Le vent du
changement souffle sur ce continent. Que nous le voulions ou non, cette poussée
de la conscience nationale est un fait politique. Harold MacMillan, 1960.
Le discours
appelé «Wind of-Change» donné
par le Premier ministre britannique Harold Macmillan le 10 janvier 1960 à Accra
puis devant le Parlement sud-africain le 3 février de la même année au Cap,
était une sorte de «Je vous ai compris» adressé aux mouvements indépendantistes
de l'Afrique sub-saharienne qui avaient défrayé la chronique mondiale durant
les années 50. Le discours de MacMillan indiquait clairement que son
gouvernement prévoyait d'accorder dorénavant l'indépendance à une grande partie
de ses colonies africaines, ce qui eut effectivement lieu dans les années 1960.
Ces mouvements pour la liberté et la dignité eurent beaucoup d'échos dans le
reste du tiers-monde ainsi qu'aux Etats-Unis où le mouvement des droits
civiques des Noirs avait pris de l'ampleur durant les années 60, sous
l'impulsion de figures charismatiques comme le pasteur Martin Luther King Jr. ou Hadj Malcom X.
Ce mouvement
revendiqua le droit de vote, la déségrégation et l'emploi des minorités. Il
prôna la doctrine de désobéissance pacifique comme stratégie de lutte tout en
maintenant la pression haute sur les gouvernants. Il était parvenu à hisser le
niveau de la contestation des sphères purement politiques et économiques à
celles de la morale et de la conscience. Pour M. Luther King, la ségrégation
raciale constituait le drame de toute une nation qui aurait perdu ses repères.
Il souligna que le recours à la désobéissance civile était justifiée face à
l'injustice à laquelle ils étaient victimes, mais que chacun avait «la
responsabilité morale de désobéir aux lois injustes» mais de façon pacifique.
Pour le leader noir, «une injustice où qu'elle soit est une menace pour la
justice partout». Il adopta la doctrine de non-violence et resta opposé jusqu'à
la fin de ses jours à la radicalisation du mouvement Afro-américain. Il fut
persuadé que «les émeutes ne règlent rien» et qu'une guérilla à la Che Guevara n'était,
en fait, qu'une «illusion romantique». Il croyait sincèrement que la violence
était préjudiciable à la cause défendue car elle débouchait inévitablement sur
le cycle violence-répression :
«L'ultime
faiblesse de la violence est que c'est une spirale descendante, engendrant la
chose même qu'elle cherche à détruire. Au lieu d'affaiblir le mal, elle le
multiplie. En utilisant la violence, vous pouvez tuer le menteur, mais vous ne
pouvez pas tuer le mensonge, ni rétablir la vérité. En utilisant la violence,
vous pouvez assassiner le haineux, mais vous ne pouvez pas tuer la haine. En
fait, la violence fait simplement grandir la haine. Et cela continue… Rendre la
haine pour la haine multiplie la haine, ajoutant une obscurité plus profonde à
une nuit sans étoiles. L'obscurité ne peut pas chasser l'obscurité : seule la
lumière peut faire cela. La haine ne peut pas chasser la haine : seul l'amour
peut faire cela.»(1)
Les pacifistes
noirs américains furent influencés par le modèle de lutte adopté par le leader
charismatique Indien, Mohandas Gandhi, reconnu comme
le précurseur du recours à la non-violence comme tactique de lutte contre le
colonialisme britannique. Ghandi joua un grand rôle
dans le processus d'indépendance du sous-continent indien et d'autres parties
du monde. Cependant, ni les contextes socio-historiques, ni les acteurs
politiques en opposition et ni les buts recherchés dans la lutte à la fois chez
les Indiens et les noirs américains n'étaient semblables. D'une part, le
mouvement noir américain réclamait la liberté, la légalité, la justice et un
assortiment de droits civiques pour la minorité des afro-américains qui ont
remarquablement contribué à l'Independence,
l'édification et au progrès de la nation américaine. D'autre part, le mouvement
Indien réclamait le droit à l'auto-détermination
d'une majorité d'Indiens qui souffraient dans la pauvreté, l'ignorance, le
sous-développement et l'exclusion sous un régime colonial étranger de type
aristocratique. Cette différence de taille fut perçue par les leaders noirs
