Algérie

Le sud pleure son porte-voix



Le sud pleure son porte-voix
Par : RABAH KARÈCHE
CORRESPONDANT DE “LIBERTÉ” À TAMANRASSET
Il a passé 6 mois en prison (18 avril-19 octobre 2021)
pour avoir couvert une manifestation publique. Deux (2) janvier 2007, le jour de la parution de mon premier article à Liberté. Je parlais du majestueux mont d’Assekrem, à Tamanrasset, et des paysages féeriques qu’offre ce site touristique aux adeptes du désert algérien. Au lendemain de cette publication, j’étais contacté par le chef de rubrique régions d’alors, Hanafi Hattou, pour m’exhorter à réaliser des reportages et des portraits de personnalités locales afin de promouvoir cette région touristique peu médiatisée. Ma première signature portait le nom d’Arezki Lvachir, un rebelle de ma région natale, Yakouren (Tizi Ouzou), qui a été guillotiné par la France coloniale. L’idée de ce choix était initialement d’incarner la personnalité de ce justicier et de cet homme de courage et d’honneur. Mais aussi d’honorer sa mémoire en s’inspirant de son audace pour faire entendre la voix d’une population livrée aux démons de l’impitoyable désert. Faire sortir cette région des abysses de l’oubli était l’engagement que j’ai fait avec l’équipe de ce journal, qui m’a permis de me faire un nom intimement lié à Tamanrasset et au Grand-Sud. Beaucoup de projets de développement ont été réalisés et plusieurs opérations d’investissement lancées dans cette wilaya grâce à ce journal francophone& ;qui a réussi à se faire une place prestigieuse dans une société majoritairement arabophone. Considéré comme un catalyseur du développement, Liberté s’est adjugé le label du porte-voix des Sudites. Il a aussi contribué à bien forger un journaliste dont les premiers balbutiements ont été assistés par un Hacène Ouandjeli exigeant et passionné de la perfection journalistique.
Comme il faisait partie des premiers fondateurs de Liberté, je n’avais donc pas eu de problème d’intégration et de conduite dans ce journal qui a pour principale devise& ;:& ;“Droit de savoir, devoir d’informer.” Cette devise, je l’ai faite mienne pour honorer la confiance placée en ma personne par tous les directeurs de publication qui se sont succédé à la tête de Liberté. Je parle de Mounir Boudjemâa qui a cru en moi et en mes talents de journaliste polyvalent dans une région spécifique, où l’exercice du métier de journaliste relève carrément des actions suicidaires. Je parle aussi d’Abrous Outoudert, qui a toujours affiché sa bienveillance et son soutien indéfectible à mon égard, tout comme les directeurs de rédaction et les rédacteurs en chef (Salim Tamani, Saïd Chekri, Rabah Abdellah, Djilali Benyoub, Hamid Saïdani et Karim Kebir), qui m’ont servi de lanterne et d’exemple de droiture et de professionnalisme. Sans oublier les pionniers des autres rubriques, Mohammed Mouloudj, Lyès Menacer, Hana Menasria, Aziz Boucebha et Farid Belgacem, avec qui j’ai compris le sens des responsabilités et d’abnégation qui te laissent t’épanouir avec ce sentiment d’appartenir à un journal construit par de grands et valeureux journalistes. Une équipe de journalistes soudés et unis pour mieux défendre la devise d’un titre qui symbolise toutes formes de lutte pour que jaillisse la vérité. Parce qu’il est synonyme de combat pour la tolérance, du pluralisme médiatique et de la liberté d’expression pourtant constitutionnalisée en Algérie, je me suis souvent permis d’aller jusqu’au bout de mes investigations et de mes enquêtes journalistiques, au péril même de ma vie et de celle de mes proches.
Chose qui ne faisait que déplaire aux responsables locaux dont l’indulgence ne se manifeste qu’en faveur des caresses dans le sens du poil. Sans surprise, cela m’a valu plusieurs démêlés judiciaires. En juin 2015, j’étais convoqué par le juge d’instruction près le tribunal de Chéraga, à Alger, à la suite d’une plainte déposée par l’Entreprise nationale d’exploitation des mines d’or (Enor) pour diffamation. Le reportage, publié par Liberté dans sa livraison du 7 juin 2015, avait provoqué un véritable séisme au sérail. C’était mon premier procès. Un procès politique qui a quand même permis aux responsables du journal, Outoudert Abrous, Saïd Chekri et Abdellah Rabah, respectivement directeur de publication, directeur de la rédaction et rédacteur en chef, de fuir la réunion de la rédaction pour se délecter des questions anecdotiques des juges. Ce qui m’a marqué le plus le jour de ma comparution devant le juge était surtout la solidarité des journalistes et des fidèles lecteurs de Liberté. Tout comme en février 2018, lors du soulèvement des Touaregs pour la réhabilitation de l’autorité traditionnelle. J’avais subi une autre série d’acharnement et de harcèlement pour avoir rapporté fidèlement les déclarations d’un Amenokal fou furieux contre le régime en place. L’équipe de la rédaction était encore présente pour m’assurer réconfort et appui. “Ne t’inquiète surtout pas, Rabah, nous sommes tous avec toi. Au pire des cas, on se retrouve à Chéraga (tribunal, ndlr)”, me disait Saïd Chekri, alors DP de Liberté.
