Algérie

Le tourbillon... ou comment arroser les roses de sable !



Une déplorable extension de la fameuse boutade «les chiens aboient, la caravane passe» qui fait inconsidérément l'amalgame entre les dénigrements pernicieux qu'elle visait à l'origine et les critiques objectives, est en passe de devenir la réaction assez fréquente que suscitent les clameurs des citoyens. Les milliers de réclamations et récriminations semblent se perdre dans les profondeurs abyssales d'un insondable puits noir et n'ont guère l'air de perturber le calme olympien de certains de nos responsables. Ces derniers donnent l'impression d'être si bien lovés dans le confort douillet de la suffisance qu'aucune force ou raison au monde n'est capable de les en extraire ou d'interrompre la grande sieste. A moins de disposer de fortune conséquente ou de moyens de coercition qui permettent d'obtenir ce qu'on demande sans aucun formalisme quitte à régulariser par la suite, se faire entendre, pour le commun des mortels, dépend de la conjonction des astres de l'astrologie. On ne prend même pas la peine de répondre au courrier auquel on jette au plus un regard contrarié. Sans appui, on est condamné au parcours du combattant pour traverser la brousse de la bureaucratie. Malin l'émule d'Icare qui aura la présence d'esprit de jalonner son chemin pour se ménager une issue de sortie ! Les dossiers les mieux ficelés et les meilleures idées prêchées devant un parterre d'autistes n'ont aucune chance de déclencher un quelconque enthousiasme et finissent par faire naître chez leur auteur le sentiment de jouer du violon devant un troupeau de chameaux. Les trublions qui s'aventurent à écrire des pétitions ou à remplir les colonnes de journaux pour dénoncer tel fait de société ou telle entorse constatée dans la gestion des affaires de la cité sont tolérés seulement parce qu'ils peuvent aider à bonifier l'image de marque de la liberté d'expression qu'on essaie de cultiver et de vendre à l'opinion. Et pourtant, il faudrait bien un jour se résoudre à dépasser ce stade de paternalisme et admettre leur rôle de témoins de notre temps auxquels il faut accorder un peu de crédit pour ne plus se fourvoyer avec les contenus «arrangés» des rapports officiels souvent aux antipodes de la réalité. Outre le fait qu'ils dérangent positivement les mauvaises habitudes d'inertie, ils aiguillonnent les esprits pour maintenir le combat contre la frustration envahissante. Leurs interventions maintiennent vivace l'espoir que les doléances des citoyens gardent tout de même des chances d'aboutir à destination et surtout d'être sérieusement traitées. Grâce à l'exploitation rationnelle et rapide de l'information, des batailles contre les plus grandes adversités ont été remportées avec panache. L'écoute attentive d'une population qu'on doit considérer comme adulte et la volonté d'agir sont les clés de la sérénité des rapports entre les différents membres de la communauté nationale et de la paix sociale. Notre religion ne nous enseigne-t-elle pas de dénoncer les déviations si on ne peut les résoudre directement par ses propres moyens ? N'est-ce pas plus moral que la cynique «khatia rassi» et le peu enviable qualificatif de «diable muet»? Ignorer leur contribution relève de l'arrogance puérile et du mépris du citoyen. L'accumulation de rancoeurs finira par être prise en charge par la rue et se transformer en insidieuse désobéissance civile quand ce n'est pas l'émeute violente avec ses conséquences tant matérielles que morales sur l'autorité de l'Etat. Le désespoir destructeur et suicidaire vient automatiquement après le constat d'absence de toute forme de recours. Pour s'épargner l'amertume de cette sensation pesante d'indifférence à vos hurlements, il faut faire preuve de largeur d'esprit et s'armer d'une bonne dose d'optimisme, l'écho tant attendu parviendra peut-être un jour, mais il faut avoir une longue vie et surtout une patience en acier trempé. Le grain que vous avez semé ne germera pas cette saison, peut-être que la génération prochaine aura la chance d'en récolter les fruits. C'est généralement la situation qui conduit à la lassitude. On est abattu et on jette le manche après la cognée en se disant : «Après tout de quel droit je m'érige en avocat de ce genre de cause ? Notre administration est devenue au fil du temps une citadelle imprenable. L'opacité qui y règne découragerait les meilleures volontés. Les soucis quotidiens du citoyen sont superbement ignorés et combien de nos responsables pourraient vous dire ce qui se passe dans leur quartier même. Les vecteurs d'informations officiels continuent à brosser dans le sens du poil pour ne pas heurter l'autosatisfaction de la hiérarchie et la préservation des avantages malgré toutes les catastrophes que des dizaines d'avertissements avaient certainement prévues et dénoncées. Des réceptions définitives ont été fêtées alors que les travaux de réalisation n'ont jamais démarré. Des milliards ont été détournés par milliers et d'autres honteuses forfaitures ont été commises, tel le taillage en pièces du patrimoine public sans que les structures concernées éprouvent la nécessité d'intervenir. La réaction vient curieusement toujours très