Algérie

Le terrorisme sur les lieux du travail



« Je veux croire qu'au fond il ne se passe rien, mais enfin on en parle. »(Molière. Tartuffe, 1-1)

Aussi curieux que cela puisse paraître « Le terrorisme sur les lieux de travail »est l'expression employée par les Américains pour désigner le harcèlement moral ou psychologique en milieu professionnel (workplace terrorism) et renseigne, on ne peut mieux, sur la gravité de cette violence perverse. En Algérie le harcèlement moral au travail ne cesse de se propager, notamment dans le secteur public, encouragé sans doute par l'absence d'un cadre juridique précis en mesure de sanctionner sur le plan pénal des tortionnaires d'une nouvelle génération, ainsi que par la saturation du marché de l'emploi qui oblige les malheureuses victimes à se murer dans un silence aussi étrange que dévastateur.

La présente contribution a pour ambition d'ouvrir le débat sur cette épineuse question aux facettes multiples, laquelle jusqu'à une récente date appartenait au domaine des tabous.

Nous examinerons donc successivement la définition du harcèlement moral, ses conséquences ainsi que la protection juridique des travailleurs victimes de violences psychologiques.

LE HARCELEMENT MORAL : UN ENSEMBLE D'ACTES VINDICATIFS, CRUELS, MALICIEUX ET HUMILIANTS.

Le harcèlement moral ou psychologique (terrorisme sur les lieux du travail –persécution) est une attitude perverse d'un supérieur hiérarchique qui vise l'élimination d'un subalterne ou dans certains cas d'un groupe d'employés. Cette conduite abusive par sa répétition et sa systématisation porte gravement atteinte à l'intégrité physique et morale du salarié ainsi qu'à sa dignité.

En effet pour arriver à ses fins, le harceleur fait recours à des moyens vindicatifs, cruels, malicieux et humiliants lesquels portent atteinte à la liberté d'expression du harcelé, à sa vie privée à son honneur ainsi qu'à la qualité de la vie professionnelle.

ATTEINTE A LA LIBERTE D'EXPRESSION.

La victime, du harcèlement moral est complètement ignorée, séparée du reste du personnel et désignée comme l'ennemi à abattre, auquel personne ne doit adresser la parole ; même en dehors du service, sous peine de représailles disciplinaires sévères. is encore, elle n'est conviée à aucune réunion de travail ou récèption, ne reçoit aucune information sur la vie de l'entreprise et n'est pas autorisée à recevoir des visites même celles de parents ou de la famille.

Cette absence de toute forme de communication est souvent accompagnée de brimades et de remarques désobligeantes chaque fois que l'occasion se présente. Pour acculer davantage le persécuté le supérieur se mettra d'accord avec sa hiérarchie pour ne pas répondre aux doléances de la personne agressée.

ATTEINTE AUX DROITS A LA VIE PRIVEE, A L'HONNEUR ET A LA DIGNITE.

Le persécuté est fréquemment dénigré et des rumeurs sur sa vie privée sont méthodiquement propagées par un réseau activant à la solde du harceleur.

Ainsi des rapports sont transmis en catimini à la tutelle appuyés le plus souvent par des faux témoignages –accusant l'agressé d'être un élément perturbateur, qui cherche-à déstabiliser l'entreprise et empêche les responsables de travailler !!!

Le bureau du harcelé est fréquemment visité à son insu, son ordinateur (s'il a la chance d'en disposer), ses communications téléphoniques, voire même son courrier sont espionnés, et ses fréquentations en dehors du service sont étroitement surveillés. Ces procédés vicieux, barbares, impliquant parfois des représentants du personnel, (Il faut le dire, hélas !) visent à isoler le terrorisé, à le confiner dans une grande solitude, ce qui augmentera ses souffrances et facilitera son anéantissement par la suite.

ATTEINTE A LA QUALITE DE LA VIE PROFESSIONNELLE.

Souvent privée de toute forme d'activité, la personne persécutée se voit parfois-confier des tâches dégradantes et déplaisantes, ne correspondant pas à ses capacités professionnelles et encore moins à ses titres et diplômes.Elle est même placée sous l'autorité directe d'un responsable choisi au préalable parmi les cadres les moins expérimentés et ne possédant aucun titre,

Des instructions strictes sont données au personnel de la logistique de ne pas entretenir le bureau qu'elle occupe, se situant généralement dans un endroit isolé ou difficile d'accès.

