Algérie

Le tigre blanc



Un ami, s'en revenant d'Indonésie, me révéla qu'à la suite d'une escale technique à l'aéroport de Bombay, il se sentit « obligé de se recycler, car l'odeur des cadavres incinérés dans cette ville ne quitta mes narines qu'après plusieurs jours ». Vraie ou fausse, cette anecdote me revint à l'esprit en terminant la lecture de Le tigre blanc, roman d'Aravind Adiga, lauréat du Booker Prize britannique pour l'année 2008. S'il est vrai que tout semble avoir une fin en Inde, sauf la pauvreté, et s'il est vrai aussi que les miséreux, dans ce pays, trépassent dans les rues au su et au vu de tout le monde, il y a, par contre, certains qui échappent miraculeusement aux tentacules de son Excellence la Misère et atteignent le sommet de la richesse et de la réussite.Le héros de ce roman, un rien que moins au départ, parvient à se soustraire à sa misérable condition dans la périphérie de Bombay. Il a eu la chance d'être cet étrange tigre blanc que la jungle s'autorise, une fois dans le siècle, à accueillir dans sa luxuriance inimaginable.C'est, du reste, le surnom que lui donne l'inspecteur d'éducation en visite dans sa région, et qui devait lui coller à la peau à tout jamais, notamment après son ascension sociale. Or, réussir dans une Inde où les frontières entre les riches et les pauvres demeurent intangibles et soutenues par le système des castes, relèverait, dans le cas de ce tigre blanc, d'un pur hasard, voire d'un accident de parcours. De fait, les frontières demeurent ce qu'elles sont et ne sont pas prêtes à reculer, ne serait-ce d'un iota. Toutes les probabilités font pâle figure dans la mesure où le mot probabilité lui-même figure davantage dans le lexique des riches que dans celui des pauvres dont le sort est par définition limité. Ce tigre blanc, après avoir exercé tous les métiers possibles et imaginables, après avoir assassiné ses maîtres pour lesquels il avait trimé jour et nuit, se voit propulsé à la tête d'une richesse colossale qui, il faut le reconnaître, l'incite à faire du bien, c'est-à-dire contribuer aux 'uvres d'édification de la région qui lui a permis de changer de statut social.Le voilà donc à échafauder des scénarios économiques en accord avec sa vision de l'Inde et du monde à la fois. C'est pourquoi, à la veille d'une visite officielle devant être effectuée par le Premier ministre chinois, Jibao, il décide d'écrire une longue missive à ce dernier pour l'entretenir de sa personne ainsi que des caractéristiques particulières des hommes de sa région. Ce faisant, il ne fait qu'écrire, d'une manière indirecte, sa propre autobiographie, celle de la misère, tout d'abord, ensuite celle de la richesse. Pour dire vrai, on ne sent pas le cadavre incinéré dans ce roman, peut-être même qu'il ne s'agirait là que d'une parabole mal goupillée en ce qui concerne l'Inde. Cela nous fait songer, parfois, à Ibn Batouta, le fameux chroniqueur maghrébin du XIIe siècle qui nous a donné une image aussi truculente que celle que nous livre, aujourd'hui, Aravind Adiga. Ce qu'il y a de plaisant dans ce roman, c'est que le personnage principal, en dépit de sa violence, parvient à nous faire oublier justement celle-ci, comme Gandhi qui a su mener son pays à l'indépendance sans recourir à la violence. C'est pourquoi, peut-être, l'Inde, en dépit d'un pied bien ancré dans la modernité, continue à nous échapper.


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