Etudie-t-on Le lac des cygnes à l’Ecole de Bordj El Kiffan, chargée des arts de la scène ' Les membres du Ballet national l’ont-ils abordé d’une manière ou d’une autre, ne serait-ce que pour leur culture générale ' Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’en apprenant, comme tout le monde, la nouvelle de la fuite de nos neuf danseurs à Montréal, sept garçons et deux filles, j’ai tout de suite pensé à ce ballet en quatre actes créé par le grand maître Tchaïkovsksi et joué la première fois en 1894, au Théâtre impérial de Saint-Petersbourg, en l’absence de son créateur qui, entre-temps, avait rendu l’âme.
En parcourant les lignes des journaux, en épluchant les dépêches d’agence, en décryptant les moteurs de recherche, eh bien, toutes ces nouvelles de la fugue en out mineur, au lieu de me nourrir d’informations, m’ont procuré une vision. Celle d’une sorte de ballet d’actualité, où j’imaginais les neuf, dans leurs chaussons, tutus et collants blancs immaculés, s’envoler dans les cieux avec de gracieux glissements aériens, des entrechats légers, des battements harmonieux de bras pour soutenir leur envol et, sur leur visage, une béatitude d’anges. Passée cette belle hallucination – provoquée par aucune substance, faut-il le préciser –, j’ai convoqué la partie de mon cerveau qui me sert ordinairement à raisonner et à rédiger en l’occurrence les lignes hebdomadaires que je vous dois.
Je n’y ai trouvé que de sombres pensées, une immense peine et de la déchirure à gogo, presque comme si mes propres enfants m’avaient renié et abandonné. J’y ai trouvé aussi du ressentiment à l’égard de ces neuf, pensant aux conséquences qui pourraient en résulter pour les artistes algériens qui ont déjà bien du mal à se rendre à l’étranger et qui, désormais, seront sans doute encore plus contrôlés ou contingentés. De là, j’ai eu un instant la tentation de les condamner, mais j’ai fermé aussitôt le neurone qui me proposait de le faire, me souvenant comment je pensais à leur âge, avec une exaltation sans bornes, de la passion à en revendre et une rage de vivre aussi vaste que trois continents et deux planètes lointaines.
Les mots de cette danseuse – "Adieu l’Algérie !" – avec tout le mal qu’ils peuvent faire, ont fait écho à ceux d’une jeune femme qui, le matin-même, alors qu’elle ignorait la nouvelle, me disait : «Je me demande si je ne vais pas quitter le pays». Il y a là un désastre culturel qui devrait provoquer un immense débat. Mais comment l’espérer quand on n’écoute jamais les jeunes et qu’on ne leur donne, d’ailleurs, rarement la parole ' On parle souvent d’eux sans eux, ou alors avec eux, mais pour leur asséner alors des vérités toutes faites, de vagues promesses, des interdictions à la pelle ou des remontrances morales ou soi-disant.
Tchaïkovski est mort sans voir jouer son Lac des Cygnes. L’Algérie voit-elle ses enfants qui, chaque jour que Dieu fait, lui envoient des signes bien plus évidents qu’une chorégraphie '
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Posté Le : 27/11/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ameziane Farhani
Source : www.elwatan.com