Par ces manÅ“uvres diaboliques le harceleur cherche à empêcher la personne agressée - souvent un cadre gênant - d'avoir une influence quelconque au sein de l'entreprise et éviter que sa présence ne soit remarquée sur les lieux du travail, ce qui pourrait déboucher sur des conséquences imprévisibles.

Signalons que dans certains procès examinés par les instances judiciaires il a été constaté que le harceleur essaye souvent de tirer, bien sûr, profit de ses propres turpitudes en déclarant que la victime refuse d'exécuter les tâches (dégradantes) qui lui ont été confiées et ne peut de ce fait prétendre à aucune promotion !

Il est utile de signaler que devant l'importance de la résistance affichée par la victime, les moyens de harcèlement peuvent revêtir la forme d'accusations très délicates.

POURQUOI LE HARCELEMENT MORAL ?

Existe-t-il des employés plus enclins au harcèlement que d'autres ? Existe t-il des explications aux motifs des comportements des persécuteurs en milieu professionnel ?

Il n'existe pas un profil type du harcelé, car le harcèlement moral peut frapper n'importe quel employé, sans distinction d'âge, de sexe ou de grade hiérarchique.

Parmi les facteurs en mesure de déclencher cette violence, on observe le plus souvent les capacités professionnelles élevées de l'agressé, ses diplômes, ses opinions, son sens très développé de l'éthique, sa tendance à contester les ordres illégaux, son origine sociale et parfois son look.

Il ne faut pas perdre de vue que le terrorisé n'a failli à aucune de ses obligations professionnelles, ce qui explique les difficultés que rencontre son tortionnaire à user de sanctions disciplinaires, étant donné que ce genre de pouvoir est souvent entouré de garde-fous multiples susceptibles de démasquer sa mauvaise foi. Cette situation complexe outre qu'elle aggrave les souffrances, de la personne visée, laquelle n'arrive pas à trouver d'explications plausibles aux représailles de son persécuteur, renforce ainsi son isolement, car souvent soupçonné par ses collègues d'exagérer les faits.

Les harceleurs par contre, souffrent de sérieux troubles de la personnalité. Ils sont souvent dépourvus de certaines « qualités » qu'ils découvrent chez leurs victimes, ce qui réveillent en eux des pulsions incontrôlables les poussant à s'acharner aveuglement sur des personnes innocentes ; en se cachant derrière les pouvoirs organisationnels de l'entreprise, ils commettent des atteintes abominables aux droits humains les plus élémentaires au nom de la société qui les emploie et en utilisant ses propres moyens.

Hors service, ces agresseurs, affichent une vie tout à fait normale, mais sur les lieux de travail, ils cherchent toujours à être reconnus comme indispensables quel que soit le prix, même par l'élimination d'autrui. Ce n'est donc pas par hasard que sous d'autres cieux les emplois supérieurs de gestion dans les grandes entreprises ne sont attribués qu'après avoir fait subir aux managers pressentis, des examens médicaux très poussés où la psychologie occupe une part importante. Le but recherché est de savoir si le futur responsable ne souffre pas de déficience psychologique.

De nos jours se faire examiner par un psychologue et même par un psychiatre s'avère très bénéfique ; car « on ne connaît pas assez soi-même, l'être humain peut-être dangereux pour sa personne et son entourage sans le savoir ».

LES RAVAGES DU HARCELEMENT MORAL.

Les conséquences de la persécution de la personne humaine sur les lieux du travail sont multiples, et concernent aussi bien l'employé terrorisé, sa famille, l'environnement du travail ainsi que l'économie du pays.

Les travailleurs terrorisés sont souvent atteints de graves problèmes de santé.

Les perturbations du sommeil, les palpitations, l'hypertension, le diabète, les migraines ainsi que les problèmes d'estomac, sont les maladies les plus fréquentes que l'on rencontre chez les personnes agressées.

Chez les sujets sensibles et fragiles, on a pu aussi constater des états d'anxiété, d'excès de panique, de paranoïa ainsi que des états dépressifs qui peuvent déboucher sur la folie, ou le suicide.

