Algérie

Le spleen du libraire



Le gérant de la librairie Chihab, sise en plein cœur de Bab El Oued, est d’ailleurs inquiet. Pourtant, dans ses vastes locaux, les présentoirs en rotin et bois vernis sont chargés d’ouvrages. Plus important, il y a foule. Des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, arpentent les allées. Certains vont d’un pas pressé, d’autres déambulent nonchalamment, marquant des pauses fréquentes afin de feuilleter l’un des livres exposés. «Il ne faut pas s’y fier. En fait, il y a effectivement affluence, mais uniquement en ce qui concerne les manuels parascolaires», tempère le libraire. «Les livres de cuisine se vendent plutôt bien, ainsi que les contes pour enfants. Et ce, contrairement aux romans et autres ouvrages littéraires, qui peinent à trouver preneur», ajoute-t-il. Les Algériens n’aiment-ils donc pas lire ' Dans un rire, le libraire rétorque : «Non, du tout. En fait, tout est une question de prix.» Et comparaison faite, il n’y a pas photo. Lorsqu’un manuel éducatif coûte dans les 300 DA, un roman est cédé à pas moins de 700 DA pour les éditions locales, un peu plus pour ceux d’importation. «Les livres sont devenus un luxe pour la classe moyenne, avec son pouvoir d’achat en berne. Les parents privilégient le cursus scolaire de leur progéniture», explique le libraire.
Le marché du livre est-il donc en crise en Algérie ' Les libraires sont hésitants à se prononcer. «Une chose est sûre : les «vrais» livres sont devenus un investissement !», s’attriste l’un d’eux. Et si le profil des acheteurs est assez varié, «la vielle école», arabophone ou francophone qu’elle soit, est inconditionnelle. «Mais leurs maigres pensions de retraites ne leur suffisent pas à assouvir leur passion pour la lecture. Certains clients veulent même me verser des arrhes afin d’acquérir un ouvrage», raconte le gérant de Chihab dans un haussement d’épaules.
S’adapter… ou mourir !
Afin de ne pas mettre la clé sous le paillasson, les libraires ont dû s’adapter, non seulement à la demande, mais aussi au pouvoir d’achat de la population. «Ces derniers temps, ce qui marche vraiment ce sont les manuels en tout genre, techniques ou scolaires, car les livres ne sont pas rentables», affirme un employé de la librairie du Tiers-Monde, située sur la place Emir Abdelkader. Et même les «puristes» du bouquin ont dû se faire une raison et céder à la déferlante du «para». Le seul qui soit vraiment à la portée de tous. «Ça commence par une étagère, puis toute une allée. Puis, on finit pas aménager la moitié de la boutique pour ces ouvrages. La meilleure partie en fait, celle en face de la vitrine. Les livres sont, quant à eux, relégués au fond du magasin», déplore le libraire de Bab El Oued. Mais ce qui inquiète au plus haut point la plupart des libraires est le «non-renouvellement» de leur clientèle. «Les jeunes ne lisent pas et ne sont pas encouragés à le faire. Les prix pratiqués sont dissuasifs. Les bouquinistes ont disparu et les bibliothèques ont fermé. Comment voulez-vous qu’ils se cultivent '», s’interroge un libraire tenant échoppe sur la place Audin.
Alors, certains iront même jusqu’à s’étonner quant aux bénéfices à tirer de ce Salon international du livre. «Est-ce que ce salon est vraiment judicieux ' N’est-ce pas un peu prétentieux lorsqu’on sait que les livres sont hors de prix et que toute une génération a grandi sans avoir ouvert un livre ne serait-ce qu’une seule fois !», s’exclame un libraire. La solution ' En réponse, chacun y va de son diagnostic : «Suppression de la TVA, encouragement des jeunes talents, aides en faveur des maisons d’édition, meilleure répartition de la distribution, l ‘Etat se doit de subventionner ce marché, tout comme il soutient d’autres produits de consommation courante…» Seule lueur d’espoir dans cette sombre période du livre, les plus petits. «L’on sent que les parents qui ont des enfants en bas âge veulent absolument leur donner goût à la lecture. D’ailleurs, les contes pour enfants, certes très abordables, s’écoulent très rapidement», assure, optimiste, un bouquiniste. «Espérons seulement qu’une fois grands, ils ne soient pas eux aussi obligés de payer rubis sur l’ongle un bouquin !»      
 


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