Algérie

Le verbe en bandoulière


Le verbe en bandoulière
Deux confrères partis soudainement, brutalement, presque pudiquement, le bouche à oreille aidant, pour enfin avoir des nouvelles de collègues côtoyés dans différentes rédactions. Et ce ne sont pas les meilleures. Comme trop souvent ces dernières années. Et alors que lors de la décennie noire, la corporation, qui a payé un lourd tribut en perdant 76 hommes et femmes de plume, se tenait constamment en alerte tout en souhaitant qu'il n'y ait pas une nouvelle victime chaque jour que Dieu fait en ces années 1990, voilà qu'aujourd'hui, s'étant perdus de vue, chacun vaquant à ses préoccupations qu'elles soient professionnelles ou personnelles, il ne reste que les nouvelles éparses qui parviennent d'une tiers personne, les évocations, la nostalgie des jours heureux où l'on passait des nuits entières bercés par le téléscripteur, par nécessité de service... L'étendue du champ médiatique, les nouveaux locaux où les journalistes arrivés à la fin d'une carrière bien remplie, fondent leur propre journal, éloignés les uns des autres, ou tout simplement partis à la retraite alors que la profession, il ne saurait y avoir de retraite, beaucoup plus crainte que salvatrice comme n'importe quel métier... ont fini par étioler les rencontres, les rendez-vous... même entre potes. Alors qu'en plus des rédactions, il y avait les longs gueuletons au resto habituel du coin, les déplacements en mission à l'intérieur du pays, les festivals dans les grands centres urbains, à défaut d'un club de presse auquel il n'est nullement songé au moins pour étayer le travail à l'intérieur de la rédaction, pour un plus d'apprentissage, de débats, d'échanges, et ma foi de rencontre tout bonnement ! Mohamed Raber, Cheïkh Rabee, rabee du printemps qu'il idolâtrait, ce sobriquet par lequel on l'appelait et qui lui sied si bien, est parti comme il a toujours vécu. En retrait. En marge de la société. La sienne qu'il aimait tant regarder de loin, commenter, critiquer et lui pardonner, parce qu'il l'aimait tant et tellement, ce fils de quartier populaire, pour la comprendre mieux que quiconque. Au point de se faire marginal sans pour autant s'éloigner du peuple dont il était issu. La sensibilité à fleur de peau, lorsqu'on prenait la peine de regarder de plus près Cheïkh, non, enfin de l'écouter, était impossible à détecter sur sa grande silhouette imposante, omniprésente qu'il essayait d'effacer pourtant sans jamais y arriver. Il suffisait de titiller Cheïkh, pour l'entendre entonner un proverbe bien de chez nous, bien d'Alger, lui l'Algérois fini, oulid el Aâsima qu'il était, taquinant les qcid, pour l'air de rien, dire avec sérieux ce que la morale n'a de cesse d'éventer, se faisant le relais de cette poésie chaâbi faite pour aimer, et se faire aimer, comme devait être la vie, tout simplement... comme il aimait les fleurs, ces boutons qu'il coinçait au revers de son veston, ou encore cette menthe fraîche ou ce jasmin qui manquent tant à Alger, en humant profondément le parfum comme pour en extirper le suc. Il aimait la vie et la chantait en refrain chaâbi, en classique français, Bécaud, Brassens, Aznavour, et Julio pourquoi pas, à ses heures détendues...non sans une ouïe attendrie au chant des canaris qu'il choyait tant. Et puis il y avait les chats, qu'il s'empressait d'aller nourrir de sardines là-haut à Fontaine fraîche et qui eux aussi le sentant venir faisaient la fête autour de lui... Cheïkh Rabie, c'était tout cela et bien plus encore. Lui qui, le verbe facile, châtié à souhait, invoquait les règles de grammaire, jouant du mot, se jouant de la métaphore, son parler de toujours, le français dans la poche. Succulentes tournures à saisir au vol dans ses billets légendaires, ses chroniques. De l'autodidacte au journaliste, il n'y avait qu'un pas. Et il était franchi superbement. Que cela soit à ses débuts dans le défunt journal l'Opinion au début des années 1990, ou encore à l'Authentique ou même au Buteur, et bien d'autres titres encore, Cheïkh, dont les billets opportuns et pertinents toujours ne sont pas près de rejoindre l'archive. La mémoire qui ne saurait tomber dans la traîtrise, ne peut lui trouver d'égal. Ni d'oubli. Repose en paix, Cheïkh.


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