américains. M. Luther King tenta de rééquilibrer sa stratégie de lutte
non-violente lorsqu'il affirma que la fin ne pouvait justifier les moyens contrairement
à la formule consacrée de Nicholas Machiavel [79] :
«J'ai toujours
prêché que la non-violence demande que les moyens que nous utilisons doivent
être aussi purs que la fin que nous recherchons. J'ai essayé de rendre clair
que c'est mal d'utiliser des moyens immoraux pour atteindre une juste fin. Mais
je dois affirmer maintenant que c'est aussi mal, voir pire encore, d'utiliser
des moyens moraux pour préserver une fin immorale.»(2)
Cctte déclaration de
M. Luther King semblait être plus un avertissement aux autorités américaines
qu'une concession à l'aile radicale du mouvement contestataire noir animée
alors par Stokely Carmichael, président du SNCC (Student Non-Violent Coordinating Committee ou Comité
Estudiantin de Coordination Non-Violente). Le groupe
de jeunes militants noirs montèrent au créneau en réclamant ouvertement un
«pouvoir noir» (Black power). Ils ne pouvaient supporter d'être traités en
citoyens de troisième classe et d'accueillir avec des fleurs les agents du FBI
qui souvent les brimaient sans ménagement. Leurs leaders avaient été
constamment harcelés, dénigrés et traités de démagogues hypocrites par des
hommes politiques et des médiats américains racistes. Les Noirs réclamaient,
autant que le reste des minorités sociales, une société égalitaire et
démocratique, d'un véritable melting-pot dans lequel viendraient fondre les
différences raciales, culturelles et cultuelles. La Déclaration
d'indépendance ne stipulait-elle pas clairement que «tous les hommes sont nés
égaux» et que les gouvernements tenaient leur légitimité et leurs pouvoirs «du
consentement des gouvernés». Ces principes égalitaires avaient été, selon eux,
tout simplement bafoués.
Lassés de
quémander la philanthropie et la mansuétude des blancs, ils décidèrent de
prendre leur destin entre leurs propres mais et s'engager sur le chemin de la
révolte. Carmichael encouragea des actions directes et fortes sur le terrain
car dit-il «attendre a presque toujours signifié jamais». L'agitation noire des
années 60 fut l'expression de cette lassitude d'attendre des réponses claires
et au mieux des gestes concrets de l'administration américaine sous la
présidence de Lyndon B. Johnson qui était plus
préoccupée par la sale guerre du Vietnam. L'histoire les conforta dans leur
choix dans la lutte pour leurs droits civiques. Le modèle de la résistance
non-violente adopté par Martin Luther King Jr et Malcom X avait atteint sa limite, s'avérant inefficace. Ils
s'étaient donc résolus à «arracher» leurs libertés et droits par l'usage de la
force. Une série de manifestations éclatèrent à travers le pays de l'Oncle Sam (et aussi de l'Oncle Tom) et gagnèrent plusieurs villes
américaines, de la Floride
à la
Californie. Considérées comme illégales, ces manifestations,
pacifiques au départ, se terminèrent par des échauffourées avec la police
locale qui usa de chiens et de jets d'eau pour disperser les manifestants. La
tension atteignit son paroxysme.
Burn, Baby Burn ! (Brûle, Chérie, Brûle !)
Dans les villes
du Nord et de l'Ouest, la recrudescence de la violence devenait préoccupante.
Les affrontements du quartier de Watts dans les faubourgs de Los Angeles (Californie) en Juillet 1965, avaient duré six
jours. Il en résulta de sévères dégâts matériels dans la ville, de nombreux
blessés et des arrestations de manifestants noirs qui scandaient le fameux
slogan «Burn, Baby Burn !»
à l'endroit de l'Amérique brûlant sous les feux de la violence urbaine. Ces
cris secouèrent fortement la conscience américaine qui venait de réaliser que
tout n'allait pas bien dans le melting-pot. Il convient de remarquer,
toutefois, que le malaise social aux Etats-Unis n'était pas l'apanage de la
population noire seulement car ces mêmes cris avaient été lancés par les
couches sociales les plus défavorisées de la population blanche, celle que
William Graham Summer appelait les
«laissés-pour-compte» du capitalisme ultra-libéral américain.