La vie sociale du harcelé n'est pas épargnée ; non seulement ses contacts avec ses amis s'affaiblissent mais ses relations familiales se disloquent, et ses tendances à abuser de certains médicaments ou de l'alcool apparaissent rapidement.

Les employés finissent toujours par se rendre compte des violences psychologiques exercées sur leurs collègues.

Cependant ne pouvant pas combattre de telles attitudes immorales qu'ils réprouvent, ils préfèrent changer de service, partir en congé de maladie ou solliciter une mise en disponibilité, cette situation d'insécurité se répercute inéluctablement sur la productivité.

Dans le secteur privé la hausse des coûts de la production sera supportée par le client, mais quand l'entreprise appartient à l'Etat c'est le trésor public, donc le citoyen, qui subira les surcoûts en question.

La sécurité sociale est la première institution étatique qui règlera les factures exorbitantes des congés de maladie, de remboursements de frais des soins médicaux et des départs en retraite anticipée.

C‘est donc la société toute entière qui ressentira les conséquences économiques et sociales engendrées par les ravages du terrorisme en milieu professionnel, une récente étude élaborée par l'organisation internationale du travail, dévoile que cette violence coûte à l'économie allemande entre quinze(15) à cinquante(50) milliards d'Euros par année.

En Algérie il n'existe aucune étude dans ce domaine.

LE HARCELEMENT MORAL : UN CONFLIT INDIVIDUEL DE TRAVAIL, PARTICULIER.

Lors d'un récent colloque organisé par la fondation Friedrich Erbert sur la question du harcèlement moral en milieu professionnel -Initiative fort louable-, j'ai été surpris d'entendre certains participants déclarer que la loi algérienne ignore totalement cette violence, raison pour laquelle d'ailleurs, l'inspection du travail refuse d'accepter «les plaintes» des victimes de ces dépassements pervers, on souligne même lors de cette importante rencontre, que l'article 1235du code civil permettait de réparer, dans certains cas, le préjudice subi !!!

Nous tenons à préciser que la législation algérienne du travail a bel et bien reconnu au travailleur le droit au respect de son intégrité physique et morale ainsi qu'à sa dignité(Art 6.2-de la loi N°90. 11,relative aux relations de travail), mieux encore, la constitution algérienne proscrit et réprime «toute forme de violence physique, morale, ou d'atteinte à l'intégrité de l'être humain(voir Articles 34 et 35 de la constitution). Comme nous l'avons bien démontré au début de cette contribution, le terrorisme en milieu professionnel constitue une grave atteinte aux droits humains (liberté d'expression, vie privée, honneur, dignité, et qualité de la vie professionnelle.), or tous ces droits sont des droits constitutionnels (voir Articles 39,41,55 de la constitution.), Prétendre que la législation algérienne ne parle pas du harcèlement moral est une grossière erreur.

Cependant il faut reconnaître que le droit pénal Algérien, ne réprime pas ce délit en dépit de sa monstruosité.

Le droit pénal Algérien est donc en décalage par rapport aux droits protégés par la constitution algérienne. Remédier à cette lacune inacceptable est donc impérieux.

De ce qui précède, il devient difficile d'admettre la thèse selon laquelle l'inspecteur du travail, se déclare incompétent pour examiner les recours des victimes de persécutions psychologiques.

En effet, cette importante institution a pour principale mission le contrôle du respect de l'application de la réglementation du travail (Art 02 de la loi N°90-03, relative à l'inspection du travail) et comme l'employeur harceleur porte une atteinte importante à la loi sur les relations individuelles du travail(Art6), cette situation constitue de facto un conflit individuel, de la compétence de l'inspecteur du travail. (Art2 de la loi N° 90-04, relative au règlement des conflits individuels de travail).

Cependant l'employé persécuté doit respecter certaines procédures.

La personne agressée doit saisir au préalable au moyen d'une requête écrite, aussi précise que possible, son supérieure hiérarchique, ou à défaut sa tutelle de la situation de la persécution psychologique qu'il vit.

C'est ce recours qui sera remis à l'inspecteur du travail, huit ou quinze jours (selon le cas) après sa transmission avec accusé de réception aux responsables concernés.

