Algérie

LE VILLAGE D'EL EUBBAD



LE VILLAGE D'EL EUBBAD
Adossé au flanc Nord de la montagne du Mefrouch, El-Eubbad est un petit village satellite de la ville de Tlemcen, situé à quelques deux kilomètres au Sud-Est du centre ville.

Il surplombe ainsi majestueusement l'Oued Safsif et la plaine de la Mounya. Cette position privilégiée à plus de 800 m d'altitude, confère à ce site un climat tempéré, qui en a fait, jusqu'à une date très récente, un lieu de villégiature privilégié. Protégé des vents chauds du désert par la montage du Mefrouch, son exposition au Nord procure au site d'El Eubbad les bienfaits rafraîchissants des vents marins. Ceci lui assure donc un air pur continuellement renouvelé. Les sources y sont abondantes, avec en corollaire, la présence d'une végétation luxuriante.
Une route, qui suit le parcours de l'ancien chemin en traversant El Eubbad Es-souffli, relie le village au reste de la ville. Après avoir croisé le boulevard périphérique à l'endroit où se dressent encore les vertiges de Sidi Abou Ishak Ettayar, cette route se prolonge en remontant jusqu'au pied du mausolée de Sidi El-Eubbad.

Il est très peu probable que le site d'El-Eubbad ait été habité avant le moyen-âge.
L'homme préhistorique de la région a semble-t-il préféré pour son habitat des sites voisins plus sécurisants, tels El Ourit à l'Est et les grottes naturelles de la Madjidia, de béni Boublène et du canyon de Bouhennak à l'Ouest.
Dans l'antiquité, on ne signale aucun ouvrage à cet endroit, si ce n'est le passage d'une canalisation d'eau alimentant POMARIA (Sakiet Ennasrani).
C'est donc au moyen-âge que ce site entre dans l'histoire, en commençant par être un lieu de sépultures et un rendez-vous des ascètes, d'où l'ancien nom d'El Eubbad ( les Adorateurs ) donné à cette localité.
Bien avant l'enterrement à cet endroit du célèbre soufi Sidi Boumediène Choaïb patron de Tlemcen, qui légua son nom à l'un des plus prestigieux complexes architecturaux de cette ville ce lieu avait déjà recueilli les restes de plusieurs « Oualis et distinctions ».
On note en outre, l'existence initialement à cet endroit d'une fortification (Ribat), dont il est difficile de cerner l'emplacement.
Certains historiens la situent à l'emplacement où fut édifiée la Medersa Merinide, alors que Brosselard en signalait encore les ruines au 19ème siècle, « on y voit encore les ruines d'un ribat (ou couvent de religieux – guerriers), qui florissait au temps des Almohades, curieux spécimen de l'architecture de cette époque reculée ». Contrairement à Tlemcen, il apparaît assez probable que le village d'El Eubbad se soit développé d'Ouest en Est. Les sources historiques indiquent qu'il se divisait en deux quartiers, El Eubbad Es-Soufli ( le bas ) et El Eubbad El-Fouqui ( le haut ).
El Eubbad Es-Soufli fut vraisemblablement le premier noyau habité. Il s'étendait « d'Aïn Ouazouta » à l'Ouest jusqu'à Sidi Abou Ishaq Ettayar à l'Est. Ce quartier fut un lieu de piété qui comptait cinq à six mosquées et un certain nombre d'oratoires. « c'était comme l'annexe religieuse de Tlemcen-la-Guerrière. L'une a suivi le sort de l'autre ». Le quartier comportait des habitations, bains publics, marchés et jardins. De ce grand ensemble il n'en subsiste actuellement que quelques vestiges éparses.
Le mystère lié à la disparition de cet ensemble n'a pas pu être élucidé historiquement. La raison invoquée se rapporte à une légende, qui fait part d'un conflit ayant opposé les habitants d'Agadir à ceux d'El Eubbad Es-Soufli.
Ce conflit a dégénéré pour se transformer en guerre civile entre les deux entités, dont le résultat en fut la destruction du tissu architectural.
Quant à El Eubbad El-Fouqui, il ne connut un développement significatif qu'après l'édification par le souverain Almohade Nasser Ibn El Mansour du mausolée qui abrita la tombe de Sidi Boumediène, après la mort de ce dernier, survenue en l'an 1197.
Ce quartier s'élargira encore au 14e siècle, période à laquelle le mérinide Abou l'Hassan édifia autour du mausolée, l'imposant complexe que nous présenterons ultérieurement (moquée, medersa, petit palais ...etc.). « L'ensemble allait attirer ainsi les pèlerins de tout le Maghreb ».
En complément à cet ensemble, le quartier qui fut entouré des quatre côtés par des jardins luxuriants, comptait quatre autres mosquées disparues depuis. Ce furent les mosquées de Sidi Brahim Naâr, Sidi El Houari, la mosquée Errahma et la mosquée Salah.

Jusqu'à une date très récente (début des années 90), le village d'El Eubbad constituait un passage obligé pour chaque visiteur de la ville de Tlemcen. Les habitants de la ville eux mêmes s'y rendaient très souvent pour se recueillir sur la tombe de Sidi Boumediène, ou profiter de la fraîcheur des lieux en été.
La dégradation de la situation sécuritaire, durant les années 90, a touché de plein fouet cette zone particulière. L'incendie criminel du mois de Décembre 1994 a touché aux grands symboles d'El Eubbad à savoir le mausolée de Sidi Boumediène et celui de Sidi El Eubbad.
Au plus fort de la crise, El Eubbad est devenu un village presque fantôme, où la majorité des commerçants ont fermé boutique. Un certain nombre d'habitants ont même dû quitter leurs maisons pour s'installer en ville.

Sur le plan architectural et urbanistique, El Eubbad a beaucoup perdu de sa splendeur.
Des travaux de modernisation y ont été effectués à la période coloniale. Il s'agit ainsi de l'installation vers la moitié de ce siècle des réseaux d'adduction d'eau, d'égouts et de voiries. L'électrification de ce centre a été achevée en 1945, et le village comptait en 1956, 5.591 habitants.
Depuis, plusieurs autres transformations y ont été apportées.
Un grand nombre de maisons traditionnelles ont été abandonnées et sont tombées en ruines. Plusieurs autres ont été démolies et remplacées par de nouvelles constructions à structures en béton armé.
Ainsi, chaque moment qui passe entraîne une nouvelle perte irremplaçable d'un héritage ancestral commun, typique à ce haut lieu d'histoire et de culture séculaire.
Il est temps de prendre conscience du danger irréversible que représentent ces pertes et d'arrêter le massacre, afin de pouvoir transmettre à nos enfants l'infime partie qui reste de ce legs, sans lequel, ils perdraient définitivement les quelques repères les liant encore à leur territoire et à leur culture.


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