La jeunesse
américaine, toutes races confondues, alors désemparée, désorientée et
désillusionnée, commençait à perdre sa foi en le rêve américain sérieusement
ébranlé, un rêve qui avait tant bercé des générations entières, de Thomas
Jefferson à John Fitzgerald Kennedy.
A l'ère du twist
et du Rock&Roll, bon nombre de jeunes déprimés, s'adonnèrent à toutes
sortes de stupéfiants, scandant des slogans bizarres tels que l'institution
d'un pouvoir… par la drogue (Flower Power), une
revendication farfelue qui bousculait, néanmoins, les valeurs morales
américaines. Les plus branchés d'entre eux joignirent des groupes de musique
protestataire ou simplement dansèrent sur le rythme de «I can
get no satisfaction» (Je ne suis pas satisfait) après
avoir trinqué à la santé de l'American Way of Life nouveau (mode de vie américain).
Les nombreux cris
de révolte, signes d'une société en crise, avaient été traduits, de façon moins
dramatique, à travers une caricature publiée probablement dans le magazine
américain Time du 30 Août 1965. Le dessin humoristique illustrait parfaitement
le désenchantement de cette jeunesse écartelée entre un isolationnisme confortable
et un engagement militaire au Vietnam au nom d'un nationalisme débridé. L'on y
voyait un jeune Beatnik aussi maigre qu'un clou et un capitaliste joufflu et
ventru tirant sur un gros cigare, côte à côte, contempler une vue panoramique
de la baie de New York, symbole du l'utra-capitalisme
libéral. La bulle du jeune disait «Burn, Baby Burn,» celle du capitaliste affichait «Love it or Leave it»
(Aime le ou Quitte le). En langage algérien cela aurait donné «Hani Rohek Wala
Galaa» (Tiens toi à carreau ou prends le Radeau !) ou
encore «Belaa Wala Galaa» (Ferme la ou casse toi !), un langage qui, du reste,
n'est pas spécifique à l'Algérie mais se tient aussi dans la plupart du monde
africain et arabe (les pays de l'ex-bloc de l'Est et une bonne partie des pays
de l'Amérique Latine ont, à leur avantage, appris à mieux s'insérer dans le
monde moderne après la chute du Mur de Berlin en démocratisant leurs systèmes
politiques).
Cette expression
vue comme provocatrice du côté des blancs fut attribuée à un disc-jockey d'une
radio Rhythm & Blues du nom de Nathaniel Magnificent Montague co-auteur avec Bob Baker d'un ouvrage intitulé : «Burn Baby Burn: The Autobiography of the Magnificent Montague.» (Brûle Chérie, Brûle : L'autobiographie de Magnificent Montague). Sous la pression
du directeur de la station de radio, le disc-jockey, Magnificient,
fut contraint d'abandonner son slogan populaire au moins durant les émeutes de Los Angeles et le remplacer par «Have Mercy, Los Angeles!» (Los Angeles, Pitié
! ). Des décennies après, le groupe punk pop or rock
alternatif d'Irlande du Nord, Ash, immortalisa cette
expression dans une belle chanson portant le même titre à savoir «Burn, Baby, Burn !» enregistrée
en 1999 et dans laquelle le groupe exprima la déprime et la désillusion d'une
jeunesse (européenne) déboussolée en quête de nouveaux repères.
Les émeutes se
succédèrent et se ressemblèrent. Celles de 1967 eurent l'air beaucoup plus
d'une rébellion contre l'autorité qu'une révolte contre l'injustice. A Détroit
(Michigan), une ville qui tenta malgré tout de favoriser le cosmopolitisme et
faciliter le dialogue des races ne fut pas épargnée par la vague de
contestation violente. Mais les heurts les plus spectaculaires eurent lieu en
juillet de la même année à Newark (New Jersey), entre des jeunes manifestants
noirs infiltrés de loubards et les éléments de la Garde nationale et la police
locale. Ce fut un véritable désastre : beaucoup de casse et des blessés. La
flambée de violence s'étendit à des villes aussi éloignées que Tampa (Floride),
Cincinnatti (Ohio) et Minneapolis (Minnesota). Des
appels pour une révolution furent lancés par radio par des noirs réfugiés à
Cuba. La nation américaine était prise dans l'étau de la violence interne et
l'engrenage de la guerre du Vietnam. Qu'en est-il aujourd'hui des révolutions
du printemps arabe ?
