Algérie

Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie



19ème partie
L'abbé Perrin n'avait jamais condamné ces dépassements ne serait ce qu'en privé.
Au contraire il recevait tous les journaux de Paris qui propageaient une «littérature» réactionnaire. Son c?ur battait à droite même s'il s'en défendait. Il était carrément raciste et anti-sémite.
A la limite quelle différence cela aurait impliqué s'il avait été d'une certaine gauche '
En toute innocence, il observait la réaction de mon père lorsqu'il lui donnait à lire tous ces écrits nauséabonds. Celui- ci lui signifia l'infamie, le racisme qui s'en dégageaient.
Un jour L'Abbé Perrin finit par lui avouer qu'il n'aimait pas les juifs, les bourreaux du Christ.
Mon père qui avait de plus en plus de mal à le supporter lui rappela que ce genre d'attitude relevait d'une inquisition prolongée au fil des siècles et d'un comportement indigne d'un prêtre.
Il lui dit surtout ne pas comprendre que des esprits dits civilisés conçoivent des choix contraires et dont l'anti semitisme chez un prêtre n'était pas le moindre après des phases civilisationnelles sans cesse remises en cause.
Ces mêmes esprits reviennent à la case de départ c'est à dire celle de l'intolérance et plus encore sur des engagements aux noms de l'Etat et du peuple français.
Les mensonges deviennent des vérités qui égarent le monde et dressent le lit des contraintes avec lesquelles on veut diriger les autres.
Mon père s'insurgeait déjà contre l'acceptation dans toute son horreur du fait colonial par un homme d'Eglise qui de surcroît était anti sémite et aussi hélas porteur de plusieurs langages.
Il finit par lui signifier clairement que si la pensée n'est pas contrôlée, le reste ne peut jamais être maîtrisé.
Il décida de ne plus répondre à ses invitations pas plus qu'il ne mit les pieds chez nous.
La visite de l'évêque d'Oran, fut la dernière circonstance obligée ou ils se rencontrèrent jusqu'au déclenchement de la deuxième guerre mondiale durant laquelle bien sur l'Abbé Perrin ne fut pas mobilisé, il restait la pour «garder et défendre» les âmes chrétiennes alors que mon père fut l'un parmi les premiers algériens du bourg a être mobilisé pour participer a la défense de la France.
Courageusement l'abbé Perrin prenait de nos nouvelles par l'intermédiaire de nos oncles dont l'un, jeune admirateur engagé de Messali Hadj, fougueux militant du PPA, revendiquant l'indépendance de l'Algérie, lui fit remarquer la contradiction qui résultait de cette situation qui faisait que ma mère se retrouvait seule avec 3 enfants, alors que mon père allait se battre pour une cause qui n'était pas vraiment la sienne.
L'abbé était encore l0 , à des milliers de kilomètres loin du front pour s'empiffrer a longueur de journées et commenter les événements à son aise. Pour se donner une bonne conscience il engagea aussi une relation épistolaire avec mon père qui par politesse lui répondait mais sans le ménager et pour lui assener à nouveau des vérités déjà connues de lui.
Au cours d'une brève permission, il était venu nous embrasser avant de partir en France l'Abbé apprit qu'il était la, il s'empressa de venir le saluer.
L'accueil fut poli et s'inscrivait dans les limites de nos traditions d'hospitalité.
Dans les 24 heures qui suivaient il nous quitta hélas.
L'un des souvenirs par lesquels je reste profondément marqué c'est cette foule d'amis et de parents venus l'accompagner jusqu'à la gare avant son départ.
Tous exprimaient spontanément leur tristesse qui se transforma en larmes en voyant l'enfant que j'étais s'accrocher à son manteau de militaire pour le retenir. Mes cris et mes pleurs ajoutaient à l'émotion intense et profonde.
L'atmosphère triste, lourde et poignante qui régnait à la gare se retrouvait dans notre maison chez toutes les femmes venues aussi manifester leur compassion à ma mère et à la famille.
C'était une ambiance endeuillée comme à l'occasion d'une mort.
La mobilisation fût aussi l'occasion de manifester l'injustice criarde qui faisait qu'un français père de 3 enfants n'était pas mobilisable mais tel n'était pas le cas pour un algérien. La venue au monde de Hamlily Redouane, quatrième enfant a fait que mon père fût démobilisé suite aux dispositions légales intervenues à l'initiative du général Nogues. Il retrouva ses affaires en ruine. Durant son absence un incendie mystérieux, accidentel ou provoqué avait ravagé l'un des dépôts plein de produits divers. L'essentiel c'est qu'il nous revenait vivant.
Pendant que la plus folle des mêlées sanglantes se poursuivait de manières différentes, entre l'Allemagne hitlérienne et ses adversaires, les esprits en France tout comme en Algérie étaient gangrenés par la démission puis la collaboration(pour certains historiens, seulement 2 %de résistants)
L'esprit de résistance au sens ou l'entendent les algériens, eux qui ont résisté au fil des siècles a tant d'envahisseurs était insignifiant chez les français.
La résistance et De Gaule avaient bien du mal a entraîner les millions de pétainistes vaincus et convaincus si l'on en juge par leur indiscutable soumission a la loi du vainqueur.
Au début, on avait du mal à comprendre de ce côté de la méditerranée comment
la France, grande puissance, avait été si vite occupée et vaincue dans de telles conditions, car les conséquences désastreuses se manifestèrent en Algérie et se conjuguèrent avec tant de fléaux naturels. Ce qui mettait à très rude épreuve la population qui avait tant souffert déjà depuis des décennies entières de l'arbitraire colonial. L'économie était en piteux état.
Les Hauts Plateaux, région à vocation agro-pastorale étaient dans un état désastreux en raison de la sécheresse et des maladies des hommes et du cheptel. Ras El Ma n'échappait pas non plus à tout cela.
Durant sa mobilisation un des associés de mon père négligea de faire vacciner le cheptel bovin contre la fièvre aphteuse par le vétérinaire du village. Ce qui ramena le troupeau de 117 à 17 bêtes. La mortalité de 100 têtes fut un coup dur à surmonter pour lui, d'autant qu'elle s'ajoutait aux autres centaines d'ovins qui n'avaient pratiquement rien à manger ou si peu et qui crevaient de faim.
Quel désastre de voir dépérir sous ses yeux le fruit de combien d'années d'un dur labeur.
S'agissant aussi de bêtes, il y avait une forme d'attachement entre elles et les hommes.
La peine certaine n'était pas fondée seulement par les conséquences matérielles non négligeables, mais aussi par ce lien indiscutable.
Je me souviens avoir vu plus d'une vache venir se faire caresser par mon père ou moi et pour lui prodiguer quelques mots.
Ces gestes et paroles établissaient cette forme d'attachement réciproque entre nous et nos bêtes.
A suivre


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