Algérie

Le temps, ce laminoir...



Constitué de deux cylindres que sont le jour et la nuit, on lui confie notre vécu. Il entame dans l'épaisseur et fait de nous des êtres plats sans idéal, le plus souvent végétatifs. Cet état d'esprit trouve dans la tradition orale un truculent vocable : «N'gasrou», de la radicale qassara (écourter).

Cela peut aller des interminables parties de dominos à ciel ouvert assis sur des objets hétéroclites faisant office de sièges, aux joutes de palabre au bas des immeubles. Nos préoccupations, nourries par le morbide fait divers ou quasiment alimentaires, meubleront le plus clair de notre temps. Le Ramadan n'est pas si lointain, il renvoie encore à ces silhouettes hagardes déambulant parmi les étals achalandés de victuailles. On se surprend à tout vouloir sur sa table, mais pas à consentir l'effort en rapport. Chacun se considère comme un insignifiant grain de sable, mais aucun ne s'avoue responsable de l'amoncellement des grains de sable qui participe à l'arrêt de la machine. Cette défaillance peut être temporaire ou inexorablement définitive. L'exemple en est donné par une multitude d'entreprises publiques dont la santé financière était pourtant florissante, et qui ont mis la clé sous le paillasson. Les gestionnaires qui avaient tenté un tant soit peu de gérer la chose avec orthodoxie, se sont vu signifier des fins de non recevoir par des instances syndicales ou partisanes avec le silence complice des tutelles, si ce n'est pas le cinglant désaveu en prime. Beaucoup de cadres de bonne extraction nationaliste ont été taxés de réactionnaires colonialistes. Nombre parmi eux se sont vus traités de fils de caïd ; leur seul tort étant d'avoir suivi de solides études et tenté de mener leur entreprise à bon port. Pour se cacher la face, l'Institution a inventé l'article 120. C'est grâce à ce carcan qu'on faisait croire à la masse « militante » que le détenteur de la carte de militant ne pouvait que porter le pays dans son coeur. Et contre toute logique économique, on distribuait des dividendes pour de virtuels bénéfices couverts tous par la perfusion étatique. Des militances syndicales pouvaient s'organiser autour de l'installation d'une simple enregistreuse (pointeuse) de présence. Et si le dernier mot revenait à l'administration, le compromis exemptait le personnel d'encadrement et celui de la cellule partisano-syndicale. On avançait les motifs d'astreinte qui les rendaient disponibles à chaque sollicitation. Le temps que beaucoup, ailleurs, considèrent comme de l'argent, est consommé de manière inconsidérée. La curée est générale, elle n'exempte aucun secteur : du haut responsable qui convoque longuement une conférence de presse au petit agent administratif qui fait attendre une file humaine, ou du commandant de bord d'avion de ligne qui laisse en rade toute une bordée de passagers, à l'enseignant qui sèche pour convenance personnelle, une salle d'examen. Préalablement annoncées, des délégations étrangères faisaient longuement antichambre pour être enfin reçues dans certains départements.

 Cette désinvolture n'aura de remède que le jour où chaque individu évaluera le temps à sa juste valeur et se sentira contraint moralement de respecter la dignité humaine sans tenir compte, ni du rang ni du statut social des individus. Et c'est certainement dans ce créneau porteur que devront s'investir et la société civile et les ligues de défense des droits du citoyen. La défense des droits de l'Homme est un titre générique trop pompeux et presque impalpable.

 La force majeure évoquée pour justifier le faux bond à l'emporte-pièce, ne peut être qu'exceptionnelle et même dans ce cas de l'espèce, l'intérim de la vacance doit pourvoir à la majorité des attentes. La continuité du service public ou privé participe de la crédibilité institutionnelle. Il est des esprits libertaires qui considèrent que leur entreprise de statut privé n'est pas astreinte aux mêmes obligations qu'un service public. La confusion est sciemment entretenue pour que l'exigence de prestation qualitative demeure unilatérale. Les agences commerciales de téléphonie mobile, celles qui ont pignon sur rue, du moins, ne s'embarassent d'aucun état d'âme en faisant attendre leur profuse clientèle sous une pluie battante ou un soleil de plomb. Elles peuvent anticiper sur leur capacité journalière d'absorption de la demande pour ne pas livrer leur « gagne-pain » aux aléas du temps.

 Que dire alors de ces responsables qui renvoient à des dates ultérieures des rendez-vous, ne tenant aucun compte des désagréments causés aux usagers. Certains services médicaux peuvent ajourner des actes pour malades réputés à risque sans en informer les intéressés. Les absences dans le milieu du travail, pour motif d'incapacité physique d'ordre médical, s'élèvent à des millions de journées rémunurées. Passée dans la pratique sociétale, cet usage du faux est admis par tous et, comble du paradoxe, par ceux-là mêmes qui en subissent institutionnellement le préjudice. Certains membres du corps médical peuvent délivrer des documents médicaux pour arrêt de travail complaisant, sans même vérifier l'identité de leurs patients. Le comportement individualiste ne s'embarrasse guère de scrupules, encore moins de posture de réserve.

 La chaîne est ainsi ininterrompue, toute personne subissant un préjudice quelque part, trouvera un malin plaisir à faire de même dans son fief. On parle souvent d'impunité, mais on ne dénonce que rarement les débordements pensant à tort qu'il ne servirait à rien d'en rendre compte.

 Et, fil à fil on tisse la toile arachnéenne dans laquelle s'empêtrera toute entreprise. Il est pour le moins curieux de constater que la chose privée est relativement sacralisée ; c'est plutôt le bien commun qui fait généralement les frais de la dégradation ou de l'abus. L'exemple illustratif en est donné par l'amoncellement des ordures à proximité des établissements publics (écoles, dispensaires), habitat collectif que devant des résidences privées. La conspiration serait-elle une autoflagellation consciente ou un archaïque vestige de l'époque du beylicat ?








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