LE PRINTEMPS EST
CHAUD, COMMENT SERA L'ETE?
C'est dans un
climat de grandes turbulences que les pays du monde arabo-musulman
évoluent aujourd'hui. Les terribles bouleversements qui ont ébranlés la Tunisie, la grande Egypte,
et maintenant le Yemen et la Djamahirya
Libyenne et peut être d'autres encore, ont offert exactement
l'envers du décor de ce qui se passa aux Etats-Unis durant les années 60 : dans
cette partie du monde arabe, ce sont les dictateurs déchus de ces même pays qui
ont cherché à «brûler» leurs pays respectifs tandis que leurs peuples leurs
criaient à la face «Irhal ! Irhal»
(«Dégage !» ou comme dans la chanson «leave it !»), ironie du destin ou caprice de l'histoire.
Le singulier colonel
Kaddafi, le citoyen-empereur
ainsi que son gosse Saif, n'avaient pas caché leurs
intentions de mettre leur pays à feu et à sang, comme dans la chanson, par
«amour» de ce pays et… aux milliards de dollars qu'engendre chaque année les
revenus pétroliers que l'opposition armée Libyenne veut consacrer après sa
victoire, à l'édification d'un Etat républicain libyen viable doté d'une armée
moderne et d'institutions claires et stables. Le frère Mouamar
reste après tout un révolutionnaire romantique qui voue «un amour destructeur,»
pour la terre qui enfanta des héros comme Omar Mokhtar.
«C'est tout ce que nous avons. Un amour destructeur, c'est tout ce que je
suis,» nous renvoient les déclarations du Roi des Rois dans ses rares sorties
télévisées. En regardant à travers Aljazeera la belle
Cyrénaïque brûler, il semblait lui dire dans un élan hystérique «Brûle, Chérie,
Brûle.»
Le colonel et ses
gosses décident ainsi de dératiser le pays menacé par des mulots rebelles
empestés. Il ne se gêne pas de mettre les bons moyens, à fond la caisse. La
guerre contre le régime du colonel a commencé d'abord par une bataille
médiatique que le maître d'Alaziziya avait perdu dès
ses premières sorties télévisées. Il a juste fourni les bonnes images et
déclarations que ses détracteurs, sinon, ennemis attendaient de lui. Il a
parfaitement endossé l'uniforme de Mussolini ou d'Hitler en voulant pourchasser
ses sujets quartier par quartier, maison par maison, individu par individu, en
termes clairs, les exterminer. Isolé dans son bunker de tripoli, il comprit
tardivement l'enjeu. Il se pressa de louer les services de boites de
communication britanniques et américaines qui devaient lui avoir conseillé
simplement de se taire, ses sorties médiatiques ayant causé des dégâts
irréversibles. Le prolongement de la guerre en Libye semble être le fait de
tactiques des occidentaux engagés dans le conflit pour, d'une part affaiblir
les deux parties et d'autre part élever l'ardoise de l'effort de guerre et
bénéficier de marchés importants dans la reconstruction du pays et s'assurer
des approvisionnements énergétiques après la victoire de l'opposition rebelle.
Le président
Yéménite éclairé, Ali Abdallah Salah, continue d'en faire autant pour son pays.
