Algérie

Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie



3ème partie
Il constituait une vitrine où on pouvait tout découvrir. Dés mercredi pour certains ou jeudi pour d'autres Ras El Ma était pris d'assaut par des hommes venus de plusieurs horizons.
Les premiers étaient des commerçants originaires de Tlemcen pour préparer à l'avance les produits de première nécessité à écouler. Avec leurs collègues kabyles et israélites, ils occupaient les artères les plus commerçantes.
Les caravanes de dromadaires appelés ici improprement chameaux se succédaient dés le jeudi après-midi.
Les caravaniers avaient beaucoup de mal à fixer leurs dromadaires en des lieux déterminés.
Qu'ils fussent destinés à la vente ,chargés de sacs de céréales diverses ou de sel, les vaisseaux du désert emplissaient l'air de leur vacarme.
Chacun d'entre eux qui mesurait 3m.50 de longueur et pesait 700kilos de viande, blatérait de toutes ses forces, manifestant son caractère acariâtre et désagréable toutes les fois qu'on le sollicitait pour, un transport, un déplacement ou donner son poil durant les 40 ans de son existence et enfin au terme de celle-ci, sa viande et sa peau à l'homme, cet animal étrange et parfois bon mais qui dévore tous les autres animaux.
Les braiements des ânes, les hennissements des chevaux qui se manifestaient beaucoup moins fort par-ci par la étaient noyés dans ce vacarme assourdissant.
Mais après tout, les dromadaires comme les autres bêtes ont aussi leur langage.
Cette multitude sonore, particulière n'empêchait pas les nombreuses écuries d'être prises d'assaut par ceux qui voulaient remiser leurs montures fatiguées et ruisselantes après des trajets épuisants.
Les gargotiers du village, pris d'assaut, étaient ravis d'être sollicités a ce point.
Les menus étaient simples. Un bon plat de haricots ou de lentilles fortement épicées, précédait ou suivait une salade ou l'oignon dominait. Le petit lait était la boisson favorite.
Dans les gargotes aux murs enfumés on voyait des marmites immenses où la louche plongeait sans cesse pour remplir les assiettes à l'émail souvent ébréché et au fond desquelles étaient imprimés des motifs divers que tous ces gaillards affamés découvraient lorsqu'ils avaient tout avalé, parfois gloutonnement .Ils n'avaient guère envie de s'attarder sur cet aspect artistique de leurs assiettes puisque certains en redemandaient une deuxième aussi pleine que la première.
Entre le va et vient incessant de tous ces rudes nomades, fusaient des rôts tonitruants que l'un des pinces sans rire du village désigna par leur synonyme en les appelant éructations.
Ce à quoi, un autre lui répondit, rôts ou éructations, ils font trembler les images jaunies des gargotes et laissent dans leurs sillages en plus de leurs bruits rauques les effluves des gaz stomacaux.
Tout ce beau monde se retrouvait naturellement entremêlé dans une chaude ambiance où l'odeur de la cuisson faite d'ail, d'oignon et de cumin faisait un cocktail avec celle de la sueur de tous ces hommes qui ramenaient avec eux un peu aussi de celle de la gent animale qu'ils côtoyaient au quotidien.
On ne pouvait pas dire que cela sentait mauvais mais ça sentait différemment au point où ce n'était pas le lieu idéal pour un nez délicat. Le repas achevé s'en suivait de plusieurs verres de thé à la menthe dont certains prenaient une feuille pour la mettre dans une narine, durant un moment. C'était comme s'ils avaient enfin commencé à jouir d'un repos mérité devant un espace vert alors qu'ils étaient assis sur des bancs de bois dur devant des tables rugueuses comportant des taches grasses.
Le ciel parsemé d'étoiles qui brillaient de tout leur éclat allait servir de couverture à tous ceux qui aimaient dormir dans la nature, presque à même le sol, entourés de leurs burnous, cette cape de laine inusable.
Ils étaient loin d'être douillets. Le désert et la steppe les avaient endurcis depuis longtemps, comme tous leurs ascendants depuis des siècles.
Certains allaient au bain maure pour y dormir dans la salle de repos qui servait de dortoir.
La, chacun prenait place sur un matelas bien mince posé sur une planche, elle-même située sur une partie bâtie en dure et surélevée.
Après leurs ablutions, les locataires d'une nuit priaient Dieu avec ferveur et s'empressaient d'aller dormir après une journée harassante, sans oublier de mettre au préalable leur portefeuille sous leurs oreillers par prudence.
Les ronflements sonores de certains n'empêchaient pas les autres de dormir puis dés l'aube les uns et les autres se précipitaient dans la salle de sudation pour une toilette approfondie et nécessaire.
Ceux qui étaient les moins pressés faisaient appel au masseur qui leur faisait faire une gymnastique bienfaisante avant de les décrasser avec un gant rugueux. Ils étaient heureux comme des enfants au contact de l'eau qui allait leur manquer tant, une fois repartis vers la steppe.
Cette joie avait peut être une explication atavique puisque l'eau a joué un rôle déterminant dans la création de l'homme. Mais eux n'en étaient pas là. Les problèmes de l'acquis, de l'inné n'étaient pas les leurs. Dans la salle de repos on leur proposait du café ou du thé à la menthe dont les bonnes odeurs s'entremêlaient à celle du fond de l'air passablement humide.
Le contenu des cafetières et celui des théières était vite consommé avec plusieurs beignets à l'huile très chauds.
Les gargotes de la veille et les cafés maures proposaient le même service.
Ils étaient énormément sollicités de bon matin.
L'impatience des clients des cafés maures s'entendait à travers les coups de bâton donnés aux tables métalliques pour appeler le serveur.
Il n y avait pas meilleur test de qualité pour ces bonnes vieilles tables en fer comme les chaises qui les entouraient.
On était loin des salons bourgeois douillets et confortables. On n'avait jamais entendu parler de l'art de vivre dans ce milieu.
C'était là une autre préoccupation, plutôt bourgeoise, citadine, lointaine, différente, inconnue.
Le monde ici s'exprimait dans toute sa forme mi- rurale, mi- nomade ou un minimum de confort était déjà considéré comme un luxe.
A suivre


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