Pour que l'inspecteur du travail puisse étudier utilement les doléances de l'employé, il doit obligatoirement être en possession d'éléments probants, prouvant l'existence des faits reprochés au persécuteur. Après instruction du dossier, l'affaire est traduite devant le bureau de conciliation compétent dans le but de concilier les deux parties. En cas d'échec un procès verbal de non-conciliation sera remis au travailleur pour lui permettre de saisir le tribunal siégeant en matière sociale.

Pour se faire la victime peut s'appuyer sur l'article 6.2 de la loi relative aux relations de travail, qui reconnait expressément au travailleur le droit d'être protégé contre le harcèlement moral, ainsi que la convention collective de l'entreprise, car cette dernière fait partie intégrante de la législation du travail et reprend en général les droits reconnus aux salariés par la loi N°90-11.

Le demandeur peut renforcer son mémoire introductif, en se basant aussi sur l'article 124 Bis du code civil qui considère l'exercice d'un droit comme étant abusif si son auteur cherche à nuire à autrui ou à satisfaire un intérêt illicite. Les Articles 34 et 35 de la constitution algérienne ne feront que crédibiliser davantage sa plainte.

Le juge examinera l'action intentée contre l'employeur en fonction des pièces administratives dont il est en possession. Il ne faut pas perdre de vue que le harcèlement moral au travail se caractérise par l'absence d'un conflit ouvert entre les deux parties. C'est cette particularité d'ailleurs, qui rend ce type de différend complexe donc difficile à traiter ; Ainsi le harceleur et la tutelle évitent soigneusement de répondre aux plaintes de l'agressé.

Les méthodes de torture morale employées par le tortionnaire sont vicieuses, et il est rare que l'agresseur fasse appel aux sanctions disciplinaires -notamment quand la victime est un cadre- car trop visibles.

Il est clair que dans un pareil contexte il n'est pas du tout aisé d'apporter des preuves et de se défendre efficacement. Le défendeur doit aider le juge à comprendre la réalité des atrocités vécues.

Les requêtes transmises à la hiérarchie, le dossier médical, les témoignages s'ils existent, constituent des preuves probantes qui permettront au magistrat d'aller au fond des choses ; les tâches dévolues au demandeur, le contenu de son dossier du personnel, souvent alourdi par des rapports dits confidentiels transmis à la tutelle pour souiller sa réputation, ainsi que les affectations et mutations administratives constituent des preuves irréfutables de l'existence des persécutions psychologiques.

Le montant de la réparation du préjudice matériel tiendra compte des pertes subies et des gains dont le demandeur a été privé. (Damnum emergens-lucrum cessans).

Le préjudice moral quant à lui, sera évalué en fonction du degré de l'atteinte à l'honneur et à la dignité, le juge peut même demander « la remise des choses à leur état antérieur » (voir Articles124, et non 1234 ? !, 131, 132,182 et 182 Bis du code ci

En Algérie, il est triste de constater que les harceleurs exploitent les moyens organisationnels et financiers de l'entreprise pour terroriser des travailleurs innocents ; peu importe pour les tortionnaires que la victime obtienne réparation du préjudice subi, car c'est l'entreprise, bien du peuple, qui versera le montant fixé par le juge.

L'action au civile ne peut à elle seule dissuader les persécuteurs de reprendre en toute tranquillité leurs persécutions, en affinant les méthodes usitées.

Le comble en Algérie, c'est de constater qu'un citoyen peut très bien être emprisonné et contraint de verser une amende pour de simples injures verbales ou pour avoir maltraité son animal domestique-ne pas comprendre que l'auteur ne respecte pas l'espèce animale-(voir Articles 299 et 449 du code pénal) ; cependant un gestionnaire qui porte atteinte à la santé d'un salarié, à son honneur ainsi qu'à sa dignité, fait supporter à son entreprise des sommes faramineuses, par ses propres fautes, occasionne à l'économie nationale des surcoûts de production importants et encombre les tribunaux de procès que l'on peut éviter, n'est pas du tout inquiété sur le plan pénal.

Il est grand temps de pénaliser le harcèlement moral sur les lieux du travail; les nations qui ont osé toucher le harceleur dans sa liberté et ses deniers ont vu le nombre de plaintes pour violences psychologiques chuter de quatre vingt dix pour cent (90%), d'autres pays sont allés plus loin, en reconnaissant le harcèlement moral comme accident de travail.

*Doctorant en sciences juridiques








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