Il ne sait plus sur quel pied danser. Dans ses tourments, il émule Kaddafi et défie son peuple qu'il qualifie de bandits de
grands chemins, d'intégristes et d'obscurantistes défiant la modernité. A
l'entendre discourir, l'on se croirait dans un autre âge. Les despotes
tunisiens et égyptiens déchus, après avoir agité le torchon de la menace
intégriste interne et de la Qaeda, finirent par rendre le tablier
avant que le feu n'atteigne leurs demeures et ne les consume entièrement. Les
despotes arabes ont été surpris de voir leurs peuples se relever comme un seul
homme, bravant la peur, vomir leur colère sur eux et exiger leurs départs. Le
«Je vous ai compris» gaullien de Ben Ali et «mon peuple m'aime» de Moubarak
n'avaient pas suffit à les prémunir du Tsunami de la contestation sociale
pacifique. Tandis que le premier se plaignait d'avoir été mal informé par ses
services, le second réalisait tardivement que les informations que ses services
lui livraient étaient superficielles, tronquées ou incorrectes.
Les chancelleries
occidentales avaient été, pour la plupart, prise de
court par la rapide succession des évènements. Après moult hésitations, elles
ont pu s'adapter aux bouleversements et même dans certains cas les piloter.
Certains
observateurs ne sont pas allés du dos de la cuiller et ont tout simplement évoqué,
dans leurs analyses, la possibilité de coups d'états blancs dans en Tunisie et
en Egypte. Selon leur théorie assez simpliste, les armées de ces deux pays
auraient joué un rôle décisif dans le pourrissement de la crise interne et
conspiré donc contre leurs dirigeants respectifs en les poussant à la porte de
sortie pour ensuite récupérer «légitimement» et sans tirer une seule balle
contre les manifestants, le pouvoir devenu vacant. Ensuite c'est l'armée
elle-même (cas de l'Egypte) ou une équipe d'anciens politiciens ressortis du
placard (cas de la Tunisie)
qui prend le relais de la gestion de la transition (qui peut durer plusieurs
années), le temps de reconstruire le régime délabré avec de nouveaux/anciens
acteurs sur de nouvelles bases pour s'insérer dans un ordre mondial aux
contours encore flous. Si la situation actuelle en Egypte indique une certaine
stabilité dans les rues et places du Caire, ce n'est encore le cas en Tunisie
qui semble être écartelée entre plusieurs choix : retourner à une forme d'autoritarisme
soft et remettre la machine économique en marche ou créer un gouvernement
d'union nationale qui permettrait l'entrée au pouvoir des islamistes d'El-Ghanouchi de retour de son exil anglais et favoriserait
aussi le retour d'ex partisans du RCD dissous. Les évènements du conflit libyen
qui risquent de déborder sur ses frontières, l'agitation continue de la rue
dopée par sa révolution et en quête de lendemains meilleurs, une économie en
panne avec un taux de chômage impressionnant, l'afflux de réfugiés libyens et
étrangers dans son territoire sont des indicateurs d'une crise tunisienne qui
pourrait non seulement durer longtemps mais aussi prendre des tournures
désastreuses pour ce pays voisin.
L'instabilité de la Tunisie pourrait être un
sérieux casse-tête supplémentaire après celui de la Libye non seulement pour
l'Algérie et les pays du Sahel mais aussi pour bon nombre de pays
méditerranéens d'Europe, notamment l'Italie et la France.
L'un des problèmes fondamentaux de la plupart
des régimes arabes non démocratiques est leur mauvaise ou absence de
communication avec leurs populations. Généralement, les gouvernants se
suffisent de «dialoguer» avec des «représentants» de la société civile
généralement coopté par leurs services, ce qui rend le
dialogue insensé. Certains d'entre eux ont la fâcheuse tendance à gérer des
territoires symbolisés par des drapeaux et des hymnes nationaux mais non pas à
gouverner sur des peuples. Ils considèrent le peuple comme étant une entité
vague et instable sur laquelle il n'est pas possible de fixer une image. Les
seules images stéréotypés renvoyées par leurs médias montrent un algérien
nerveux à la limite de l'hystérie, un tunisien commerçant par excellence et
soumis, un marocain plutôt derviche-tourneur attaché
à la monarchie, et un libyen révolutionnaire en quête de bataille. Il est sûr
que ces images grossières à la limite de la caricature ne reflète en rien la
réalité de ces peuples pacifiques qui n'aspirent qu'à mener dans leur propre
pays une vie décente et dignité.
