Il y a toute une construction du migrant que le réalisateur tchadien voulait déconstruire en réalité.Dans le cadre du 9e Festival international du cinéma d'Alger, un hommage a été rendu au Tchadien Mahamet Salah Haroun, pour son parcours exemplaire de réalisateur engagé. Ce dernier est venu également présenter à Alger son dernier film Une saison en France. Un film poignant sur la vie des réfugiés de la République centrafricaine en France.
Lors d'un point de presse, organisé le soir même de la cérémonie de clôture du Fica, le réalisateur Mahamet Salah Haroun est revenu sur la génèse de son film. C'est l'histoire de Abbès, un professeur de français, qui est contraint de quitter son pays à cause de la guerre. Il est déterminé à se reconstruire en France. Meurtri par le décés de sa femme, il s'organise tant bien que mal en attendant d'être régularisé.
Le réalisateur explique qu'il a abordé le thème des réfugiés, car il connaît assez bien ce genre de situation pour l'avoir vécue personnellement. «Aujourd'hui, dit-il, il y a un glissement sémantique qui nous amène à parler des réfugiés, mais aujourd'hui, on parle de migrants. Il y a beaucoup de gens qui quittent leurs pays tout simplement parce qu'ils sont réfugiés.
Et les réfugiés c'est politique. C'est un statut qui leur donne le droit à l'assistance et à la protection. Moi aussi j'ai connu cette situation. J'ai quitté mon pays à cause de la guerre civile. Quand je me suis présenté en France, j'ai dû demander l'asile que je n'ai pas obtenu. Depuis quelques années, on voit ce phénomène se développer partout.
Avec la guerre en Syrie, on voit des gens venir d'Afghanistan et d'Afrique. Tout cela m'a touché. J'ai commencé une enquête et je me suis dit qu'il fallait que je raconte cela d'une autre manière pour donner des visages et une histoire à ces gens, car la plupart, ou la totalité, des films que j'ai vus sur les migrants, sur la traversée et sur l'aventure, portent sur tout ce qui est spectaculaire, mais je pense qu'on ne raconte pas l'intimité de ces gens. Je voulais m'attacher à cela».
Mahamet Salah Haroun affirme qu'on aime bien présenter au cinéma ces corps comme étant étrangers et étranges dans leur désir complètement fou de prendre la mer. On les filme en réalité pour dire aux autres voilà, vous voyez leur misère. Le réalisateur s'est attaché à ceux qui, à un moment donné, accèdent à cet espèce d'eldorado et «comment ces gens se débrouillent avec les conditions d'accueil sur place».
Le réalisateur rappelle qu'il y a beaucoup de personnes venant, par exemple, de Syrie, qui sont lettrées et bien éduquées. Ces gens d'une certaine catégorie n'auraient jamais quitté leur pays s'il n'y avait pas la guerre. Mahamet Hassen Haroun voulait sortir de ces clichés, où le réfugié est toujours non éduqué, toujours misérable, pauvre et sale.
Il y a toute une construction du migrant qu'il voulait déconstruire en réalité. «C'est ce que j'ai essayé de faire. Je vous avoue que quand j'ai fait mon enquête, je suis allé à la cour nationale du droit d'asile, où les gens, une fois que l'OFRA (l'Office français de protection des réfugiés et apatrides) leur donne une réponse négative, peuvent faire un recours auprès de cette cour nationale du droit d'asile en banlieue parisienne, à Montreuil, et on affiche les noms, comme vous l'avez vu dans le film.
Toutes les semaines, il y a deux ou trois interventions des pompiers qui viennent ramasser les gens qui tombent parce qu'on leur refuse l'asile politique, par ce qu'ils perdent connaissance. C'est une vraie tragédie. Je voulais, en fait, un regard intérieur», explique- t-il.
L'orateur confie que quand il y a eu la guerre civile dans son pays, vers la fin des années 70, il s'est retrouvé du jour au lendemain avec sa famille à dormir à la belle étoile. Ils ont traversé le fleuve qui sépare le Tchad du Cameroun avec plus rien. A partir de cette pénible épreuve, qui a duré des mois, Mahamet Hassen Haroun a compris une seule et unique chose : c'est qu'un réfugié tant qu'il marche, n'est pas pessimiste.
Concernant la fourchette de comédiens choisis, le réalisateur est revenu sur le personnage principal de Abbès. Il estime que c'est l'un des meilleurs acteurs sur la place de Paris et qu'il le connaît très bien. «C'est vraiment, confie-t-il, quelqu'un de talentueux. Je l'ai pris pour ça. Son ami, Etienne, vient de la République centrafricaine. Il connaît l'histoire de son pays et la guerre civile.
Il est musicien. Les deux, je les ai pris parce que j'ai estimé qu'ils étaient bien pour remplir ces rôles-là. Quant à Sandrine Bonnaire, elle représente pour moi le visage de la France souriante et généreuse. La France comme je l'aime. C'est ce type de visage que j'aime en France. C'est ce sourire qui ne ment pas. Cette personne qui est assez sincère. C'est une très grande actrice. J'ai toujours rêvé de travailler avec elle».
Le réalisateur tchadien, Mahamet Salah Haroun, annonce que son prochain film sera enregistré, l'année prochaine, dans son pays natal, au Tchad. La trame du film reviendra sur l'histoire d'une femme qui a eu une fille hors mariage. Elle souffre pour éduquer cette adolescente compliquée. «Généralement, explique-t-il, quand les filles ont des enfants hors mariage, il arrive, chez moi, qu'elles soient chassées par leurs familles.
Et elles doivent se débrouiller toutes seules. Je voulais montrer le courage de cette femme qui fait tout pour que sa fille évite ce déterminisme-là. C'est donc un portrait d'une mère et sa fille entourée d'autres femmes». En guise de conclusion et sur un autre registre, le réalisateur a exhorté la jeune génération africaine à inventer sa propre économie pour donner à notre cinématographie une visibilité mondiale.
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Posté Le : 12/12/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nacima Chabani
Source : www.elwatan.com