Le verbe fermer porterait malheur

Dans les grandes agglomérations urbaines, les choses, à l'évidence, sont plus nuancées, tout spécialement chez les anciens, nos aînés.
Par exemple, les femmes dans ce milieu ne disent jamais «fermez la porte» même si, en dépit du bon sens cette porte devrait être fermée.
Pour une bonne raison semble-t-il, elles ont une horreur viscérale de ce mot auquel elles attribuent des pouvoirs maléfiques.
Leur débilité va jusqu'à prétendre que fermer quelque chose ferait barrage à tous les bienfaits du ciel qui pourraient venir, à toutes les bénédictions qui pourraient entrer dans la maison et qui seraient tentées de repartir. Cela donne souvent lieu à des situations pour le moins burlesques et carrément stupides.
Car en fin de compte que devraient-elles dire, ces bonnes femmes, à un étranger qui veut fermer la porte derrière lui '
«Ouvrez la porte» ', il répondrait surpris qu'elle est déjà ouverte. Ou «Fermez la porte» qui serait plus juste, mais cette expression elles ne la prononceraient jamais.
A force de couper les cheveux en quatre, elles ont fini par trouver la parade en nuançant légèrement leurs propos.
Au lieu de dire : «Fermez la porte», elles lui préfèrent désormais «Roudou el-bab» (remettez la porte à sa place).
Cela évite en tout cas le «bala' el-bab».
Ne pouvant chasser le diable et le mauvais sort, en changeant de vocabulaire, ces aînées ont pris la résolution de parler désormais non pas avec les mains comme toutes les Méditerranéennes mais d'en faire des armes pour éloigner les envieux.
Si vous discutez un jour avec une de ces citadines, observez attentivement sa main droite.
Elle ne s'empêchera jamais de vous brandir, mine de rien, ses cinq doigts en face des yeux. Dans sa tête hélas, tous les étrangers qui sont par principe méchants peuvent menacer son bonheur n'importe quand. Et ce n'est pas pour rien que la main de Fatma en fer, en or ou en bois a été inventée.
Elle est toujours suspendue à un mur de la maison ou au pare-brise.