Chez les
dictateurs, le peuple ne pèse pas beaucoup dans leurs calculs politiques
puisqu'ils incarnent eux-mêmes la volonté populaire et en sont la pure
émanation. Le colonel Kaddafi clamait tout haut à qui
voulait entendre, que c'était lui qui avait «crée» la Libye. Il aurait dû dire
«fonder» ou «construire» son pays car la création l'élèverait au rang des
dieux. Ainsi, le territoire et le peuple se confondent en la personne du
dictateur qui devient le dirigeant illuminé, le guide à la fois temporel et
spirituel, en fait, l'oracle voire même la matrice englobant toute chose. Il
pense et agit pour le peuple, c'est-à-dire lui même. Le peuple n'existe que
pour sacraliser le guide, bénir ses actes, travailler dur pour sa prospérité et
veiller à son bonheur et à celui de sa famille. On ne parle pas au guide,
monsieur, on l'écoute. Lui, il n'écoute que l'écho de sa propre voix répercuté
par ses proches. N'est-il pas l'Etat en soi ? Lorsque le tumulte du peuple
atteint ses fenêtres, il ne descend pas dans la rue pour comprendre ce qui se
passe. Il délègue plutôt un de ses commis pour lui en présenter un bref
compte-rendu. Quand le peuple envahit la rue et menace son pouvoir, alors le
dictateur brandit la peur du «Moi ou le chaos» (Yémen, Libye, Côte d'Ivoire…),
ou du «Moi ou l'Enfer» (Bahrain, Maroc, Jordanie…)
sachant que dans la plupart des monarchies arabes, les «Oul
Al Amr» tiennent leur légitimité de Dieu. Ils sont soit les serviteurs de Dieu
ou les descendants de son prophète. La religion a été toujours instrumentalisée
pour rendre le peuple plus docile et moins critique à l'égard du «Ould Amr,» ou «Commandeur des Croyants» élevé au rand de
vice-gérant de Dieu sur terre. Se rebeller contre sa volonté, c'est se rebeller
contre celle de Dieu.
L'Algérie qui arrive à maintenir ses voiles
hors de l'eau, du moins pour le moment, sous l'effet dopant d'aides financières
aux jeunes et des réalisations à même de répondre aux besoins les plus pressant
des masses, risque de se voir emportée par la déferlante si des réformes
sérieuses et profondes ne sont pas engagées rapidement au niveau de
l'administration au lieu de mesures de replâtrage dont à charge
l'administration elle-même alors que le peuple, the common man of the street (le citoyen lambda), se plaint constamment de la
bureaucratie et évidemment de l'administration qui n'a pas connu une grande
évolution. A l'ère de l'informatique et la dissémination de la connaissance et
de la technologie, l'on continue de travailler à l'ancienne. Nos bureaucrates
préfèrent souvent se rabattre sur la communication orale et éviter autant que
peut se faire l'écrit car comme dit le proverbe «les paroles s'envolent et les
écrits restent.» certains responsables ont tendance à regarder vers le haut de
la pyramide sociale mais très peu vers le bas. Combien de fois, a-t-on entendu
un préposé en colère crier à la face d'un citoyen rouspéteur «Je ne travaille
pas ici chez toi pour me casser la tête» ou encore «Ce n'est pas toi qui me
paye.» En vérité, il n'est disponible que pour son employeur, celui qui offre
du travail et une paie à chaque fin de mois, en l'occurrence l'Etat. Le
citoyen, dans ce cas, ne donne que du travail à faire et donc des tracas.
Il m'arrive quelques fois de provoquer des
conversations avec des gens du peuple dans un bus, un café sur internet pour jauger leurs impressions sur l'évolution de
la société, leurs modes de vie et leurs interactions avec l'administration
ainsi que sur les affaires internationales. Certains blâment le gouvernement pour
son laxisme et son éloignement du peuple alors qu'il devrait rester à son
écoute, d'autres par contre font de l'auto-flagellation
et blâment le peuple de ne rien faire pour améliorer lui-même son sort alors
que le gouvernement consent de grands efforts pour améliorer le cadre de vie de
l'Algérien. Les opinions sont en général mitigées rarement tranchantes.
