Algérie

Le Zaïmisme de Kepel nuit à l'efficacité de l'anti-djihadisme.



« Bien peu de nos écrivains connaissent le Coran et nous nous en faisons toujours une idée ridicule, malgré les études de nos savants les plus authentiques. Nous attribuons au Coran une quantité de bêtises qui ne s'y trouvent pas » (Voltaire).C'est à ce jugement avisé que renvoient les controverses médiatiques actuelles sur l'Islam. Il s'applique aux commentateurs non musulmans, mais aussi à des intervenants musulmans qui veulent donner des gages aux courants laïcistes, voire aux milieux islamophobes et vont, pour se faire inviter à la télévision, jusqu'à proposer de changer le Coran lui-même.Mais après le 13 novembre, il a été plutôt question de changer de politique étrangère (et militaire). D'où la raréfaction des interventions télévisées de Malek Chebel, de Abdenour Bidar ou, même, de Ghaleb Bencheikh, partisans du « changement de théologie », voire de l'abrogation de sourates du Coran..Ce qui fait que les débats récents continuent, mais en l'absence des musulmans instruits. Ces débats se trouvent réduits durant ces dernières semaines à un combat de coqs entre Olivier Roy et Gilles Kepel. Mais le premier reste attaché à l'humilité devant la complexité des faits et des situations de crise, qui sied à tout bon chercheur.C'est la prétention hégémonique affichée par Kepel qui pose problème. Dans une tribune publiée par Libération le 15 mars, il cherche à disqualifier Roy au motif qu'il ne serait pas arabisant, ce qui le rendrait inapte à comprendre la quintessence du djhadisme. Même le directeur du CNRS ne trouve pas grâce aux yeux du médiatique islamo-politistes qui critique son appel pour une recherche pluridisciplinaire sur l'Islam en général. Pourtant à la fin de l'article de Libération, Kepel propose un programme de recherche pluridisciplinaire qui ressemble comme deux goutes d'eau à celui du directeur du CNRS. Kepel innove seulement en proposant le recours à des "cliniciens". Sa vraie critique ne serait donc fondée que sur ses ambitions hégémoniques et, à bien le lire, tout rentrerait dans l'ordre quand on fera appel à lui pour la direction de ce programme.Quelques semaines auparavant, sur la LCP, Kepel déclarait que tous les arabisants français ,sans exception, manquaient de scientificité à cause de leur soutien à la cause palestinienne!!! Sauf lui qui n'a jamais eu un seul mot pour déplorer l'agressivité israélienne.S'il disqualifie Roy parce qu'il n'est pas arabisant; et s'il rejette les écrits de tous les arabisants en raison de leur attachement à un epaix juste au Proche-Orient, il en résulte que seul lui serait habilité à étudier l'islam contemporain.Mais ces études se limitent, depuis 30 ans, aux seuls courants radicaux optant pour la violence au nom du religieux. A ses répétitions, s'applique merveilleuvement cet appel au sens de la nuance lancé au milieu du XIXeme siècle la capitaine Pellissier de Raynaud, l'auteur des "Annales algériennes", qui reste un livre de référence pour les historiens de la conquête de l'Algérie:« ...Pour juger un peuple, il ne faut pas le considérer exclusivement dans les temps où ses assions sont excitées par des circonstances exceptionnelles : la haine de l'étranger, les préventions religieuses, les querelles politiques conduisent quelquefois ceux mêmes dont les m'urs sont habituellement les plus douces à des excès fâcheux. La France de la Saint Barthélémi et de 93 n'est pas la France de tous les jours, pas plus que les Arabes égorgeant les blessés de la Macta ne sont ceux que la froide raison doit nous montrer. C'est cette raison qu'il faut souvent consulter dans nos relations de guerre ou de paix avec les habitants de l'Afrique ».En outre, Kepel souhaite qu'on lui (et à lui seul)donne les moyens en vue de la seule multiplication des enquêtes sur (et contre) les musulmans. Or, les récents débats médiatiques ont relié la prévention des radicalisations à une bonne formation des imams et des aumôniers musulmans; ce qui suppose une rénovation de l'enseignement de l'islam et une implication