Algérie

Le tourisme de ah !... à ZET (1re partie)



Par Hocine Rizi, Expert en tourisme
h.rizi@voila.fr
«Un fait frappe l'observateur étranger : le contraste entre les grandes possibilités touristiques du pays et la faiblesse de leur mise en valeur.»(1)
Il était une fois le tourisme en Algérie
Il était une fois un beau pays avec des paysages fantastiques, des vestiges préhistoriques et antiques d'une grande richesse et une population accueillante et chaleureuse. Ils étaient des milliers de touristes à sillonner nos montagnes, nos vallées, les ergs et les regs, à escalader les pitons de l'Ahaggar, à survoler nos oasis, à s'émerveiller sur les gravures et peintures rupestres, à s'agglutiner par centaines dans le petit refuge de l'Assekrem pendant les fêtes de fin d'année, à manger des spaghettis sur des plages désertes à côté des sources d'eau fraîche, à dormir sous un manteau d'étoiles après avoir siroté le dernier thé à la menthe, à goûter à ce délicieux couscous sous un olivier dans ces dechras perdues là-haut sur nos montagnes chargées de sagesse et d'histoire, à admirer d'étape en étape la beauté de ces divers paysages et cet inoubliable accueil simple et spontané des petites gens, leur visage illuminé d'un grand sourire avec des gestes naturels et plein de chaleur humaine. Ils venaient de partout et allaient en suivant leur cœur. Ils étaient simples et heureux, nous l'étions aussi ! Aujourd'hui, ils ne viennent plus, hélas ! Ils suivent les informations chez eux et sont tristes pour nous. Nos montagnes font peur, nos chaumières d'où s'exhalait autrefois l'odeur de la galette et du ragoût de patates sont silencieuses, les peintures rupestres s'ennuient toutes seules et les traces de pas sur les dunes ont été depuis fort longtemps effacées, les toiles d'araignées sont plus nombreuses dans les chambres d'hôtel, les piscines vides, les jardins à l'abandon. Que sont devenus tous ceux qui vivaient du tourisme ' Plus personne ne pense à eux, plus personne ne les attend car nous avons omis une seule : en voulant construire au forceps une nouvelle société, nous avons détruit toute une tradition culturelle, l'essence même d'une société ouverte sur les autres, sereine de par ses traditions et totalement épanouie. Du coup, peut-on repenser le tourisme en Algérie, le reformuler, le dépoussiérer, lui adjoindre de nouvelles techniques, avec une vision saine et réfléchie des échanges touristiques et son corollaire les échanges culturels. Peut-on encore se gargariser d'être une destination touristique alors que tout ce que nous visons, faisons ou projetons de faire nous éloigne de plus en plus de ces chers touristes plein de devises !
A- Comment on pense le développement du tourisme en Algérie '
«… Il n'y a jamais eu de politique touristique en Algérie…», constat fait par Sid Ahmed Ghozali, alors Premier ministre en 1992. A l'époque, il ne faisait que confirmer ce que tout le monde savait, car les choix en matière de développement économique de notre pays se sont surtout concentrés sur l'essor industriel, même l'agriculture avait été délaissée pendant un certain temps, pourtant grande pourvoyeuse de postes de travail et intimement liée au secteur touristique sous deux formes : approvisionnement en produits frais et foyer de production artisanale. Le tourisme a été victime des turbulences qu'a connue l'existence même de ce ministère du Tourisme. Le premier ministère du Tourisme n'a vu le jour qu'en 1963 (Kaïd Ahmed), en 1965, il disparaît, revient en 1970 (Abdelaziz Maaoui), en 1976 (Abdelghani Okbi), de 1979 à 1984 (Abdelamajid Alahoum), en 1984 il est rattaché au ministère de la Culture (Abdelmajid Meziane) avec un vice-ministre chargé du Tourisme (Zinedine Sekfali), en 1986, seul un vice-ministre réapparaît (Mohamed Salah Mentouri), disparaît en 1988, rien en 1991, réapparaît en 1992 pour 6 mois, secrétaire d'Etat chargé du Tourisme (Rachid Maârif), re-disparaît la même année jusqu'à mars 1994. Après quelques balbutiements, le ministère disparaît puis rattaché au ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Environnement et du Tourisme. Puis l'artisanat est séparé du tourisme, pour revenir ensemble sous la coupe d'une même administration. Cette instabilité administrative a beaucoup nuit au secteur du tourisme, alors que les retards s'accumulaient en matière d'offre, d'hébergement, dans le secteur des transports (surtout pour l'aérien : vols intérieurs et internationaux, le train/est-ouest et nord-sud, le bateau/le cabotage), l'amélioration des voies de communication, la préservation des sites et monuments archéologiques et historiques, le recensement précis des fêtes et traditions locales, l'amélioration de la production artisanale, la formation et le recyclage du personnel dans le secteur du tourisme pris dans sa totalité, la création de nouvelles filières au niveau des universités, la promotion de nouveaux produits touristiques afin de sortir des sentiers battus.
