Algérie

Le yoyo franco-tchadien



Avant de s'interroger sur ce qui se passe au Tchad, essayons de connaître cet Etat deux fois plus grand que la France, son ancien colonisateur, et dont les frontières sont héritées d'un découpage négocié entre Français, Anglais et Allemands. En première lecture officielle, le Tchad est une république démocratique parlementaire, autonome depuis 1958 et indépendante depuis le 11 Août 1960, avec une espérance de vie de... 48 ans à la naissance pour une population avoisinant les 10 millions d'habitants traversée par deux religions, l'Islam pour la majorité et le christianisme minoritairement animiste. Le PIB par habitant flotte autour de 3 dollars. Depuis le référendum du 06 juin 2005, le Président Idriss Deby peut se présenter autant de fois qu'il le souhaite aux élections présidentielles, et en tous cas plus de deux fois comme le stipulait l'ancienne constitution. Rien d'étonnant dans cette démarche purement africaine, contrastant avec les forums inutiles sur la bonne gouvernance, et nul n'y échappe. Sauf par la maladie grave, la mort ou le coup d'Etat. Comme tout pays africain caractérisé par une période coloniale suivie d'une période de renversements militaires, le Tchad se trouve dans une zone aujourd'hui déchirée par des conflits ethniques, religieux, politiques, d'intérêts auxquels est venue s'ajouter la question du Darfour frontalier. Exportateur de pétrole depuis 2004 pour une recette de 2 milliards de dollars, le pays dépend presque entièrement de l'étranger qui assure la construction des écoles et l'enseignement. L'ancien occupant frère et voisin libyen de la bande d'Aouzou, aujourd'hui retiré des territoires tchadiens, apporte un soutien inconditionnel au gouvernement, aux côtés de la France qui y mène une politique de coopération jusque-là sans failles. Une force militaire de protection du Darfour européenne pour moitié française devait se rendre prochainement au Tchad, opération à laquelle le président tchadien aurait manifesté quelque gêne du fait de la situation intérieure du pays. Seulement voilà, une ONG française, dénommée l'Arche de Zoé, jeu de mots en référence à la symbolique de sauvetage de l'humanité par le patriarche de tous les monothéistes, s'est vue impliquée dans une drôle d'affaire, soupçonnée de trafic d'enfants. Connue pour ses dénonciations des affres vécues par les populations du Darfour, l'un des thèmes privilégiés de Bernard Kouchner, actuellement ministre français des Affaires Etrangères. Connue pour ses actions humanitaires pour avoir établi un lien entre des familles d'accueil volontaires en France, aux fins d'héberger et de prendre en charge des enfants africains orphelins et malades le temps de leur guérison. Il s'agissait cette fois, d'acheminer du Tchad vers la France 103 enfants dans ce cas. Les autorités françaises étaient au courant, ainsi que les autorités tchadiennes. Les membres de l'ONG avaient préparé les autorisations nécessaires. Un avion espagnol a été affrété, des familles françaises attendaient l'arrivée des enfants en précisant qu'il ne s'agit nullement d'adoption et auraient même contribué à cette mission en faisant don de 2.000 euros chacune à l'ONG. Dès le ficelage de l'opération et au moment même de l'embarquement, le gouvernement tchadien intervient pour tout annuler en plaçant les enfants entre les mains des organisations internationales, mettant les membres de l'ONG ainsi que ceux de l'équipage en garde à vue pour « détournement d'enfants », de « réseau de pédophilie » ou encore de « trafic d'organes ». Sitôt l'affaire éclatée, le gouvernement français via Rama Yade, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères et européennes, chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'Homme de Sarkozy et d'origine sénégalaise, déclare l'opération illégale et semble indirectement soutenir la position tchadienne. Ces déclarations sont ensuite suivies et toujours dans le même sens par des hommes politiques de tous les horizons y compris la gauche. Et c'est là que les choses ne vont plus. Que la France ait besoin du Tchad pour sa politique africaine est une chose. La France vient péniblement d'obtenir la libération des infirmières bulgares et s'est attribuée tous les honneurs dans cette affaire rendue floue par l'intervention de l'ex-épouse du président. Les infirmières bulgares, une fois libérées, ont dénoncé la torture de la part des autorités libyennes dans l'affaire des « enfants sidaïques » malgré leurs « engagements écrits » de ne pas porter atteinte à l'image de la Libye. Cette affaire avait eu, rappelons-le, des répercussions internationales sur ce pays, qui prône depuis longtemps la nécessité de l'utopique fédération des Etats africains. Sarkozy s'est rendu chez le guide de la révolution libyenne dernièrement, et de gros enjeux économiques français dont le nucléaire civil sont en train de se jouer. Kaddafi s'apprêterait à effectuer une visite officielle en France et en marge du sommet Afrique-Union européenne, en attendant les conclusions de la commission parlementaire sur la libération des Bulgares. La Libye semble imposer le préalable de la participation des factions « rebelles » pour le dénouement de la crise au Darfour; et le cas des membres de l'Arche de Zoé reste suspendu à des tractations politiques où la France semble prête à sacrifier une association pour ses intérêts. La France refusant d'être épinglée par cette affaire semble refuser d'entrevoir dans l'action humanitaire un signe d'extrême pauvreté qui la pousserait de mettre la main à la poche. La France sait que l'état de la gouvernance en Afrique est pitoyable mais continue à faire comme s'il elle avait affaire à des Etats au sens propre du terme. Qu'il y ait eu trafic d'enfants ou autres délits annoncés par le président tchadien, avant même l'instruction de l'affaire par une justice « indépendante », restera un signe fort à l'attention de la politique étrangère de Sarkozy représentée en premier lieu par le locataire du Quai d'Orsay, fin connaisseur des questions du Darfour. Les ONG, dont le travail reste louable par ailleurs, réfléchiront à deux fois avant de s'engager dorénavant dans une action humanitaire de cette envergure. La pauvreté gagnera une fois de plus et la démocratie en Afrique continuera à jouer au yoyo avec le monde développé.


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