Algérie

Légendes des lieux, légendes des hommes



Il est le pôle (qutb) vers lequel convergent de nombreux personnages charismatiques. Il est en quelque sorte le modèle du genre, «le patron», «l'idéal type».Sîd Ahmad b. Yûsaf al-Milyânî (il s'agit de Sîd Ahmad b. Yûsaf al-marînî al-Huwwârî al-Râshîdî al-Milyânî (XVe/XVIe), mort en 1524/25) est incontournable, dans la généalogie mystique de la plupart des confréries du Maghreb. Plusieurs études lui furent consacrées, entre autres, celles de M. Bodin, de M. Hadj-Sadok, de R. Basset et des fragments dans les oeuvres de J. Berque et des Gouvion.De tous les saints de l'Islam si nombreux dans l'Afrique du Nord et particulièrement au Maghreb central, nul ne jouit d'une renommée plus étendue que Sîd Ahmad B. Yûsaf qui est grand mystique en même temps que saint très populaire, il vécut à une époque tumultueuse et malheureuse.La source écrite la plus importante pour la biographie de Sîd Ahmad b. Yûsaf est un ouvrage intitulé: Bûstân-l-Azâr-fî-manâqib-l-Abrâr-wa-M'âdin-l-Anwâr; son auteur se nommait Muhamad As-abbâr et fut qadi d'-l-Qal'a des Bni-Râshad (voir fig 1, 3). Il naquit dans cette ville vers 830 H.-1436 J.-C.) Le Maître est mort en 931 de l'hégire (1524-1525 J.-C.). (1)

QUI EST SID AHMAD B. YUSAF ?

D'après Muhamad B. Ali at-tarabulusi, auteur d'une Madjmû'a fî UÍžûl-at-tariqa-Shadûliya, son arbre généalogique serait Idrisside vraie ou sujette à caution, cette Shadjara fait de lui un Sharif qui, comme beaucoup de Maghrébins, se réclame d'un lien avec le Prophète.

Une légende très répandue dans la région des monts des Ksour le fait descendre de Gourara. II serait le fils de Mançûr surnommé Bû-karkûr du Gûrara dont le tombeau est à Tâbalkûza et l'on insinue que Mançur, à la naissance de l'enfant, était à un âge avancé. Ce qui suscitait des plaisanteries. En réponse, le vieux papa jeta l'enfant, en présence de la foule, dans un brasier. Miracle: les langes brûlèrent mais le bébé fut retiré indemne. Ensuite, le vieux papa le lança en l'air. Le bébé retomba loin dans le nord au foyer de Yûsuf-ar-Râshidï.

Récit 1: Sîd Ahmad B. Yûsaf un Gûrari

«Le père de Sîd Ahmad B. Yûsaf est Sîd Mançûr du Gurara. C'est un vénérable vieillard et il avait épousé une femme très jeune qui donna le jour à Sîd Ahmad B. Yûsaf. Les gens commencèrent à jaser et à médire. Ils disaient; «Sîd Mançûr est trop vieux, pour procréer, Sîd Ahmad B. Yûsaf n'est pas son fils».

Sîd Mançûr apprit ce que les gens disaient de lui et de son fils. Il alluma un grand feu et y jeta le bébé. Il dit aux gens: «Si c'est mon fils, il ne brûlera pas, sinon, tant pis pour lui». Le bébé ne brûla ni ne mourut. Il sortit sain et sauf du brasier. Alors, Sîd Mançûr, s'adressant à ses calomniateurs et saisissant l'enfant, leur dit: «Que Dieu fasse que vous n'obtiendrez rien de cet enfant (prodige)». Il fit tournoyer l'enfant au-dessus de sa tête et le propulsa dans les airs depuis le Gurara jusqu'à la montagne de Milyana dans le nord. L'enfant tomba dans un buisson de palmier nain. Sîd Yûsaf, qui vivait dans cette montagne de Milyana, avait des bovins. Ces bovins allaient tous les jours au pâturage. Une vache alla droit au buisson où se trouvait Sîd Ahmad B. Yûsaf et offrit son pis au bébé. Ce dernier téta et dormait profondément, jusqu'au jour où la vache s'est mise à maigrir, alors que le reste du troupeau engraissait.

Sîd Yûsaf dit au berger: «Qu'est-ce qui arrive à cette vache ?»

Le berger répondit: «J'emmène le troupeau à tel endroit et la vache va à tel endroit et y reste debout toute la journée.»

Le lendemain ils suivirent cette vache jusqu'au buisson de palmier nain et y découvrirent l'enfant. Sîd Yûsaf l'adopta et Sîd Ahmad devint l'océan de science de Milyana que chacun connaît. (2)

Sîd Ahmad b. Yûsaf-l-Milyani Er-Rashidi est le fondateur de la voie Yûsûfiya. Belqasem Sa'dallah le fait naître à Qal'at Bni Rashed près de Mascara tandis que Louis Rinn suggère fortement son origine dans la tribu marocaine des Shurfa d'Arshidiya de Taza (3). Il avait été formé à l'école de Tlemcen près des maîtres Muhammed B. Yûsaf Es-Snûsi. Il étudia surtout à Béjaïa (Bougie) dans la Zawiyya de Zarrûq-l-Barnûsi. Grand mystique et personnage éminent de la confrérie des Shadûliya, ce saint homme fut le guide spirituel de Sîd Ahmad b. Yûsaf qui se faisait d'ailleurs une haute idée des devoirs qui incombent à un guide spirituel

