Algérie

Le trésor de Ténès



Le trésor de Ténès
Une découverte sensationnelle s'est produite à Ténès dans un chantier du service vicinal: une petite jarre renfermant un trésor de bijoux en or a été trouvée par hasard et son précieux contenu a été recueilli par M. Barthès, ingénieur du Service vicinal.
«On peut rêver longtemps, ajoutait-il, sur ce véritable ensemble, et s'imaginer qu'il est peut-être venu ici, porté par quelqu'un de ces innombrables réfugiés qui, en 410, après la prise de Rome par Alaric, vinrent chercher un asile dans les provinces d'Afrique. Il y a de fortes présomptions en tout cas pour qu'il soit contemporain des tombes retrouvées et qu'il date de la fin du IVe siècle et du début du Ve. » Mais c'est à M. Carcopino qu'il revenait de révéler au monde savant l'importance du trésor. En 1942, au retour d'une mission d'inspection archéologique en Algérie, il le décrivit à ses confrères de l'Académie des Inscriptions, insistant justement sur le raffinement du goût qui avait réuni une telle collection, et la qualité d'un art « qui n'a rien de provincial », définissant en outre l'intérêt qu'il présentait pour l'histoire de ces temps pathétiques. Il tirait parti, lui aussi, des épitaphes chrétiennes de Ténès, et faisait sienne l'hypothèse que le propriétaire fût une clarissime comme Victoria qui, fuyant les Goths d'Alaric, s'était réfugiée en Afrique où devaient la rejoindre, dix-neuf ans plus tard, les Vandales de Genséric. Ces images d'exode n'évoquaient, en 1942, que de trop récents et obsédants souvenirs ! Et, de la fuite outre-mer de l'aristocratie romaine en 410. M. Carcopino décelait un nouvel exemple dans une épitaphe récemment déchiffrée par lui à Djemila, celle de Pomponia Rusticula, clarissima femina elle aussi morte à 15 ans en 452, dans l'exil où sa mère l'avait mise au monde. A cette brève notice, à cette conférence, à cette communication que M. Carcopino a reprise en 1948 dans un article , se borne la bibliographie de notre sujet. Du moins ces premières indications si succinctes fussent-elles, le plaçaient dans un éclairage aussi juste qu'émouvant. On verra dans la suite que notre étude leur doit beaucoup, et que, des conclusions provisoires qu'elles proposaient, nous avons retenu une grande partie. Avant toutefois d'aborder nous-même l'analyse du trésor de Ténès, il nous a paru utile de rappeler sommairement deux séries de faits dont la mise au point ici évitera les redites et éclairera l'interprétation. Il faut préciser d'abord ce qu'était Ténès au début du Ve siècle, puisque non seulement c'est là que le trésor a été enfoui, mais que même, comme il a été suggéré et comme il apparaîtra de plus en plus, il y a, avant son enfouissement, « vécu » en quelque sorte pendant un certain nombre d'années: il existe, on le verra, entre plusieurs objets et le lieu de la trouvaille, un lien qui n'était pas fortuit. D'autre part, les plus beaux de ces bijoux sont exécutés selon une technique propre à l'art du Bas-Empire, celle de l'or découpé, ou opus interrasile, dont, avant de l'étudier dans nos fibules, nos garnitures de ceintures, nos bracelets en particulier, il convient de définir les caractères généraux. Rien en vérité ne semblait prédisposer cette petite ville sans gloire, presque perdue au bout du monde romain, à abriter dans le sous-sol d'une de ses villas un trésor qui éclipse de loin ceux de Carthage et d'Hippone, de Thuburbo Majus et de Mactar. Là, certes, dans la Proconsulaire ou la Numidie, où les hauts fonctionnaires avaient leur résidence et leur cour, où le seigneur Julius de Carthage et les seigneurs de Tabarka avaient leurs châteaux que nous peignent les mosaïques du Bardo, tant de luxe et de délicatesse surprendrait moins peut-être. Ou encore dans cette Thagaste où la richissime héritière des Valerii, sainte Mélanie, réfugiée en Afrique après 410, était en mesure d'offrir à l'évêque Alypius «une propriété de grand rapport, plus vaste que la cité elle-même, et contenant, avec des