Algérie

"Le transport maritime pèse lourd dans la balance des paiements"


Lors du dernier Conseil des ministres, le chef de l'Etat a insisté, à nouveau, sur l'accélération de l'ouverture des transports aérien et maritime à l'investissement privé. Selon vous, quels sont les facteurs-clés de réussite de ce projet 'En notre qualité de professionnels du secteur et de uureau du Syndicat des transports et de la logistique, nous avons soumis, en août 2021, dans le cadre de notre organisation patronale, un programme bien détaillé au ministre des Transports ; ce programme renferme les actions urgentes à mener dans les secteurs de l'aérien (passagers et marchandises), du maritime (refonte des TM et ouverture au secteur privé) ainsi que pour les ports qui méritent une refonte totale de leur organisation.
En dehors de quelques déclarations sporadiques entendues ici et là, nous ne savons pas ce que sont devenues nos propositions qui ont été construites par des exploitants qui activent sur le terrain depuis fort longtemps. On nous annonce à chaque fois des projets qui demeurent, pour le moment, sous l'effet d'annonces, alors que nous avons montré la voie à suivre pour une ouverture effective de ces secteurs aux nationaux privés et publics et, pourquoi pas, à notre diaspora et aux entreprises étrangères.
Pour nous, acteurs sur le terrain, nous nous en tenons pour le moment aux déclarations du président de la République qui, depuis son discours en août 2020 au CIC Club-des-Pins sur la relance économique, ne cesse de marteler l'ouverture des secteurs des transports aérien et maritimes à l'investisseur national privé ou public ; mais force est de constater que jusque-là nous ne voyons pas bouger les choses sur le terrain.
Pour revenir à votre question au sujet des facteurs-clés de la réussite, je dis qu'il est nécessaire d'associer les compétences nationales privées et publiques et, pourquoi pas, la diaspora, dans le débat sur le développement du pays. On ne peut plus continuer à travailler en vase clos avec l'administration centrale qui, souvent, est juge et partie, ou encore demeure loin des réalités concrètes du terrain.
Le transport maritime revêt un caractère stratégique pour l'économie nationale, étant donné que les mouvements de marchandises sont aux mains d'armateurs étrangers. Quel serait le coût de ce monopole et les risques qu'il fait courir à l'économie '
Le transport maritime pèse aujourd'hui beaucoup dans la balance des paiements des pays, avec une particularité encore plus soutenue pour notre pays. Néanmoins, nous devons reconnaitre que le secteur des transports maritimes demeure intimement lié à l'évolution du secteur portuaire ; on ne peut parler de transport maritime sans évoquer nos ports, qui ne peuvent pas recevoir des navires de nouvelle génération. Ces navires modernes, qui disposent de toutes les qualités pour réduire les coûts de transport, nécessitent, pour pouvoir être traités dans de bonnes conditions, des infrastructures portuaires adéquates (ports en eau profonde et grandes superficies de terre-pleins pour un déchargement rapide) et des grues de quai et autres équipements spécialisés modernes de chargement pouvant manipuler les marchandises avec des cadences élevées. Ces critères sont malheureusement absents de nos ports, sauf dans des cas rares que nous pouvons citer, tels les quais récents pour l'exportation d'urée (Arzew et Bethioua) ou encore le quai minéralier de Bethioua qui vient de recevoir, il y a quelques jours, le plus grand navire hors hydrocarbures jamais réceptionné en Algérie, avec 165.000 tonnes métriques de minerais destinés au complexe de Tosyali. Le seul port intéressant construit dans les années 1980 pour les marchandises est celui de Djendjen qui, effectivement, dispose d'infrastructures adéquates, mais qui manque d'équipements modernes et ne dispose pas d'une desserte rapide qui le relie à l'autoroute Est-Ouest.
Avec la pandémie de Covid-19, les prix du fret maritime se sont envolés dans la quasi-totalité des pays. Ainsi, les prix du transport par containers de 40' à partir de Chine ont atteint jusqu'à 14 000 dollars pour la Méditerranée occidentale (Espagne, France, Italie, Maroc et Tunisie). Malheureusement, chez nous, ces prix ont atteints à ce jour les prix vertigineux de 20 000 dollars par conteneur de 40' à partir de Chine, alors que nous sommes situés en Méditerranée occidentale et que nos prix devraient tourner autour de 14 000 dollars. Cette différence de près de 6 000 dollars par conteneur, soit de près de 45% plus cher, nous la payons à cause de notre chaine logistique inadaptée, avec une organisation portuaire totalement obsolète. Lorsque nous savons qu'environ 30% de nos importations viennent de Chine et que le transport maritime nous coûte, suivant les chiffres de la Banque d'Algérie, plus de 4 milliards de dollars annuellement, le calcul annuel des surcoûts est vite fait.
Pourquoi les ports du pays, exception faite d'Alger, ne sont pas exploités de manière optimale ' Cela relève-t-il de la gestion elle-même de ces ports ou plutôt de leur capacité de traitement de marchandises '
Comme signifié plus haut, ce n'est pas la compétence des acteurs portuaires locaux qui est en cause (cadres et dockers) mais plutôt l'inorganisation qui y prévaut depuis maintenant plus de quatre décennies et qui a laminé les ports algériens. Le lecteur doit comprendre que nos ports n'ont pas évolué depuis plus de quatre décennies ni dans leur organisation ni dans leur fonctionnement, et encore moins en ce qui concerne la modernisation de leurs équipements. Il y a certes quelques avancées, mais elles sont trop timides pour influencer dans le sens positif un secteur qui a pris trop de retard. Il faut reconnaitre que c'est un des rares monopoles publics qui existe encore en Algérie ; ainsi il demeure interdit à toute entreprise publique ou privée d'investir dans les enceintes portuaires et de réaliser toutes autres activités commerciales qui sont réservées à une seule et même entreprise publique, dénommée Entreprise publique du port.
De plus, cette entreprise publique effectue, avec ses activités commerciales, des actions de service public qui devraient relever normalement d'une autorité de l'Etat. Aucun autre pays au monde ne dispose d'une organisation aussi opaque et multiforme ; ceci a causé une rigidité dans le fonctionnement et a également figé cette entreprise dans son organisation actuelle depuis plus de 40 années. Donc, aucune crainte de dire que nous avons des rendements portuaires très faibles ; le rendement à l'heure ne dépasse pas les 10 conteneurs par heure dans le meilleur des cas. On peut affirmer que ce sont là des rendements très faibles comparés aux rendements de 30 à 35 conteneurs dans les autres ports de la Méditerranée, et cela sans parler des rendements des pays asiatiques.
Oui, nos ports ont besoin d'une refonte totale et immédiate afin de relever le défi notamment de l'exportation, sinon, comme on le constate aujourd'hui déjà, nous allons produire des biens compétitifs en sortie d'usine, mais qui, du fait de l'inorganisation de la chaîne logistique et des surcoûts induits, ne seront pas compétitifs sur les marchés internationaux.

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE
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