Algérie

Le témoignage d’une fillette miraculée



Le témoignage d’une fillette miraculée
Le cinquantenaire de la manifestation anti-OAS de Paris, qui s’acheva par une charge meurtrière de la police au métro Charonne, sera commémoré le 8 février. Un ouvrage graphique richement illustré fait revivre ce triste épisode.






La bande dessinée devient un vecteur d’appropriation des pages de l’histoire. Ce style d’écriture, facile d’accès, ouvre à un large public la connaissance sur des événements du passé. Dernier en date, Dans l’ombre de Charonne, écrit par Désirée et Alain Frappier. L’ouvrage revient cinquante ans après sur le dernier acte criminel de la guerre d’Algérie dans la capitale française. L’OAS, regroupant dans ses rangs les fervents défenseurs du dernier bastion d’un empire colonial agonisant, multiplie les attentats à la bombe sur la capitale. Le 8 février, après 14 attentats, dont un blessant grièvement une petite fille de quatre ans, des manifestants se regroupent dans Paris aux cris de : «OAS assassins», «Paix en Algérie». La manifestation organisée par les syndicats est interdite par le préfet Maurice Papon, le même ordonnateur de la répression de la manifestation du 17 octobre précédent. La police charge avec une violence extrême. Bilan de la manifestation : 9 morts, dont un jeune apprenti, et 250 blessés.

Les auteurs étaient des enfants pendant la guerre. Alain Frappier est né en 1952, Désirée Frappier en 1959, «la guerre d’Algérie vécue du côté français fait partie de notre histoire. Les massacres du 17 octobre, les manifestants algériens jetés dans la Seine ou pendus dans le bois de Boulogne, les ratonnades en plein Paris sont des événements qui se sont déroulés durant notre enfance et dont les faits sont parvenus à nos oreilles sans être accompagnés d’explications. Dans l’ombre de Charonne est une histoire qui a réellement existé», nous disent-ils. Maryse, une jeune lycéenne de 17 ans, avait décidé de participer avec ses copains de lycée à cette manifestation contre le fascisme et pour la paix en Algérie. Prise de panique, elle se retrouve projetée dans les marches du métro Charonne, ensevelie sous un magma humain, tandis que des policiers enragés frappent et jettent des grilles de fonte sur cet amoncellement de corps réduits à l’impuissance.

50 ans plus tard, Maryse Douek-Tripier, devenue sociologue, profondément marquée par ce drame dont elle est sortie miraculeusement indemne, livre son témoignage à Désirée Frappier. Avec son mari Alain, ils mettent en forme graphique cette histoire, parue aux éditions Mauconduit. Pour Désirée Frappier, «il était très important de nous sentir solidaires et de participer, à notre façon, au cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. D’une part, parce que nous refusons de subir l’héritage d’un passé malmené, d’autre part parce que nous avons eu trop souvent l’occasion d’être profondément heurtés par les prises de position de notre gouvernement en matière d’immigration et de politique étrangère». Les auteurs avaient la volonté de faire un récit graphique, dans la lignée des œuvres qui mélangent mémoire individuelle et période historique initiée par Art Spiegelman (Maus) et perpétuée ces dernières années par de nombreux auteurs comme Marjane Satrapi (Persepolis) ou Joe Sacco (Gaza, 1956) ou récemment Turkos de Kamel Mouellef et Tarek-Batist Payen (éditions Tartamudo).

«Le récit graphique aborde des sujets sérieux de manière infiniment variée, n’hésitant pas à mélanger les genres, comme ici : le réalisme, la caricature, les vignettes, les bulles et les pages d’écriture, l’utilisation de documents photographiques…» Une manière, selon eux, de pouvoir, au travers d’un événement historique précis, le replacer dans un contexte historique, une façon de penser, une politique et d’un système… «Dès que nous nous sommes plongés dans la manifestation du 8 février 1962, nous nous sommes aperçus qu’il était impossible d’en parler sans prendre en compte tous ces éléments. Mais il nous fallait aussi les expliquer. Car il faut savoir qu’en France, cette guerre a été largement occultée et reste de fait étonnamment méconnue», nous affirment-ils encore. Dans l’ouvrage, «l’âge des protagonistes était une réelle opportunité. Les jeunes se forment au débat politique par le biais de la guerre d’Algérie en s’engueulant et en se questionnant sans cesse. Si leur lycée accueille majoritairement des élèves appartenant à une classe privilégiée, issus de familles progressistes, toutes les tendances s’y retrouvent confrontées. Saïd, le jeune Berbère protégé par la directrice, et révolté par l’immobilisme des Français face aux persécutions dont sont alors victimes les Algériens, a réellement existé, comme tous les autres personnages, et les débats relatés dans le livre étaient les leurs. Toutefois, sans mise dans le contexte, ces discussions seraient incompréhensibles à quantité de lecteurs et perdaient, de fait, une grande part de leur intérêt», nous précisent les auteurs.

Pour Désirée et Alain Frappier, la principale difficulté documentaire était l’illustration de la charge elle-même et les violences policières dont ont été victimes les manifestants. «Echaudée par les preuves apportées par les photos d’Elie Kagan lors des massacres du 17 octobre, la police a été vigilante pour que les violences du 8 février n’apparaissent sur aucun cliché. C’est ainsi que le photographe Gérald Bloncourt, dont nous parlons dans notre récit, s’étant fait détruire ses deux appareils et confisqué sa pellicule, n’a pu sauver que les clichés pris avant la charge, qu’il avait précautionneusement remis à un camarade.»
Il n’est pas anodin de signaler que l’ouvrage est publié par une toute nouvelle maison d’édition dont Charonne est la première publication. Il tombe à point nommé pour gommer une amnésie historique.

Lyon, correspondant el watan:Walid Mebarek



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