L'application sur le terrain des mesures gouvernementales diffère d'une région
à une autre et d'une administration à une autre. Une opinion va jusqu'à classer
les régions par degré bureaucratique. «Les Algérois en général travaillent à
l'Européenne, les gens de l'Ouest parlent beaucoup, travaillent peu mais
restent assez courtois. Les gens de l'Est sont très difficiles. Ils sont
bosseurs certes, mais cachotiers et nerveux voire
même rebelles. Les gens du Sud sont indolents, sentimentaux et aiment
s'identifier au pouvoir, à la
Houkouma. Ils sont bureaucratiques
par excellence.» me confie-t-on.
Ce visage hideux de la bureaucratie algérienne
me fait sourire car cela me rappelle mes déboires (qui continuent d'ailleurs)
avec les services pédagogiques de la faculté des langues et lettres de
l'Université Mentouri à Constantine, un haut lieu du
savoir, qui pour des raisons bureaucratiques me refusent le droit d'information
sur mon dossier de soutenance de thèse de doctorat es Sciences en Etudes
Américaines, un dossier qui traîne dans les tiroirs de la faculté depuis déjà
deux années. Il s'agit tout simplement d'un blocage, pire un lynchage
administratif qui ne dit pas son nom. Malgré les inscriptions d'usage sur huit
années consécutives (2001-2009), la remise d'une copie de la thèse achevée et
le rapport final de ma directrice de recherche Algéroise, mon dossier n'a
jamais été présenté devant le conseil scientifique de la faculté pour être
discuté en vue de la tenue d'un jury. Malgré mes efforts de soutirer de manière
très courtoise une quelconque bribe d'information, c'est le black-out total. Je
saisis donc par écrit et avec accusé de réception tous les paliers de la
hiérarchie (chef du département d'Anglais, doyen de la faculté, président du
conseil scientifique, vice-recteur chargé de la post-graduation, recteur et
enfin le sous-directeur chargé de la Post-graduation au ministère de l' Enseignement
Supérieur et de la
Recherche Scientifique). Silence radio. Aucun retour de
courrier. Le vice-recteur chargé de la Post-graduation
avait même refusé de me recevoir lors d'une journée de réception. J'ai dû
l'attendre devant la porte pour l'accoster à sa sortie. D'un ton bref et sec,
il me fait retourner à la case départ : «retourne voir le doyen. Il est à même
de régler ton problème.» Pas un mot de plus.
Dans les couloirs de la faculté, l'on m'a
parlé en aparté de «blocage recommandé», mais par qui et pourquoi ? Eux le savent,
pas moi. Faute de communication, je saisis le Chef du gouvernement par courrier
accompagné de documents étayant mes griefs sur cette affaire louche qui
s'assimile à une flagrante atteinte aux droits de l'homme. Enfin ! le chef de cabinet du premier ministère me répond pour
m'informer que ma requête a été transmise au Ministère de tutelle. Des
questionnaires seraient tombés sur les personnes en charge des services mis en
cause dans mon courrier puis le trou noir depuis près de deux mois et demi déjà.
Le calvaire continue. La citoyenneté est-elle suffisante pour nous donner des
droits ? L'un des cités en cause aborde une connaissance, se plaint de mon
attitude et lui fait comprendre que cela ne mer servait à rien de faire de
l'agitation. Demander un droit par les voies règlementaires devient de
l'agitation. Des nos jours, les valeurs sont inversées comme disaient les
personnages de William Shakespeare dans MacBeth «fair
is foul and
foul is fair»
(ce qui est sain est devenu malsain et ce qui est malsain est devenu sain). Je
continue de faire du surplace et rien n'a changé. Dans ses propos, j'ai
décrypté «l'Université, c'est nous.» Je ne m'arrêterai pas de demander mon
droit fusse-t-il sur la planète Mars et s'il faut remuer ciel et terre.