Quelque mois après, le conflit pouvoir-Touaregs a été résolu au terme d’une réunion tenue entre l’Amenokal de l’Ahaggar, Ahmad Edabir, et le représentant du gouvernement, Noureddine Bedoui. Cependant, Rabah Karèche, taxé de séparatiste et d’antirévolutionnaire, reste dans le viseur des services de sécurité. Mon nom et celui de Liberté sont presque cités dans tous les rapports sécuritaires liés aux couvertures journalistiques locales, notamment celles relatives aux rassemblements de protestation, aux affaires de corruption éclatées et aux détournements de deniers publics. Liberté dérange sérieusement à Tamanrasset. On attendait ses livraisons avec impatience pour s’informer de l’actualité de la wilaya. Une actualité qui est bien entendu dépourvue de sensationnel, encore moins d’artifices servant à maquiller des vérités fracassantes. C’est l’unique journal francophone dans cette wilaya où la distribution de la presse écrite fait cruellement défaut. C’était aussi l’unique quotidien qui consacrait des colonnes entières aux hirakistes de la région. Raison pour laquelle j’étais auditionné en juin 2019 par la brigade de recherche de la gendarmerie suite à un article dénonçant les arrestations opérées pour port du drapeau amazigh lors des manifestations de vendredi. Pourtant, je ne faisais que mon travail. Pour m’enfoncer, le responsable de la gendarmerie au niveau local s’est arrogé le droit de poser des questions liées directement à mon appartenance politique, mes convictions partisanes, ma prétendue relation avec le MAK, les séminaires auxquels j’avais participé, les pays visités, les organes de presse avec lesquels j’ai collaboré, ainsi que les articles de presse publiés dans& ;Liberté& ;et mes posts Facebook. J’ai subi un interrogatoire de plusieurs heures avant d’être relâché, en me disant que d’autres services sécuritaires ont reçu les mêmes instructions et que je serai appelé à subir d’autres interrogatoires du même genre. Personnellement, j’ai cru en ce peuple qui aspirait à une Algérie meilleure et à une démocratie majeure.
Malheureusement, ce rêve s’est vite estompé avec les exactions policières que j’ai subies en février 2021. En moins d’un mois, j’étais convoqué à trois reprises par le service de lutte contre la cybercriminalité de la police judiciaire de la wilaya,& ;pour m’auditionner, encore une fois, au sujet des articles publiés par Liberté. Les mêmes services m’ont encore convoqué le 18 avril 2021 suite à la publication par le même journal de trois articles rapportant fidèlement la colère des Touaregs contre le nouveau découpage territorial. Sauf que ce jour-là la machine de l’arbitraire a été actionnée en ma défaveur. Le harcèlement a abouti à une détention provisoire puis à une condamnation inique sur la base d’accusations fallacieuses. Suite à mon procès en appel, j’ai écopé d’une année de prison dont six mois fermes, assortie d’une amende de 20 000 DA. Mon incarcération a fait le tour de la galaxie. C’était un scandale multidimensionnel à l’idée de savoir qu’un journaliste qui propose une analyse, du fait d’une connaissance approfondie de son sujet, de son expérience et de son travail acharné est un criminel en Algérie. J’ai quitté la maison d’arrêt de Tamanrasset le 19 octobre 2021 après avoir purgé ma peine. Le moral était au beau fixe. Une joie indescriptible que celle de recouvrer ma liberté et de retrouver les êtres qui me sont très chers. Une ambiance de liesse marquée par la présence d’une délégation de Liberté chargée d’immortaliser la fin d’un épisode de l’injustice. Hassane Ouali, Mohammed Iouanoughène et Karim Benamar étaient à l’accueil. J’ai respiré la liberté en compagnie de Liberté. L’histoire retiendra à jamais l’emprisonnement d’un journaliste qui n’a commis de tort que de faire professionnellement son travail de journaliste. Risque du métier, me dit-on. C’est le prix à payer et le sacrifice à faire pour une cause juste qui s’inscrit dans le but de ressusciter le parcours des vaillants martyrs de la plume auxquels je me suis toujours identifié.


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