B- Type de tourisme en Algérie
Si on le compare avec certains pays du pourtour méditerranéen, le type de tourisme en Algérie a cette particularité d'être du «monotourisme», à savoir la destination Grand Sud en automne et au printemps pour côte pour les nationaux et les immigrés, surtout l'été. Loin de nous de minimiser toutes les richesses naturelles, archéologiques et culturelles de notre pays, mais force est de constater que nous reprenons toujours les touristiques pour les remettre sur le marché international sous forme d'affiches, de dépliants ou de catalogues, sans aucune amélioration, ni enrichissement. Nous vient à l'esprit une foule de questions, posées ou entendues spécialiste que du simple touriste :
1. Quel est le poids du tourisme dans l'économie algérienne '
2. La part du tourisme à l'échelle mondiale '
3. Le tourisme est-il un secteur porteur en termes d'emplois et créateur de richesse '
4. Quelles ont été les grandes destinations touristiques depuis l'indépendance ' Ont-elles changées depuis '
5. L'Algérie a-t-elle de nouveaux produits touristiques à proposer '
6. Quels sont les acteurs qui peuvent relancer le tourisme en Algérie '
C- Communication et image touristiques
En guise de communication touristique, nous sommes passés par divers produits, pour en fin de compte, reprendre les mêmes thèmes, avec une prestation moindre et une campagne publicitaire des plus aléatoires. Par clichés interposés, nous avons eu le M'zab et ses habitants, le Hoggar et les Touareg, Timimoun la Rouge et le Sbouh, La Casbah d'Alger et la citadelle maintes fois restaurée par de fallacieuses promesse, les villes romaines de plus en plus en ruine, les montagnes de Kabylie, couvertes de neige et parées de magnifiques bijoux incrustés de corail, la mer et la côte où se nichent de magnifiques plages, des stations thermales et puis tout autour, des oasis, des massifs montagneux, des vallées, des criques, de magnifiques petits villages jalonnant le territoire national sans aucune importance apparente ou alors présentés de manière occasionnelle. Partout, on retrouve les mêmes scènes de marché, d'enfants en route vers l'école, des hommes rassemblés autour d'un thé/d'un café et poursuivant d'innombrables palabres. Il n'y a pas deux oasis semblables : la mer de dunes entourant El Oued contraste avec l'aridité des plateaux rocailleux de la vallée du M'zab, tout comme Djanet la verdoyante paraït à l'écart des routes comparée à Tamanrasset la montagneuse, Taghit, c'est une fin de parcours, une route qui s'arrête au pied d'un dune, Beni-Abbès se tenant à l'écart comme pour cacher sa beauté, enfin Timimoun la timide continue de rougir d'excès de compliments de visiteurs en mal d'éxotisme, la beauté de Beni Yenni narguant le Massif du Djurdjura contraste avec les couleurs de la Casbah de Nedroma, les Ponts de Constantine vous donnent le vertige, les escaliers d'Alger vous coupent le souffle, Santa-Cruz vous remplit la vue et le vieux Tenès inspire la quiétude et le goût du bon poisson. On ne connaît rien de la beauté des montagnes de Chelia et des cèdres millénaires, des massifs de Tiissemilt, des immenses plaines à blé de Tiaret ainsi que sa jumenterie, des paysages entre Aïn-Sefra et Béchar, la source thermale de Aïn Ouarka, Sebkeh El Melah/n'Chiha entre Charouine et Kerzaz, du barrage de Djorf-El-Torba près de Kenadza, du ksar de Boussemghoun couvert de neige, de la forêt et du petit port de Honaïne. Des centaines de lieux à redécouvrir afin de mieux saisir toutes les potentialités réelles de cet immense pays. Malgré les efforts du ministère du Tourisme pour occuper le terrain, sensibiliser les opérateurs du secteur, améliorer et alléger les prestations administratives, rien n'y fait : les touristes étrangers n'affluent pas et encore moins les investisseurs.
