et algériennes.
Sur l'islam et la laïcité, qui sont des sujets essentiels, je crois qu'il y a certains malentendus, d'ailleurs assez récurrents. La laïcité est un principe fondamental de notre République qui permet précisément à tous ceux qui croient et à ceux qui ne croient pas de coexister. La laïcité, conformément à la loi de 1905, c'est à la fois le respect et la garantie de la liberté de croire - ou de ne pas croire -, ce qu'on appelle la liberté de conscience, qui protège toutes les religions, mais aussi la neutralité de l'Etat et de ceux qui le représentent, afin précisément de garantir qu'aucune religion ne sera avantagée, que toutes seront traitées à égalité. Ce principe-là, qui garantit le vivre ensemble, nous y sommes très attachés.
Sur l'islam ensuite, qui est la deuxième religion de France, il faut rappeler que l'écrasante majorité des musulmans est constituée de personnes ordinaires, estimables, qui travaillent, élèvent leurs enfants, payent leurs impôts, comme les autres. Mais il y a une infime minorité de personnes, peut-être par idéologie, peut-être par souffrance personnelle, peut-être pour donner un sens à une vie qui n'en a plus beaucoup, peut-être à cause de tout cela, développent des comportements qui, à un moment, ne sont plus compatibles avec le vivre ensemble, avec la République. D'autres encore, plus minoritaires, instrumentalisent la religion musulmane au profit de leur barbarie, comme avec Samuel Paty, ce professeur qui a été égorgé. C'est tout cela le «séparatisme», et c'est contre cela, et cela seulement, que nous voulons lutter. Les Algériens connaissent, je le sais, parfaitement cette situation pour l'avoir vécue dans les années 90. La France n'a rien contre les musulmans, qu'elle estime et respecte, elle a un problème avec les extrémistes, avec ceux qui dévoient la religion, musulmane ou d'autres, pour en faire une idéologie de haine, de combat et de mort. Qu'il y ait des malentendus sur des sujets aussi complexes, aux racines multiples.
Karim Amellal est nommé ambassadeur, délégué interministériel
à la Méditerranée, le 29 juillet 2020.
Kamel Lakhdar Chaouche


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