«Un Shaykh n'est vraiment tel, disait-il souvent, que s'il est présent aux côtes de son disciple dans trois circonstances: à l'heure de l'agonie pour lui faire prononcer les deux formules de la profession de foi musulmane; au moment de l'interrogatoire subi dans la tombe afin qu'Allah lui inspire les réponses à faire aux deux anges interrogateurs; enfin, au jour de l'épreuve terrible du jugement dernier.» (4)



SON PERIPLE



Le périple se Sîd Ahmad b. Yûsaf peut être reconstitué dans les grandes lignes comme suit: II a séjourné principalement à Chellala. C'est dans ce ksar qu'est enterrée, dans une Gubba, sa fille 'Aïcha qui l'avait accompagné. Les traditions locales parlent bien d'un dicton bien connu concernant ce ksar: (Shallâla Shallâltî taraktu bihâ bantï wa n'âltï). C'est dans les traditions de Chellala qu'on trouve trace de la rencontre de Sîd Ahmad b. Yûsaf et de Sîd Slayman. Il connut l'exil et la prison du fait de ses prises de position politiques et religieuses contre les Zyaniyîn et en faveur des Ottomans.

Récit 2: Oran, ville maudite

Un jour qu'il s'était rendu à Oran, une grande partie de la population l'accueillit en grande pompe à l'entrée de la ville. Alors, un disciple de Sîd Ahmad... ne résista pas au plaisir de souligner le succès de son maître et dit au caïd: «Cette souveraineté n'est pas comme celle des Juifs» ou, selon une autre version, on compara le pouvoir zianide à un pouvoir juif. Le caïd d'Oran écrivit aussitôt à son souverain en présentant Sîd Ahmad b. Yûsaf comme un danger public, et il est vrai que plusieurs sources nous parlent. Le Saint quitta Oran mais l'ordre de capture fut transmis au caïd des Bni Rashad et Sîd Ahmad b. Yûsaf fut contraint à la fuite. Au moment de son exil, il lança sa malédiction sur les Zianides: «Ils nous ont suscité des ennuis. Que Dieu leur en suscite par terre et par mer !»

Dieu ne tarda pas à exaucer cette invocation. Peu de temps après, les Espagnols venus par mer débarquaient à Oran et les Turcs entraient à Tlemcen. (5)



L'IMMOLATION



Récit 3: Sab'atu MaÍ°bûhïn de Sîd Ahmad b. Yûsaf

«Un jour Sîd Ahmad b. Yûsaf réunit tous ses élèves. C'est le jour de l'Aïd El-Adhâ. Il demande des volontaires pour être égorgés en sacrifice. La majorité s'enfuit. Seuls sept, parmi les meilleurs, acceptèrent; parmi ces sept, se trouvaient Sîd Slayman et Sîd Hadj b. Amar. (6)

L'épreuve se serait déroulée le jour de la fête du sacrifice {Aïd El-Adhâ) de la façon suivante: un à un, ces disciples étaient introduits dans un local à deux issues pourvues chacune d'une porte. Dès que l'un d'eux y pénétrait, un filet de sang s'écoulait hors du local sous les regards de ses compagnons qui attendaient leur tour.

L'idée du Walï, inspirée du récit de l'ange Gabriel et d'Ibrahim El-Khalil, étant de mettre à l'épreuve ses disciples, Sîd Ahmad B. Yûsaf, après son discours de l'Aïd El-Adha, leva son couteau et dit qu'il avait vu un rêve: il devait égorger des victimes expiatoires qui se porteraient volontaires. Des disciples défilèrent un à un et les spectateurs qui virent du sang crurent à un égorgement de personnes alors que Sîd Ahmad b. Yûsaf égorgeait des moutons. Finalement, le Saint félicita les courageux volontaires, les gratifia de sa bénédiction, les baptisa du nom de Madbûhin (égorgés) et les consacra Muqaddam Shaduliyya. Les Gouvion fournissent la liste des sept volontaires classés par ordre d'immolation: Sîd Slayman b. Bûsmaha, Sîd 'Abd-Er-rahman Es- Sahli, Sîd Mûsa-l-Barrishi, Sîd Mûsa-l- Gûrar, Sîd Hadj b. Amar, Sîd Bûthkhil—l-Djilani, Sîd Yaqûb ainsi qu'une femme nommée Lalla Satti. M. Hadj-Sadok donne cette liste: Sîd Muhamad b. 'Abd-r-Djabbar, Sîd Slayman b. Bûsmaha, Sîd Hadj b. Amar, Sîd Mûsa-l-Barrishi, Sîd Mûsa-l-Djarrari, Sîd'Abd-Er-rahman Es- Sahli, Sîd Yaqûb, ainsi que trois femmes: Maymûna, Aysha et Fatima-Satti.


Notes

1. Hadj-Sadok M.: «Milyana et son patron (Waliyy) Sayyidi-î Ahmad b. Yûsuf», p74.
2. Ben-Naoum A.: «Ûled Sidi Sheykh, essai sur les représentations hagiographiques de l'espace au sud-ouest de l'Algérie», thèse de doctorat d'Etat en lettres et sciences humaines mars 1993.
3. Rinn L. (Cdt): «Marabouts et khouan. Etude sur l'Islam en Algérie», Alger, A. Jourdan, 1884, 552 p.
4. Voir M. Bodin: Notes et questions sur Sidi Ahmed ben Yousef, Revue africaine n°323, 2e et 3e trim. 1925 p145.
5. M. Bodin: Notes et questions sur Sidi Ahmed ben Youcef, in Revue africaine n° 66, 1925, pp123-189.
6. Hadj Oussi Ben Ameur, oncle de l'auteur.


*Chargé De Cours
Département D’architecture
Centre Universitaire De Béchar



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