Algérie

Le symbole des vingt ans



Il paraît inscrit dans la nature humaine qu'un homme ou une femme trouve souvent, que du temps de sa jeunesse, les choses étaient meilleures qu'à l'époque de ses descendants, qu'elles comportaient plus de parfums, plus d'images, de couleurs. Il en est de même pour les plus de cinquante ans qui ont eu la chance de pousser leurs études jusqu'à l'Université. On peut appeler cela conflit de génération, à la guise de chacun. On peut croire qu'un homme ou une femme, se trouvant menacé par l'âge et les rides, qu'il s'acharne à dessiner sur le visage, par les taches brunes qui garnissent lentement les mains, par les cheveux blancs qui font baisser la vue, par la bouche édentée sifflotant de phrases, rechigne sur le changement des comportements incompréhensibles par la seule raison.

On peut comprendre que les jeunesses soient différentes mais il y a tout de même des valeurs qui peuvent résister à toutes les générations. Durant les années 70, du temps où on voyait encore la différence entre Oran et la Sénia, l'Université d'Oran dite d'Es-Sénia était fraîchement et contradictoirement installée dans une ancienne caserne de l'armée française récupérée, puis cédée par la fraîche A.N.P. enfantée par la défunte A.L.N.. Les étudiants se comptaient facilement, se connaissaient pratiquement tous et formaient une seule famille autour d'enseignants pour la plupart d'origine étrangère, dont des noms célèbres aussi bien dans les sciences « molles » dont on ne veut plus aujourd'hui que dans les sciences « dures » seules porteuses de progrès selon nos gouvernants actuels. Les temps ont bien changé. A la « Sénia », les sciences sociales avaient fini par atteindre des niveaux de débat jamais égalés. Mieux, la « Sénia » était une référence dans ce domaine et en Algérie. Qui, parmi les étudiants, connaissait le Recteur ? Qui avait besoin, à l'époque, de connaître le Recteur dans une institution où malgré le peu de moyens matériels tout fonctionnait. Les cours et les TD ou TP selon la discipline étaient équilibrés, le restaurant universitaire fournissait des repas copieux pendant qu'à la cafète, Jean Ferrat chantait « l'important c'est la rose », la cité universitaire était mixte et aucune violence n'avait cours avec la protection des étudiantes par les étudiants d'abord. A l'époque, le vitriole n'était qu'un produit de laboratoire et la seule idéologie socialiste suffisait à unir les points de vue malgré les désaccords des uns avec les autres, sur la manière de procéder. Tout se passait dans le débat et la salle des actes témoignait chaque jour d'un cours, d'une assemblée générale ou d'un spectacle.

Le week-end universel nous maintenait dans l'universalité, et les activités culturelles n'avaient nul besoin d'être institutionnalisées dans l'organigramme de l'Université. Les étudiants s'organisaient entre eux et ne demandaient à l'administration qu'un espace nu. Le reste, tout le reste n'était que le produit de volontés. Pourtant l'U.N.E.A. avait été dissoute, certains anciens leaders incarcérés ou envoyés dans une caserne, de retour, avaient rejoint leurs cursus en se noyant dans la masse ou en s'impliquant dans les comités de volontariat. La guitare était l'instrument privilégié qui nous reliait aux grands noms de la musique engagée. « Avavaï Nouva » et les chansons de Nass El-Ghiwan, de Jil Jilala sortaient de toutes les langues en un rythme qui annonçait déjà la voie du progrès. Ahmed Fouad Nedjm, Marcel Khalifa et les montages poétiques de Omar El Khaiem étaient inscrits dans le quotidien de nos discussions. Boumediene, seul maître à bord, voulait récupérer les étudiants à partir de la révolution agraire, ces derniers voulaient récupérer Boumediene pour arrêter la poussée mafieuse des corrompus au sein même de l'Etat. Un début. Vain combat, mais combat quand même. Quand l'ennemi vaut la peine, on prend du plaisir à le combattre. C'était l'époque de Alloula et de Djellid, celle d'Issiakhem et de Pablo Néruda, celle de Kateb Yacine et de ses « sandales en caoutchouc », de Min Djibalina. Celle aussi du jean, de la veste militaire et des cheveux longs symbole de nos vingt ans et de notre révolte. Nous ne l'avons pas suffisamment racontée à nos enfants. Faisons-le, cela leur évitera de tuer s'il n'est pas déjà trop tard.




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