thermes, artifices mulios, aurifices, argentarios et aerarios», sans compter deux évêques, l'un catholique et l'autre donatiste. Par quel hasard cette somptueuse collection de bijoux, dignes, nous le montrerons, d'avoir paré au Stilicon ou une Proba, était-elle allée finir dans un petit port à demi endormi de la Maurétanie césarienne, à plus de 200 kilomètres à l'ouest de notre Alger ' Ténès (Cartennae) avait d'abord été une escale punique à l'embouchure de l'oued Allalah qui, trouant la falaise à laquelle elle est adossée, ouvre ici une voie de communication vers l'intérieur, Orléansville (Castellum Tingitanum) et la vallée du Chéliff. Auguste, vers 30 avant J.-C., y fonda une colonie de vétérans : c'était l'un des premiers efforts en vue de cette romanisation de la Césarienne occidentale qui, si elle réussit dans les plaines, s'arrêta sur les pentes du Zaccar et même du Dahra, qui domine Ténès, et plus encore, vers le sud, du massif de l'Ouarsenis. Jamais les villes du littoral ne cessèrent de sentir peser sur elles la menace des tribus montagnardes, et l'histoire de Ténès, autant qu'on a pu la retracer à l'aide de quelques inscriptions, resta une histoire militaire. Ses grandes heures furent sous Hadrien, celles de la vigoureuse résistance qu'elle opposa à une « irruption » des Baquates et, sous Antonin le Pieux, du rôle qu'elle joua comme port de débarquement et base d'opérations, avec Saint-Leu (Portus Magnus - auj. Bethioua), Cherchell (Caesarea), Tipasa et Alger (Icosium), des détachements légionnaires appelés de Germanie et de Pannonie pour réprimer la révolte des Maures. Sa prospérité, pourtant, était réelle. On a découvert aux environs, à Montenotte (Sidi Akkacha), des résidus de minerais et de scories attestant une antique industrie sidérurgique - une fabrique de garum a été signalée au Guelta. Mais surtout elle captivait activement une vallée faible, une inscription célèbre ses horrea et felicia, une aura chrétienne mentionne les praedia de Fabius Sulpicius Grisogonus et de son fils. Il est possible que des familles sénatoriales y possédassent de grands domaines. Des villas à mosaïques étaient le signe manifeste de ce bien-être. Dans l'une, située un peu à l'écart, de l'autre côté de l'oued, un certain Romanus avait exprimé naïvement , dans des vers qui ne bravent pas moins la syntaxe que la quantité, le plaisir qu'il éprouvait à contempler le spectacle qui s'offrait à sa vue : d'un côté la mer sillonnée de barques, de l'autre la ville étagée en hauteur, des fontaines nombreuses, des vergers florissants, et sa marmaille (en style noble : Romani proles) qui gambadait sur la terrasse. Mais à cette époque déjà, c'est-à-dire au IVe siècle, il semble que les liens qui unissaient la région à l'Empire, quoique volontiers proclamés, eussent commencé à se distendre. La Tingitane avait été rattachée administrativement à l'Espagne et, dans sa majeure partie évacuée ; les confins occidentaux de la Césarienne elle-même abandonnés. Une frontière rapprochée, tendue de l'embouchure du Chéliff, le long de l'oued Riou (Oued Rhiou), jusqu'à Waldeck-Rousseau (auj. Sidi Hosni), avait été organisée défensivement sous le commandement du praepositus Vmétis Columnatensis. En deçà et même au-delà, comme à Lamoricière (Altava), les manifestations de fidélité aux empereurs pouvaient bien se prolonger, la grande rocade d'Orléansville 'être entretenue et bornée de nouveaux militaires, on sentait partout s'affirmer, sous des noms divers, dispunclores défaillante. Cette obscure tendance à une sorte de séparatisme ne devait pas échapper à saint Augustin, qui l'a formulée dans des termes qui prêteraient à de longs commentaires : Mauritania'Caesariensis occidentali quam meridianar parti uicinior, quando nec African se uuli dici : « La Maurétanie césarienne est plus proche de la partie occidentale de l'Empire que de sa partie méridionale, elle qui ne veut même pas qu'on appelle Afrique. (A suivre)


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