Algérie

«Le souvenir, c'est la présence invisible», Victor Hugo



Par Saïd Aït Mébarek
Il me reste, pour parler de toi, Allaoua, évoquer ta mémoire, en ce triste anniversaire de la funeste après-midi du 11 février 1996, des bribes de souvenirs, des réminiscences douloureuses.
Il reste, aussi, ces images évanescentes de l'effroyable spectacle, que je découvris, en me rendant à la Maison de la presse Tahar-Djaout, le lendemain, vestige de la déflagration cataclysmique de la bombe qui a dévasté le siège du quotidien Le Soir d'Algérie et qui t'a effroyablement ôté la vie à toi, à deux de tes collègues, Mohamed Dorbhan et Djamel Derraza, ainsi qu'à de paisibles citoyens, automobilistes ou piétons parcourant la rue Hassiba pressés, sans doute, de rentrer chez eux, pour la rupture du jeûne.
Il me revient encore en mémoire cette insoutenable vision macabre de corps sans vie, vêtements en lambeaux, portant les stigmates de l'explosion et allongés à même le sol à l'intérieur de la morgue du CHU Mustapha où il me fut difficile de reconnaître ta dépouille.
C'était la dernière image avant la mise en bière. Et ce fut le dernier voyage et l'ultime retour vers la terre natale où tu reposes à jamais, depuis la journée du 13 février 1996, au pied du poirier séculaire qui veille sur ta sépulture.
Mais je garde de toi les qualités de l'honnête homme ancré dans notre temps dont tu incarnais les valeurs à ta façon, en faisant le thème de tes émissions que tu animais sur une radio communautaire à Paris, dans les années 1980. Féru de musique et de poésie, tu affectionnais particulièrement Cherif Kheddam et Lounis Aït Menguellet sans pour autant dédaigner le chaâbi, l'andalou et d'autres musiques du patrimoine algérien. Défenseur acharné de la culture amazighe, tu abhorrais l'enfermement et le rejet de tout ce qui peut aider à la promotion intellectuelle de l'homme et son enrichissement.
«Nul ne peut atteindre l'aube, sans passer par le chemin de la nuit.» Je te prête volontiers cette méditation positive de Khalil Gibran pour évoquer l'optimisme qui irradiait de ton être pour contaminer les autres. Tu étais positif en tout, tolérant et tourné vers les autres, malgré les contingences.
Consciencieux, tout dévoué à ton ouvrage et affairé comme à ton habitude à mettre les dernières retouches à l'édition du lendemain du journal dont tu avais la responsabilité éditoriale, tu étais, dans cette fatidique journée du 11 février, loin de te douter que les chasseurs de lumière allaient oser l'effroyable crime : semer le deuil et la mort en cette fin de journée du Ramadhan, mois de piété, de ferveur religieuse et de pardon comme le proclamaient faussement ces fous de Dieu qui, depuis quatre ans déjà, avaient entrepris de se venger d'un peuple qui a refusé de se soumettre à leur diktat au nom d'une religion dont ils se croient tutélaires.
Fidèles à leur serment, ces hordes barbares des temps modernes ne s'avouent pas vaincues. Ils ne font que troquer le sabre et le fusil contre le verbe mielleux, n'hésitant pas à marcher sur les tombes de leurs innombrables victimes pour réinvestir la scène, en ces temps des infortunes et de l'incertitude de l'Histoire en marche.
Tu es parti bien trop vite, bien trop tôt, et il me faudra encore longtemps avant de réaliser que tu n'es plus là, que nous n'allons plus jamais nous retrouver à deviser, que nous n'aurons plus nos discussions interminables, à refaire le monde...
Adieu et merci pour tout.
S. A. M.
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