Le mensonge est
condamnable. Mais que faire devant un homme qui fabule, et qui finit par croire
à son propre mensonge ?
L'homme est devenu
hystérique. Il n'est plus journaliste, ni animateur de télévision. Il n'est pas
même plus supporter. En direct, sur une chaîne de télévision égyptienne, il
dénonce le massacre et appelle les autorités égyptiennes à intervenir
sur-le-champ pour sauver la vie de milliers de supporters égyptiens partis à
Khartoum soutenir leur équipe nationale, lors du dernier match de qualification
pour la Coupe du monde de football, le 18 novembre dernier. Le célèbre Hidjazi
en appelle au président Hosni Moubarak, aux ministres et à toutes les
institutions, entendez par là l'armée et les moukhabarate, dont l'intervention
est requise sur-le-champ, pour sauver du massacre d'innocents Egyptiens menacés
dans les rues de Khartoum par des hordes de supporters algériens, munis de
sabres, de haches et de gourdins. Des hommes courtois, civilisés, bien
habillés, sont poursuivis, dans la poussière de ruelles obscures d'un pays
subsaharien, par de jeunes fanatiques, incultes, drogués, n'ayant en tête que
l'idée de meurtre.
La preuve ? Elle est là, irréfutable, sous la
forme d'une vidéo d'un jeune artiste, qui promet d'aller à Khartoum, avec
couteau et pistolet, pour se venger. Il promet de tuer au moins vingt Egyptiens
pour étancher sa soif de vengeance. Et Hidjazi n'est pas le seul à évoquer,
jusqu'à l'hystérie, le sort de ces pacifiques Egyptiens, victimes innocentes
d'une boucherie méthodiquement planifiée par la partie algérienne.
Hidjazi, comme d'autres de ses confrères,
comme la rue égyptienne, a été victime du syndrome de Khartoum: on lance un
mensonge, et on y va si fort qu'on finit par y croire, entraînant avec soi des
milliers d'autres personnes qui deviennent à leur tour hystériques. Il y a bien
sûr une manipulation à la base, mais ceux qui relaient cette folie deviennent
si convaincus de leur mission historique qu'ils perdent tout sens de la mesure.
Aucun raisonnement logique ne peut les arrêter. Et peu importe l'ampleur des
dégâts qu'ils auront causés en cours de route: Hidjazi avait-il conscience que
son mensonge pouvait provoquer le départ d'Algérie de centaines, voire de
milliers de travailleurs égyptiens ? Savait-il que ses propos allaient
déboucher sur un tel déferlement de haine ? Pouvait-il imaginer qu'une
gigantesque entreprise égyptienne installée en Algérie allait se retrouver dans
une situation plus que délicate ?
Au lendemain du match de Khartoum, les
histoires les plus folles ont circulé en Algérie sur ce qui s'est passé dans la
capitale soudanaise. Des histoires mettant en avant la virilité de supporters
algériens « fehoula », leur courage et la manière dont ils se sont vengés des
Egyptiens. Drapeaux déployés dans la poussière de Khartoum, chantant à
tue-tête, alternant les slogans patriotiques et des refrains à succès à la
gloire de l'équipe nationale, ces supporters ont mené une véritable chasse à
l'Egyptien, selon ce qui se racontait alors sous le sceau du secret. Car il
fallait garder le secret, et surtout ne rien écrire, de crainte de voir les
Egyptiens exploiter ces incidents dans leurs plaidoiries auprès de la FIFA.
Chacun avait son histoire à raconter. Ceux
qui avaient fait le voyage de Khartoum comme ceux qui étaient restés
tranquillement chez eux. Il était impossible d'échapper à cette fabulation
collective, où les histoires étaient en noir et blanc: d'un côté, des
supporters algériens héroïques, solidaires, venus se sacrifier pour « el-khadra
» ; de l'autre côté, des Egyptiens apeurés, se cachant dans les hôtels pour ne
pas avoir à affronter la furia algérienne.
Pourtant, quelques jours après le match, il
était devenu possible de démêler partiellement cette histoire. Aucun supporter
algérien n'était en mesure d'affirmer avoir participé à un affrontement, ou en
avoir été le témoin direct. Aucun journaliste non plus n'a été le témoin de
telles scènes. Certes, des confrères ou des supporters lui avaient raconté des
scènes dignes d'un film de Sam Peckinpah, mais il a été impossible de trouver
un témoigne fiable. L'explication est simple: les autorités soudanaises ont
organisé les choses de manière telle que les supporters des deux pays ne
pouvaient pas se rencontrer. Finalement, il fallait bien se rendre à l'évidence
: l'Algérie était à son tour frappée du syndrome de Khartoum. Elle fabulait,
elle aussi, à propos de faits d'armes fictifs, d'actes inventés de toutes
pièces, attribués à des supporters dont on dénonce la violence tout au long de
l'année, avant de leur trouver des vertus à l'occasion d'un match unique.
Entre l'Algérie et l'Egypte, ce syndrome de
Khartoum s'est manifesté avec une petite différence. L'Egypte a accepté de
jouer le rôle de la victime, alors que la partie algérienne a préféré le rôle
le plus viril, le plus agressif. Violence d'un côté, déchéance de l'autre.
Voilà ce que le syndrome de Khartoum a permis d'oublier pendant un moment. Mais
cela ne change rien. Car les deux pays ont été touchés depuis longtemps par le
syndrome de Khartoum et ont choisi, depuis, de vivre dans la fiction, car ils
n'arrivent plus à influer sur la réalité. La preuve ? Les Egyptiens continuent
de croire qu'ils vivent dans un pays très influent, que leur président est
irremplaçable, que c'est un pharaon. En Algérie, des ministres disent très
sérieusement qu'ils ont construit un million de logements, que le pays va
bientôt accueillir vingt millions de touristes, qu'il est à la pointe dans des
combats multiples, allant de la préservation de l'environnement au
développement de technologies de pointe. M. Belkhadem continue à penser qu'il
incarne le FLN de Benboulaïd, Mme Louisa Hanoune croit que le RND est un parti démocratique
et M Ahmed Ouyahia continue à croire qu'il est un bon Premier ministre.
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Posté Le : 24/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com