Quel courage ! Les chefs des Etats membres de l?Organisation de la conférence islamique (OCI) viennent de se réunir à Dakar pour dénoncer l?islamophobie dans les pays occidentaux. A l?ordre du jour, la révision, enfin, d?une charte âgée de 36 ans à la lumière des événements qui ont touché l?Islam dans sa compréhension, dans sa capacité d?adaptation aux mécanismes de la mondialisation, en l?inscrivant sur les tablettes des Droits de l?homme version Chariâ tel que la feuille de route a été tracée par l?Occident romanisé et post-hitlérien, qui a quant à lui réglé ses problèmes de pensée. Une charte ou même sa révision suffiront-elles à mettre de l?ordre dans un paysage où prédominent la haine et la violence entre des peuples d?une même Terre ? La question paraît soulever plusieurs hypothèses et plus d?une interrogation sérieuse. Le rapprochement entre les religions se fait par l?intermédiaire des hommes de culte appuyés par les Etats, donc principalement dans la sphère officielle loin des appréhensions de populations qui campent majoritairement, consciemment ou inconsciemment sur leurs positions identitaires respectives, ce qui paraît a priori inscrit dans l?ordre normal des choses.Mais d?abord qu?est-ce qui a fait émerger l?OCI ? On retient que cette organisation qui paraît strictement religieuse par sa dénomination, mais qui est en fait politique, se fixe aussi des buts économiques, sociaux et culturels dans la foulée des rencontres. Mais la première réunion qui a eu lieu à Rabat le 25 septembre 1969 avait fait suite à l?incendie criminel de la Mosquée Al-Aqsa par un illuminé d?origine australienne. Un mois auparavant. En mars 1970 et devant la tournure qu?avait prise cet événement chez les populations musulmanes, les ministres des Affaires étrangères des pays membres, en grande partie arabes, dont la Palestine, créent à Djeddah un siège provisoire de l?organisation en attendant la... «libération de Jérusalem». Rien que ça et juste après la défaite militaire arabe de 67. Un Australien donc et une rue arabe qui avait enfin «bougé» ont poussé les gouvernants à se rencontrer pour évaluer l?avenir de leurs pouvoirs respectifs en se promettant plus de coopération, plus de solidarité, plus de soutien à la cause palestinienne, plus de dignité pour leurs peuples. Puis sont rentrés chez eux. Jusqu?au prochain sommet. Entre-temps, ils ont développé leurs coopérations respectives avec l?Occident, ils se sont divisés sur nombre de questions subsidiaires, laissant de côté l?essentiel, se sont fait des guerres froides et même chaudes et se sont fait le plus clair du temps arbitrer par une puissance par définition non islamique.En mars 89, l?OCI se convoque à nouveau après la sortie du livre de Salman Rushdie et s?accorde sur la sentence qui le poursuit jusqu?à présent. Cette sentence a fait de l?auteur des «Versets sataniques» une star de l?écriture au lieu d?atténuer ses allégations par la réaction des Ulémas musulmans aux fins de répliquer par une multitude d?écrits sur la question et prouver qu?ils en sont capables. Une autre sentence qui aurait au moins le mérite de garnir nos bibliothèques plutôt que cette mise à prix ridicule de la tête de l?Indien qui a grimpé dans les sondages occidentaux. L?essentiel étant la démocratisation de la vie publique, sans cesse renvoyée vers des échéances impossibles, les pays membres de l?OCI ont du mal à évoquer l?islamophobie envers leurs peuples du fait qu?entendue au sens du mépris, la situation pourrait se retourner contre eux et les indiquer du doigt. Le rapport gouvernants/gouvernés se débat encore dans une définition proche du Califat y compris pour les républiques et des contours de la modernité imposée par l?Histoire de la globalisation.Les rapports entre les Etats n?enfantent de leur côté que les salamalecs fraternels tout juste courtois alors que sur le registre de la coopération économique, culturelle, scientifique on ne note rien de durable ni de grandiose. Pas de grands projets à la dimension des 1,3 milliard de musulmans en dehors des concours des plus grandes mosquées du monde. Par contre, l?instrumentation du discours religieux à des fins politiques ou de simple exercice du pouvoir demeure une caractéristique commune des Etats. Que deviennent alors les peuples ? Ils manifestent leurs mécontentements et leurs colères chaque fois qu?une caricature vient leur rappeler que leur laitage et leurs médicaments sont totalement importés. Ils brûlent des drapeaux occidentaux et bâtiments administratifs reconstructibles.Doutant de la réussite du sommet de Dakar, l?Imam Mouhamadou Bamba Sall de Yoff déclare que «l?OCI qui demeure incroyablement muette au moment où Israël massacre continuellement le peuple palestinien - ainsi qu?elle a toujours adopté une posture indifférente sur des questions qui l?interpelle comme celle de la Tchétchénie - doit absolument s?évertuer à combattre la pauvreté, l?ignorance, les maladies, et aider les peuples des pays membres à sortir de la misère». Pourtant ce ne sont pas les fonds qui manquent et si l?on considère la Oumma dans son sens le plus religieux et le plus solidaire du point de vue de l?Islam, on peut déclarer que l?islamophobie doit être d?abord balayée des palais royaux qui servent de nids à l?injustice sociale. Après cela, il sera aisé de demander aux Occidentaux de la combattre chez eux. Par des lois limitant la création des caricaturistes, des cinéastes et des écrivains, ce qui paraîtra sans nul doute hors du temps si l?on considère le niveau atteint par les libertés publiques chez eux.Lorsque entamant la présidence de l?organisation, le président Wade, 82 ans, déclare «ma priorité sera le problème palestinien, avec l?établissement d?un Etat palestinien internationalement reconnu à l?intérieur de frontières sûres», exprime-t-il un voeu pieux, ou fait-il dans la récupération politique tout en préparant son fils, homme d?affaire chargé d?organiser la rencontre de Dakar, à sa succession ? Ou alors il prépare son pays à accueillir les investissements des pays du Golfe qui auraient avancé 543 millions d?euros pour que la capitale sénégalaise puisse luxueusement accueillir le sommet. Dans un pays où la population vit avec moins de 2 euros par jour et par habitant. Tout le reste n?est que caricatures, elles aussi blasphématoires.
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Posté Le : 20/03/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed Saïfi Benziane
Source : www.lequotidien-oran.com