Parmi les grands blocages :
1. Lourdeurs administratives pour la délivrance du visa de tourisme : invitation, cherté et durée de délivrance ;
2. temps de passage aux postes frontières trop long : port (entre 3 à 4 heures ou plus), aéroport (45 mn ou plus dans certains aéroports), frontières terrestres (de 1h30 à 4h) ;
3. l'accueil dans les hôtels est tributaire d'un personnel dont les prestations sont parfois très en dessous des normes universelles requises. Lenteur pour la remise des clés des chambres dans de nombreux cas (groupes surtout), aucune ou peu de connaissances de l'environnement culturel et des services ;
4. lieux de visites mal indiqués, horaires d'ouverture aléatoires, pas de plan de visite, aucune prestation de service (toilettes, lieu de repos/caféteria, kiosque de vente de produits dérivés…). Ecrire sur le tourisme en Algérie peut paraître facile pour certains qui penseraient le tourisme en termes de diversité d'endroits magnifiques d'est en ouest, du sud au nord, d'autres pesteront sur le peu de cas que l'on fait de ce créneau de l'économie, oublié, relégué au stade de folklore ou de rendez-vous saisonnier. Enfin, il y a la majorité qui ne veut pas avoir d'opinion, mais une fois les vacances venues, prend l'avion vers des destinations où service et accueil se disputent les clients pour les choyer. Toutes les régions d'Algérie ont été décrites, analysées, leurs potentialités touristiques sous-pesées et passées au crible, les manques criants en circuits de communication débattus. Ici, le train ne passe pas, là l'avion n'atterrit pas, plus loin, le bus n'arrive jamais, le port de plaisance tant attendu n'a jamais vu le jour. Aucun journal n'a omis de parler du positif, du négatif, du manque, des besoins, des attentes liées en tant que tels au tourisme et son corollaire le développement local, la réduction du chômage, l'essor de l'artisanat, de l'agriculture et la naissance de nouveaux métiers liés à ce noble secteur. Aujourd'hui, la déliquescence dans laquelle se trouvent les hôtels ou leur inexistence dans certaines régions ne pousse guère à la réjouissance et ne laisse entrevoir aucune possibilité pour un boom touristique dans ces lieux : Timgad, Djemila, Madaure, Souk-Ahras, Aïn Sefra, Beni Abbes, El Kantara, les Gorges de Kherrata pour ne citer que quelques-unes de ces grandes potentialités. Continuez à parler de développement touristique en Algérie en axant son raisonnement sur la beauté des paysages, la richesse archéologique des sites, la chaleur de l'accueil de la population locale ne rime à rien, ce serait plutôt une gageure. Pour mémoire, et ce, depuis plusieurs années, tous les séminaires, colloques, journées d'études, stages bloqués, sorties sur le terrain, campagnes de promotion nationale ou internationale diligentées ou encadrées par les autorités concernées n'auraient en fin de compte servi à rien. Ou plutôt si, à mettre à nu toutes les incohérences des diverses tentatives de valorisation et de promotion du tourisme algérien. Le manque de visibilité totale des actions ministérielles, la mise à l'écart des associations locales, surtout les offices de tourisme, la dégradation de l'environnement urbanistique des villes et son impact négatif (décharges sauvages, eaux usées, multiples nuisances, incivisme) ont considérablement réduit le flot de touristes dans pas mal de régions. La suppression de plusieurs liaisons aériennes entre les villes algériennes ou vers l'étranger, les prix prohibitifs ont mis un frein aux échanges Nord-Sud, la non- connexion aérienne entre les villes à fort potentiel touristique ne peut plus être évacuée : Ghardaïa-Timimoun, Béchar-Tamanrasset, Oran-Batna, Tlemcen-Sétif, Annaba-Timimoun… C'est avec détachement que nous regardons la télévision nationale nous présenter ces mini-reportages sur des coins enchanteurs de notre vaste pays. Avec détachement parce qu'il n'y a ni l'art et encore moins la manière. Que valent ces séquences où une voix monocorde débite une prose ne cadrant aucunement avec les images collées les unes aux autres, censées parler d'une ziara/waâda/zerda, de la richesse archéologique d'un coin perdu, des vestiges historiques dans telle ville, de coins paradisiaques où mer et montagne se rencontrent, d'illustres figures du monde culturel. Cette communication est certes nécessaire mais assurément mal faite. Notre vision du tourisme a été parfois réduite et réductrice : les oasis, le Grand Sud, quelques stations thermales, les plages. Un même canal de distribution des mêmes images mille fois reproduites sur des affiches, des dépliants et des brochures pendant une vingtaine d'années, sinon plus. Mais faute de distribution efficace, d'une amélioration du graphisme, de l'utilisation de plusieurs langues et des types de support, beaucoup de ces documents ont vieilli dans les cartons. Le mode de communication utilisé est largement dépassé, alors qu'au même moment, des pays mènent une lutte féroce dans la maîtrise de nouveaux outils de com (e-ticket, e-booking, e-marketing…) afin d'attirer le maximum et en avantageant même des réalisateurs et producteurs de films : La guerre des étoiles(Tunisie), Out of Africa (Kenya-Tanzanie), La Momie (Egypte), Apocalypse now (Philippines), La chute du faucon(Maroc), Mission impossible 3 (Dubai). Une des seules tentatives, nous la devons à Bernardo Bertolucci, et ce, par amitié pour l'Algérie, avec le tournage de son film Thé au Sahara. La maquette du fort colonial construite à Béni Abbès fut détruite après son départ, le site de Star Warsà Tataouine en Tunisie est devenu une attraction touristique. Il y a peu de volonté pour attirer des chaînes de télévision, des réalisateurs de cinéma (films historiques, de science-fiction, d'aventure), la création de centres de convention/congrès pour des séminaires internationaux, des équipes scientifiques d'universités étrangères.
