Le zénète, ou taznant, langue amazighe pratiquée par environ 80 000 locuteurs dans le Touat (Sud-Ouest algérien), est en recul, selon des habitants, des spécialistes et l’Unesco.
Différents facteurs expliquent cette régression. A Timimoun, capitale du Gourara, à 1300 km au sud-ouest d’Alger, l’arabe vernaculaire remplace la vieille langue.
Comment et pourquoi ?
Des habitants de Timimoun et des villages environnants essayent d’apporter une explication. Ils indiquent à l’unanimité, que les jeunes ont tendance à utiliser davantage l’arabe gourari (variante de l’algérien local) au détriment de la langue de leurs ancêtres. Durant les années 1970, le taux d’alphabétisation n’était pas aussi important qu’aujourd’hui. La majorité des enfants du Gourara sont désormais scolarisés. Quant à l’enseignement du zénète dans les écoles, il n’est pas assuré, selon Omar, trentenaire, commerçant.
Selon Ahmed, restaurateur dans un hôtel 4 étoiles appartenant à l’ancien président Ben Bella, «il n’y a pas longtemps, dans les années 1980, tout le monde dans la région parlait zénète». «Je me rappelle qu’à cette époque, beaucoup ne comprenaient pas un mot d’arabe. Certains connaissaient tout juste l’alphabet, de quoi lire des sourates du Coran afin de faire les prières. Depuis, avec la scolarisation des enfants, il y a une sorte d’abandon du zénète. Ces enfants, qui sont aujourd’hui trentenaires et quarantenaires, comprennent peut-être leurs parents, qui continuent à parler amazigh, mais ils leur répondent en arabe. De ce fait, la langue s’est arabisée.»
Les explications d’Ahmed sont partagées par nombre de Timimounis que nous avons interrogés, comme Omar. Habillé d’une djellaba traditionnelle, ce fils de la palmeraie, comme il aime se définir, se rappelle parfaitement des rituels de sa grand-mère : «Elle nous parlait un zénète très ancien et on avait du mal à comprendre. Mes parents parlaient arabe parce qu’ils étaient sortis du ksar de Timimoun pour vivre dans l’agglomération. Car la ville est devenue, par la force des choses, comme un chef-lieu. C’est pour cela qu’aujourd’hui, des gens demandent à ce qu’elle soit hissée au rang de wilaya.
Aujourd’hui, je peux dire que parmi les trentenaires, il y en a plus qui parlent gourari que zénète. La faute à qui ? Certainement à nos parents qui, involontairement, croyaient que pour s’émanciper et espérer accéder aux métiers de l’administration et aux entreprises, il fallait parler uniquement arabe. Peut-être, mais ils auraient pu insister pour que nous pratiquions aussi le zénète. Je ne vois aucun inconvénient à parler deux langues. Vous avez l’exemple des Kabyles, des Chaouis et des Mozabites qui, malgré l’émigration, arrivent à parler arabe, amazigh et français...»
Selon Ba Ahmed, un octogénaire qui nous a chaleureusement accueilli dans sa demeure, le recul du zénète se fait sentir. «C’est une réalité. Je me sens parfois obligé de parler en arabe avec des gens qui sont censés parler zénète. Auparavant, tout le monde parlait la langue, les vieux, les jeunes, les enfants, hommes et femmes, mais aujourd’hui, le gourari est présent dans tous les espaces.» Ba Ahmed, ancien agriculteur, culpabilise : «Quand je parle avec mes enfants en zénète, ils me répondent en arabe. J’ai laissé faire, croyant que cela n’aurait pas d’incidence. Mais 40 ans plus tard, je constate les dégâts. Mon épouse et moi sommes presque comme des étrangers dans notre propre maison. Le plus malheureux, c’est que mes petits-enfants ne comprennent rien au zénète. Mes enfants, qui sont leurs parents, leur parlent arabe et cela continue. Je peux dire que dans 30 ans, lorsque nous, les vieux, nous serons enterrés, le zénète disparaîtra.» Sur cette sentence, Ba Ahmed garde le silence. Il semble nostalgique.
Mais ce qu’il avance n’est pas partagé par des habitants du village de Tanmit, à 200 km de Timimoun, où Salah, technicien en hydraulique, développe un autre argumentaire : «Si le zénète disparaît à Timimoun, cela ne m’étonne pas. C’est une ville qui ne cesse de grandir et de croître. Il y a des Algériens venus de toutes les wilayas. Donc l’arabe est devenu une sorte de langue de communication obligée. Cela dit, je ne pense pas que le zénète disparaîtra des villages. Ici, nous le parlons toujours. La langue est d’ailleurs aisément parlée par nos enfants. Si les villages ne connaissent pas l’arrivée de nouveaux venus, l’arabe est juste utilisé avec les touristes, sans aucune répercussion sur le zénète.»
La vitalité et l’officialité pour sauver la langue
Abderrezak Dourari, professeur des sciences du langage, pense que «l’audiovisuel est un espace pour la sauvegarde des langues». «C’est très important, notamment lorsque tamazight deviendra officiel. La présence dans la logosphère et la médiasphère est un moyen de visibilité et de réhabilitation de la langue», souligne-t-il. Pour lui, «on ne peut pas sauver une langue quand elle est condamnée par sa fonctionnalité sociale». «Tant de choses disparaissent dans le monde naturellement sous l’effet de la globalisation», explique l’expert. Et de poursuivre : «Il y a deux éléments essentiels, dans le baromètre des langues de L.-Jean Calvet, pour qu’une langue puisse être sauvée. Il faut de la vitalité, un nombre conséquent de locuteurs et son usage dans divers domaines.»
Toutefois, le Pr Dourari précise qu’«on ne peut obliger une région à parler une langue que ses locuteurs considèrent comme peu fonctionnelle». Dans le même sillage, il estime que «si une communauté veut continuer à parler sa langue, l’Etat doit l’aider. Ce critère est déterminant, sinon la disparition est irréversible». En second lieu, souligne le spécialiste, «l’autre critère est l’officialité, car l’Etat ne pourra plus agresser la langue ou l’assassiner». Selon le constat dressé par le Pr Dourari, «pour certaines variétés de tamazight, il est presque déjà trop tard. Mais pour d’autres, comme le kabyle, le chaoui, le mozabite, le chenoui ou le tamahaq, il est encore temps de faire le travail légal et de recherche».
Selon lui, «l’officialité empêchera le pouvoir central et ses démembrements d’agresser les langues, mais ne leur donnera aucune capacité supplémentaire de concurrencer des langues déjà puissantes et bien installées dans le marché linguistique et l’habitus». Pour notre interlocuteur, «les administrations locales seront dans l’obligation de tenir des attitudes positives, proactives, comme transcrire ces langues dans l’état civil, dans l’affichage, la publicité, le discours au quotidien et dans la médiasphère». Ainsi, poursuit-il, «le fait que ces langues soient visibles leur redonnera force et vitalité. Cela redonne de la confiance aux locuteurs». En outre, il considère qu’«il est normal que les partis politiques, les associations et la presse fassent l’effort nécessaire pour sauvegarder notre identité non essentialisée, ouverte sur l’universel et la modernité». «Quand on va vers l’autre, on y va en étant soi-même sûr de soi», observe encore le Pr Dourari.
Posté Le : 27/04/2014
Posté par : patrimoinealgerie
Source : El Watan, 31 mars 2014