du maximum de muuslmans qualifiés. Parmi ces musulmans qualifiés, il y avait Mohammed Arkoun (élève de Blachère et de Brunschviq), Ali Mérad (élève de Laoust) et Madjid Turki (élève de Brunschviq auqeul le liait une grande amitié malgré les désaccords sur Israël: "ne me demandez pas d'être rationnel sur ce pays", lui disait le savant arabisant). Ces trois islamologues muuslmans avaient accepté de quitter leur "érudition absentéiste" pour s'impliquer dans les tentatives d'institutionnalisation de l'Islam en France. Mérad et Turki avait siégé à partir de 1977 dans la "Commission nationale des Français Musulmans" que présidait le secrétaire d'Etat aux rapatriés Jacques Dominati. Parmi les préconisations de cette Commission, figurait le projet de réanimation de "l'Institut Musulman" de la Mosquée de Paris. Giscard d'Estaing en avait accepté le principe, et seul l'alternance de mai 1981 est venue le compromettre.En souvenir de la participation de Mérad aux travaux de la "Commission Dominati", l'Elysée fit appel en 1989, à Mérad qui proposa l'ouverture d'un "Institut Musulman de Théologie", en mettant en garde contre les financements extérieurs qui servent à exporter des enseignements rétrogrades que l'on vilipende à présent en même temps que le "salafisme" et autre "wahabisme". La zone concordataire était le lieu naturel pour l'ouverture d'une "faculté de Théologie musulmane", fondée en droit, mais sabotée par la place Beauvau en raison d'un sérieux désaccord (resté non médiatisé) avec l'Elysée au sujet de la première "affaire Haddam", le successeur du cheikh Abbas à la Mosquée de Paris, qui fut agréé par Mitterrand (qui avait pris soin d'obtenir l'aval de Hassan II) contre l'avis du ministre de l'Intérieur de l'époque.Le projet sera repris sous une autre forme, en 1996, par André Trocmé qui proposait une formation à l'Islam à l'université M. Bloch de Strasbourg, après un nouveau rejet, en 1992, de la proposition faite par Arkoun d'ouvrir un "Centre national d'Etudes de l'Islam" à la Veme section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes de la Sorbonne. Malgré l'acceptation de la direction de l'EPHE, le ministre de l'Education de l'époque refusa de recevoir Arkoun lequel expliqua cet étrange refus par le mépris de cette catégorie d'hommes politiques.En janvier 1997, le Monde publia une longue interview de Kepel qui était monté au créneau pour défendre "la neutralité axiologique" de l'Université publique en faisant croire qu'elle était mise en péril par Trocmé qu'il accusa de vouloir former des imams dans un établissement laïque. Mais la direction du Monde prit soin de bien lire le projet de Trocmé où il est explicitement mentionné qu'"il ne s'agit en aucun cas de formation d'imams". Les arrière-pensées corporatistes et carriéristes ne reculèrent pas devant la grossière désinformation pour permettre au chroniqueur religieux du journal du soir de complaire, une fois de plus, au cardinal Lustiger qui ne dissimulait pas son hostilité à tout projet de modernisation de l'enseignement de l'Islam.Ceux qui ont à l'esprit ce genre de souvenirs, parmi tant d'autres, ne peuvent que se féliciter de voir Kepel déplorer énergiquement "le démantèlement des études islamiques", comme il l'a fait, à juste raison, dans Libération , le 15 mars.Ce démantèlement remonte aux années 80 quand fut supprimée la chaire de droit musulman de Paris I et fut remplacée celle qu'occupait Roger Arnaldez (spécialiste de philosophie musulmane) à Paris IV par un enseignement sur la philosophie'allemande. Tout cela était béni par un grand et influent arabisant dont Kepel bénéficiait de la protection, et qu'Arkoun surnommait en privé "le fossoyeur des études islamiques".En fait, en déplorant le déclin de l'islamologie, Kepel ne pense qu'à ses déboires de décembre 2010 à Sciences-Po où la direction mit fin brutalement au "programme Monde Arabe". On sait maintenant que c'est moins les études arabes qui étaient visées que le responsable de ce programme, à cause de sérieux écarts avec l'orthodoxie financière dans la gestion des