en retard malgré toutes les articulations de contrôle «traversées» par les opérations frauduleuses. On trouvera toujours quelques lampistes pour passer la serpillière et oublier l'épisode ! Dès que l'un de ces accusés de malversations est pris la main dans le sac et condamné à la prison, la rue lui établit la fiche de paie qu'il a reçue par anticipation et épargnée ou investie dans des affaires qu'il retrouvera à la fin de la peine. On évalue alors quel serait son salaire mensuel en divisant simplement la valeur accaparée par le nombre de mois d'incarcération. Sans prendre en ligne de compte les inévitables remises de peines et autres grâces, on aboutit à la curieuse conclusion que la prison, outre ses commodités, est l'employeur le plus généreux ! En face de ce gouffre anonyme capable de tout broyer et absorber, combien on se sent vulnérable et, quels que soient les moyens dont on dispose, ils finissent par apparaître si ridicules et la capacité d'influer sur le cours des événements si dérisoire. «Cultivons notre jardin» avait dit un célèbre philosophe lorsqu'il s'est aperçu que l'altruisme débridé peut avoir des conséquences fâcheuses et qu'il serait plus judicieux de consacrer ses efforts inutilement dépensés à s'occuper plutôt de l'arrosage de ses fleurs. Mais comment pourrait-on vivre en paix avec sa conscience et continuer à adopter la politique de l'autruche lorsqu'on viendra vous apprendre par exemple que des jeunes ont eu un accident grave à cause de quelques trous dans la chaussée à l'endroit même que vous avez signalé plusieurs fois aux services chargés de la voirie à la suite des sinistres similaires ? Rien n'a été fait, pourtant c'est le passage obligé de toutes les autorités qui ont certainement remarqué le danger du lieu et peut-être même décoché quelques dards acérés à l'endroit de la malheureuse dawla ! Peut-on devenir insensible aux appels de ses propres principes ? Mettre cela sur le compte de la fatalité qui a toujours bon dos et ravaler son amour-propre pour le peu de considération qu'on a accordé à vos doléances et se manifester encore pour la énième fois ? Si jamais on décide de vous répondre, on vous fera diplomatiquement ressentir que ce problème ne vous concerne plus et qu'il est déjà virtuellement pris en charge, donc une simple affaire de programmation ! Espérer l'annonce de la visite imminente du Président qui a toujours des vertus miraculeuses sur la soudaine disponibilité des moyens et le lancement des travaux, même si des fois, dans la précipitation, on n'hésite pas tacitement à s'arnaquer mutuellement sur la qualité des ouvrages. L'incurie prolongée des services concernés a souvent obligé les gens à organiser une petite touisa pour rendre praticable tout un tronçon de route en colmatant les nids-de-poule à l'origine de dangereux désagréments. Si, pour le commun des citoyens, dénoncer un fait préjudiciable à la communauté est un devoir, le responsable doit avoir l'obligation de réagir promptement et efficacement puisque c'est la seule raison de sa présence. En cas de manquement, il faut alors sévir lourdement et éviter les demi-mesures pour décourager d'autres futurs amateurs. Pour lutter contre le laxisme ambiant à l'ombre duquel fleurissent tous les maux sociaux, dont la corruption et les détournements et autres fleurons de la bureaucratie, il serait peut-être temps de réformer le système de gestion en revoyant l'efficience de ses procédures dans un souci d'avoir le maximum de transparence dans les relations. Le respect de la dignité du citoyen exige, sans tomber dans les travers des énigmatiques formules genre «pour affaire vous concernant» ! de trouver un moyen qui élèverait la réponse de l'administration à ses doléances au niveau de l'obligation légale. Subordonner les vecteurs d'informations (rapports, correspondances, demandes, etc.) qui circulent entres les différents partenaires à la délivrance d'un bon de réception officiel ayant valeur d'engagement de la part du destinataire d'apporter une réponse dans un délai raisonnable mais clairement déterminé, aurait peut-être un caractère dissuasif. De l'avis de nos plus éminents juristes, notre législation est l'une des plus riches au monde, le problème demeure sa formalisation sur le terrain, reste donc à trouver la loi qui obligera à appliquer la loi sans complaisance ! L'entreprise est gigantesque pour remettre à flot le bateau de l'administration tant les mauvaises habitudes se sont accumulées. Du rictus de mise avec lequel on reçoit le visiteur à la façade de croque-mort et de la constipation verbale derrière lesquelles on essaie de se barricader dans une vaine tentative d'impressionner l'interlocuteur. En réalité, ces attitudes simiesques sont l'unique recours pour dissimuler piteusement la détresse d'une indigence intellectuelle doublée d'un délabrement moral. Un visage avenant avec un sourire sincère ne diminue en rien l'autorité, au contraire il force le respect et dénote la confiance en ses capacités. C'est surtout l'image fidèle d'un être social ! Mais cela suppose une révolution des mentalités, c'est une autre affaire plus exaltante qui s'appelle : la culture.


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