Algérie

Leçons de mai



Publié le 08.05.2024 dans le Quotidien l’Expression

Peut-on comprendre quelque chose à la condition de sous-développement de pays comme le nôtre sans référence aux faits de l'Histoire et aux facteurs économiques et humains? Il est bien clair que non, parce que ceux-ci sont des «vecteurs d'avenir».
Tout au long de l'époque contemporaine, d'étape en étape, ils ont rythmé la marche des peuples vers leur destin. En ce mois de mai de l'année 2024, la référence reste encore valable, et les Algériens ne sauraient la négliger. Aussi, l'occasion de voir de près cette thématique leur est-elle fournie par la commémoration de la fête du travail qui leur rappelle que les liens entre les hommes vivant en communauté ne sont pas seulement ceux que tisse la politique. Ce sont aussi les rapports sociaux nés du travail. Le 1er Mai évoque également les souffrances inouïes endurées par les travailleurs. Mais le «problème social» au sens contemporain du concept ne s'est posé qu'avec l'apparition sur le continent européen dès le XVIIIe siècle de la révolution industrielle. Il ne s'agit donc pas d'un problème nouveau. Son ampleur s'est toutefois amplifiée au fur et à mesure de la concentration des multitudes ouvrières autour des grandes manufactures disséminées dans un petit groupe de pays hardis qui ont réussi à émerger du sous-développement. Cette émergence ne relève pas du hasard. Elle est le fruit d'un travail incessant qui a commencé très tôt dans les mines et les usines sous la houlette d'employeurs guidés strictement par le profit et par une volonté farouche de s'affirmer face à une concurrence implacable. Devant cette contradiction entre la logique des patrons et les aspirations légitimes des salariés, chacune des parties a géré les inévitables tensions selon ses intérêts. Pour les ouvriers économiquement désarmés, la solution était d'organiser la résistance dans des associations de secours mutuel qui se transformeront graduellement en syndicats. Et c'est ainsi que parallèlement au suffrage universel qui donna naissance à la démocratie politique, le syndicalisme allait donner naissance à la démocratie sociale.

D'emblée, il revendiquera une amélioration des conditions de travail, puis il ira jusqu'à réclamer carrément «un autre régime social qui, dépassant le salariat, permettra une administration démocratique des choses» (G. Lefranc, 1961). Aussi, cette orientation ne manqua-t-elle pas d'inquiéter la partie antagonique. Une réflexion s'engagea alors au sein de l'élite quant à la manière d'éviter une confrontation extrême. Il en résulta une entrée de l'analyse du travail dans le champ de l'observation scientifique afin de connaître ses ressorts psychologiques et d'oeuvrer à ce qu'il ne soit pas perçu comme une contrainte, ou que le travailleur soit considéré comme un simple rouage astreint à l'exécution des tâches dans une mécanique d'ensemble où tout lui échappe. Désormais, l'élite a bien compris que pour sauver le système, le monde obscur des ouvriers et des employés ne doit plus être méprisé. Elle ressent la nécessité d'amener les dirigeants à changer de mentalité en s'imprégnant de la réalité psycho-sociale du monde des salariés et en considérant le travail non seulement selon ses fruits, mais également sous l'angle des façons d'opérer. À partir de là, le personnel prendra une dimension créatrice qui l'érigera en facteur économique digne de considération, et non plus pensé par rapport aux tâches strictement techniques à accomplir. Les aspects organiques, méthodologiques, psychologiques et moraux, c'est-à-dire, in fine, le paramètre de la «Ressource humaine», se verront alors accorder une place à part entière dans le système.

À la lumière de cette brève rétrospective relative au travail, on peut mieux comprendre comment celui-ci a favorisé le développement effectif de certains pays où il a fini par prendre une valeur primordiale. Il leur aura fallu également acquérir une mentalité nouvelle qui s'est forgée durant plus d'un siècle (1815-2015) grâce, notamment aux méditations d'une quinzaine de grands noms du «management» qui ont mûri des idées, produit des théories, répandu des doctrines et suscité des actes ayant servi aux nations qui se sont donné la peine de s'en inspirer à monter sur le podium de la civilisation moderne. De Taylor (1856-1915) à T. Burns (1913-2001) et G. Stalker (1939-2019) à P. Drucker (1909-2005), en passant par H. Ford (1826-1905), H. Fayol (1841-1925), M. Weber (1864-1920), E. Mayo (1880-1949), Mc. Gregor (1906-1964), F. Herzberg (1923-2000) ou encore G. Octave (1916-2004) et bien d'autres, tous ont réalisé des travaux de haute tenue dédiés à la gestion de la ressource humaine. Ils ont évoqué l'organisation «scientifique», ses nécessités et ses modèles, ainsi que tout ce qui a trait à l'individu dans son rapport au travail. On peut néanmoins objecter que cette longue et laborieuse expérience historique est impossible à refaire et qu'il serait vain pour les Algériens d'y songer. Certes, elle ne peut pas être refaite, mais il est tout à fait possible d'en cueillir les fruits abondamment comme on le ferait d'un arbre en pleine production. De plus, notre pays ne saurait se détourner des idées à portée universelle émises sur le sujet crucial du travail et ses répercussions dont le mois de mai condense les leçons.
*Membre du Conseil de la nation
Hachemi Djiar



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