Je parie que le Ministre de tutelle n'est pas
mis au courant de ces palabres auxquelles se heurtent très souvent des
doctorants et des chercheurs. Je demeure persuadé que s'il en avait pris
connaissance il aurait sûrement agi dans un sens ou un autre mais qu'il n'aurait
jamais laissé une affaire de plus sur le même problème s'étaler encore une fois
dans la presse. Une collègue d'Alger aurait en effet fait état de difficultés
similaires dans la presse. Mais passons, l'on n'est pas à un déboire près. Cela
m'incite à appeler de tous mes vÅ“ux le chef du gouvernement à s'atteler à des
réformes de fond et durables de l'administration algérienne qui, au fil du
temps, s'est substituée de manière brutale à l'Etat. Les procès
d'administrateurs défraient la chronique quotidienne, se suivent et ne se
ressemblent pas. Les règles primaires de la déontologie dont bon nombre de
secteurs sont de plus en plus bafouées.
Si le citoyen à un droit, qu'on le lui donne,
s'il n'en a pas dans une affaire bien précise, qu'on le lui dise et qu'on lui
explique clairement sans recourir à des manÅ“uvres de bas étage. L'ignorer,
c'est le mépriser et le mépriser, c'est l'inciter à la rébellion. La morale
nous dicte que «des sentiments blessés sont parfois plus dangereux que des
intérêts lésés.» L'incident récent causé par une rixe entre un étudiant en
colère d'une part et le doyen et un secrétaire d'autre part au niveau de la
faculté des langues et lettres de la même université illustre bien ce malaise
qui gangrène la société. Sans trop d'exagérations, l'administration est devenue
depuis au moins une décennie un danger pour l'ordre social. Elle nourrit la
rébellion et la stimule. L'air du changement est dans l'air comme le dit bien
le groupe allemand Scropions dans «Wind of change» (Le vent du changement).
A mon avis, notre
gouvernement semble avoir saisi l'enjeu et les dangers qui guettent l'Algérie
qui est, en toute probabilité, dans le collimateur des superpuissances Å“uvrant
à la restructuration du nouvel ordre international selon les règles de l'impérialisme
nouveau (et non pas néo-impérialisme) dans un monde postmoderne, sujet de notre
prochain article. Le gouvernement devrait multiplier ses efforts pour aplanir
bon nombre de difficultés nées justement du mauvais fonctionnement de
l'administration à divers niveaux de la vie sociale qui risquent à terme
d'enflammer les passions du peuple et provoquer des réactions irréversibles.
Les péripéties des postes budgétaires et les lenteurs bureaucratiques de la
fonction publique, qui ont d'ailleurs causé du tort à la fois moral et
financier au pays, ont emmené le chef du gouvernement à juste titre à décréter
une batterie de mesures judicieuses perçues à la base comme un réel
soulagement. Si le Ministre des AE multiplie ses contacts à l'étranger pour
informer et expliquer officiellement les efforts engagés par l'Algérie en
matière d'ouvertures démocratiques et de réformes institutionnelles et
économiques, il reste néanmoins que des efforts supplémentaires sont à faire au
niveau intérieur pour que les réformes engagées ou à venir ne restent pas un
vœu pieu (wishful thinking)
mais une réalité palpable sur le terrain. Cela rafraichira
un peu l'atmosphère printanière assez chaude du reste et fera de notre été
social, une saison moins lourde à supporter. Mieux encore, il nous apportera
une tranquillité de l'esprit pour que le vent de changement qui souffle à nos
portes ne balaie pas dans son sillage, nos rêves et nos espérances.
*Doctorant en
Etudes Américaines, Constantine.
Auteur de : - The Student's
Companion to the History of the American People, 1500-1783, tome 1, (Dar Houma
: Alger, 2009).
- The Student's Companion to the History of the
American People, 1783-1890, tome 2, en préparation.
- Les Contes du
Vendredi : Le marchand de Bonheur et l'Anneau Magique, à paraître
prochainement.
- Série
d'articles dans la presse francophone notamment Le Quotidien d'Oran.
1- Martin Luther King Jr.,
“Where Do We Go from Here : Chaos or Community?”,
(1967), p. 62; Issu également
du discours du même nom
2- Martin Luther King Jr.,
“Letter from a Birmingham
Jail,” 1963.
-
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Posté Le : 26/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdelkader Mazouz
Source : www.lequotidien-oran.com