grands colloques où certains se laissent aller à des dépenses somptuaires.Après le 7 janvier 2015, Benjamin Stora proposa une prévention des radicalisations en faisant découvrir aux jeunes musulmans les grandes figures de l'Islam en France. Malek Bennabi (1905-1073) et Muhammad Hamidullah (1908-2002) en font partie. Mais Kepel s'était empressé de brouiller leur image dans "les banlieues de l'Islam" en décrétant de faire Bennabi "le maître à penser d'une génération d'activistes"(sic), au moment où des chercheurs indiens, non musulmans, se livraient à l'étude des livres préconisant un dialogue entre l'humanisme muuslman et la doctrine gandhienne de la non- violence afin d'apporter un fondement culturel à la solidarité politique afro-asiatique. Hamidullah était stupéfait de voir Kepel omettre de rappeler qu'il avait fait sa carrière au CNRS, où son recrutement avait été chaudement recommandé par les grands arabisants Maurice Gaudefroy-Demonbynes et Louis Massignon. Cette omission était accompagnée de la désinformation faisant appartenir à "la mouvance depensée des Frères Musulmans" (re-sic) le grand érudit chaféite du Quartier latin, dont les articles savants étaient appréciés par de très exigeants arabisants comme régis Blachère et Charles Pellat.Quelques années plus tard, quand Kepel sera fasciné par les généraux algériens, il n'hésitera pas à mener des enquêtes policières à Alger pour aider ses nouveaux interlocuteurs des milieux sécuritaires éradicateurs à avoir une liste complète des étudiants qui avaient fréquenté le séminaire de Bennabi. L'Algérie compte une cinquantaine de bonnes universités qui emploient des chercheurs de renommée internationale. Mais Kepel n'a jamais cherché à les rencontrer. Il préférait conférer avec des généraux-majors impliqués dans l'acheminement vers la Lybie des importations passant par l'Algérie, à cause de l'embargo. On sait, depuis la chute de l'ancien DRS, qu'à chacune de ses apparitions à Alger, kepel insistait pour avoir un rendez-vous avec le PDG de 'la Sonatrach. Cela renvoie à la formule célèbre de Berque: "pour bon nombre d'Occidentaux, les Arabes ne seraient que les accessoires humains des puits de pétrole?".Plus récemment, Kepel n'honore de sa visite, quand il est à Alger, que le siège du journal Liberté, sans doute pour qu'on l'aide à compenser l'échec de ses demandes de rendez-vous avec le patron de la société pétrolière par une rencontre avec le milliardaire Issad Rabrab, qui finance ce quotidien.Avec ces antécédents, Kepel n'est pas le mieux placé pour jouer le rôle de "zaïm" d'une lutte efficace contre les radicalismes qui suppose une coopération internationale et l'implication du maximum d'intellectuels musulmans mieux à même d'influencer les jeunes attirés par le djihadisme que ceux qui assimilent le soutien aux Palestiniens à une tare, et se contenteraient de nouvelles enquêtes para-policières .Le ton et la démarche de Kepel enveniment ses relations avec les musulmans et le condamnent à n'avoir de relations qu'avec des « informateurs indigènes » dont le carriérisme étouffe les convictions. C'est ce qui rend quasi-impossible d'envisager avec lui « une coopération entre camarades de travail intellectuel »(Massignon) comme celle qui permit aux animateurs du Centre Culturel Islamique(Haïdar Bammate, Hamidullah, Eva de Vitray, Osman Yahia, Khaldoun Kinany, Nedjemeddine Bammate...), créé à Paris en 1952, d'avoir une concertation exemplaire avec des orientalistes probes et érudits comme Massignon, Massé, Laoust(que ne cite aucun des étudiants de kepel qui ont travaillé sur le salafisme) , Berque et Marthelot pour animer, et avec des moyens très modestes, une Université Ouverte sur l'Islam à la Sorbonne afin de répondre à l'importante demande de connaissances sur l'Islam, suscitée par la guerre d'Algérie.Il ne faut cependant pas "insulter l'avenir". Car une évolution satisfaisante de Kepel reste possible, ne serait-ce qu'à la faveur de « l'humanisme bourgeois tardif » cher à Edward Saïd ...Sadek SELLAM




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