Algérie

Légende



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«Toute révolution est commencée par des idéalistes, poursuivie par des démolisseurs et achevée par un tyran.» Louis LatzaruIl y a un moment où il va falloir faire un choix: le ton à adopter pour conter une histoire est important pour convaincre l'auditeur ou le lecteur, pour le captiver... C'est peut-être la dimension de l'histoire qui dictera elle-même la manière de la transmettre. Même si elle compte des faits réels, son éloignement progressif et toutes les controverses, les mystères, les zones obscures qu'elle comporte la rangent au niveau de la légende. Conter une légende, c'est commencer par le traditionnel «il était une fois...». Mais quand le début de cette légende se perd lui-même dans un enchevêtrement de contradictions ou d'imprécisions, il est difficile de commencer par «amachahou». A moins d'adopter le style même de l'imprécision en disant simplement «autrefois» comme le font les vieilles grand-mères aux cheveux gris pour faire rêver leurs petits-enfants. Cela n'est pas convaincant. Je le sais. Mais comment parler du début de la guerre de Libération au fur et à mesure que disparaissent les acteurs principaux.En employant le mot «acteurs», je veux parler des hommes et des femmes qui ont agi et ont participé d'une façon flamboyante ou dans un total anonymat à cette saga qui fait la fierté de tout un peuple. C'est la raison pour laquelle je ne donnerai pas de noms, pas plus que je ne donnerai une date pour situer un événement. C'est la raison pour laquelle je ne parlerai que de ce feu souterrain qui a animé des hommes brisés par une défaite, humiliés par une longue servitude et meurtris par les nombreuses injustices dont l'occupant est prodigue. Les spoliations, l'asservissement, la liberté d'expression décapitée, les manifestations interdites et sauvagement réprimées, les élections truquées sans vergogne, ont peu à peu aiguisé la volonté d'individus qui se sont mis à rêver. A rêver d'un ordre meilleur où tous les hommes seront frères. Oui, ceux qui commencent à parler de la résistance, dans les cafés, les souks ou dans des endroits clandestins ne peuvent être que des rêveurs, des hommes désintéressés qui n'attendent pas de récompense, de prime ou de rente. Je me souviens de deux anecdotes particulièrement éloquentes: un matin d'hiver, alors que j'étais assis à la djemaâ avec un vieil aveugle qui me servait de mentor, un jeune appelé français est venu s'asseoir entre nous. Il avait posé son fusil sur ses genoux et s'est mis à parler de sa lassitude quant à cette guerre qui commençait à durer. Quand il a demandé au vieil aveugle le pourquoi de cette guerre, le vieil aveugle répondit simplement: «Vous voyez bien la misère de la population. Elle est indéniable. Quand quelqu'un promet de supprimer la misère et les injustices, même les aveugles le suivent.» Un autre jour, j'ai été invité par ma professeure de sciences dont l'époux, un ancien résistant à l'occupation allemande était inspecteur d'académie. Celui-ci me prit à part sur le balcon et me dit: «Dans quelques jours, les gens vont danser pour fêter l'Indépendance. Mais après' Ils devront retourner dans leur montagne, et c'est là que les choses sérieuses vont commencer. C'est après la fête qu'on se gratte la tête!»Quand on n'a été qu'un spectateur lointain d'actions et d'événements qui ne parviennent à l'oreille de l'enfant que sous la forme d'échos déformés par des bouches émerveillées ou sceptiques, il faut se fier à l'instinct et à la candeur de cet enfant qui croyait aux exploits extraordinaires de ces hommes qui sont devenus des héros. Des héros qui seront contestés par les uns ou portés aux nues par les autres. C'est le sort de ceux qui rentrent dans la légende.




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