D- Le patrimoine au service du tourisme
Partout ailleurs, des équipes scientifiques, avec des budgets conséquents, s'affairent dans des domaines allant de l'archéologie, la préhistoire, l'architecture, les us et coutumes locales, la relation avec le sacré, les parcs nationaux, les milieux marins, l'art culinaire. Les résultats sont publiés, des documentaires réalisés et à travers la moindre découverte attirent l'attention du monde entier par le truchement des mass media font travailler des populations locales, aidant ainsi à la préservation et à la sauvegarde de monuments ou sites archéologiques et historiques, à la protection d'espèces endémiques (faune et flore), à la compréhension de certains phénomènes naturels (impact de météorites, l'existence de sources thermales, l'érosion éolienne, lutte pour la protection des forêts et des zones humides…). Cet ensemble d'informations, couplé à l'existence de services adéquats, va susciter l'intérêt du voyageur toujours à l'affût de la moindre nouveauté scientifique à voir ou d'espaces lointains et mystérieux à découvrir. Des T.O. se mettent de la partie, parcourent ces régions, prennent des contacts pour l'hébergement, la restauration, le transport, transforment ces données en produits touristiques et les répercutent sur des agences de voyages. Parallèlement, des reportages sont publiés dans des magazines scientifiques, spécialisés ou grand public. Des documentaires sont diffusés à la télé au détour d'une émission culturelle. Puis comme par enchantement, le produit touristique est proposé comme une denrée rare, à consommer le plus vite possible, avant que d'autres ne s'y intéressent. En Algérie, cette rhétorique n'existe pas, elle est même antinomique au mode de pensée ambiant. Des choses n'ont jamais été tentées en Algérie : une approche scientifique des lieux avec la création de groupes de travail mixte (chercheurs/administration, chercheurs/agents de tourisme, chercheurs/administration/agents de tourisme). La recherche scientifique pousse à la préservation qui va à son tour attirer les touristes et ainsi donner les moyens pour plus de protection, des emplois et l'essor d'activités économiques plus larges. Lorsqu'on parle de tourisme en Algérie, on évacue un des éléments de sa réussite qui est le patrimoine sous toutes ses formes : monuments et sites protégés ou classés, sites culturels classés au Patrimoine mondial de l'humanité (Unesco), les musées, les festivals, les journées théâtrales, les concerts, les petits musées locaux à thème (Musée de la datte, Arboretum du PNEK), parcs nationaux, parcs animaliers et jardins (Jardin d'essai/Alger, Jardin d'Abessa/El Goléa, Jardin Landon/Biskra, …), l'offre architecturale et l'habitat en Algérie (les ksour, le M'zab, les Balcons du Rouffi, les villages de Kabylie, les coupoles d'El Oued, la kheima des nomades). Les chants sacrés d'Ahl Ellil n'auraient jamais pu voir le jour à Ghardaïa et être ainsi proclamés «Objet immatériel du patrimoine mondial de l'humanité» par l'Unesco, Alla a tissé sa trame musicale entre Béchar, Kenadza et Taghit, pour sortir de son oud cette musique dépouillée, répétitive et envoutante, la musique «tindi» avait besoin de ses hautes montagnes du Tassili pour naître et traverser les âges, chose impossible dans la région d'El Oued, le regretté Othmane Bali aimait Djanet, et marchant sur les traces de sa mère avait chanté sa région et ses habitants, A Vava Inouvad'Idir n'a pas vieilli depuis 1976, premier succès musical algérien en Europe, précurseur de la world music, chantée en plusieurs langues et, surtout, qui n'a pas apprécié une de ces reprises avec Karen Matheson, chantre de la musique gaélique. Plus tard, le raï et le gnawa ont suivi. En découvrant le groupe El Ferda lors de mon séjour à Kenadza, vers 1989/90, pareille richesse musicale ne pouvait pas rester en jachère !
H. R.
(A suivre)
(1) In Revue Méditerranée, Vol. 25, N° 25, 1976, p. 24. Nicole Widmann, Agrégée de géographie d'Alger. Institut de géographie d'Alger


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