Il existe près de 34.000 entreprises algériennes en bâtiment. Sur le
nouveau programme annuel des 200.000 logements, elles auraient pu avoir droit à
un chantier de 06 logements chacune. Plus besoin des sociétés turques, ni
d'importer des Chinois, ni de transférer des millions de dollars vers
l'étranger. Pourquoi ce n'est pas le cas ? Parce que les entreprises
algériennes se portent mal. Pourquoi elles se portent mal ? Voici quelques
réponses.
UNE MAIN-D'ŒUVRE QUI A PERDU LA
MAIN
«On répète partout que les entreprises algériennes ne sont pas capables, alors
qu'on ne fait rien pour les rendre compétitives», conclut l'un des plus gros
entrepreneurs algériens dans le BTPH. Conséquence : les entreprises algériennes
sont écartées sur les gros chantiers générateurs de plus-value et de capital
d'expérience, il n'y pas de transfert de maîtrise ni maîtrise des délais et des
qualités. Pour les quelques entrepreneurs algériens interrogés, les faveurs des
autorités publiques sont accordées aux sociétés étrangères sous prétextes de
leurs performances. «En fait, il s'agit de quoi ? De la force de la main-d'Å“uvre
et d'une technologie. Les entreprises étrangères disposent d'une main-d'Å“uvre à
moindre coût, capable d'assurer légalement des rythmes et des rotations
d'ouvriers, plus importants que ce qui est accordé aux Algériens». «L'ouvrier
turc travaille 16 heures par jour, habite dans des camps de vie. L'ouvrier
algérien a une famille, des charges et des déplacements à faire. Le volume de
travail légal est de 40 heures par semaine et les heures supplémentaires sont
plafonnées», explique notre interlocuteur.
Avec une main-d'Å“uvre disponible en nombre et en qualité, on «réduit les
délais et donc les charges et donc les coûts» pour les étrangers qui en
deviennent plus concurrentiels face aux Algériens. «Les étrangers peuvent
fonctionner sur des rythmes plus rapides, avec près de 70 heures de travail par
semaine et sur des rotations de 7 jours sur 7. Faites vos calculs», argumente
notre source.
Au «Que faire ?», les patrons algériens répondent par plusieurs
propositions : «jouer sur les rotations entre heures de travail et heures de
récupérations. Un rythme de 24 heures avec 12 heures de récupérations par
exemple.» D'autres préconisent la solution par le nombre. «Recruter encore plus
de travailleurs ? Oui, mais encore faut-il les trouver», rétorque notre source.
Car les maçons algériens, les métiers et les ouvriers spécialisés deviennent de
plus en plus rares en Algérie.
LA FORMATION PROFESSIONNELLE… DANS LE VIDE
«Voici le tableau : l'entreprise algérienne a en face d'elle une
entreprise étrangère qui a droit de faire travailler ses employés selon ses
rythmes, une entreprise qui est payée à hauteur de 30% en devises sur le
montant du contrat, une entreprise sans charges énormes et qui ne ramène rien
de plus que sa main-d'Å“uvre, le reste des équipements étant disponibles ici.». En
face, «une entreprise algérienne obligée de respecter des délais, payant ses
charges, roulant avec une ressource humaine peu formée, contrainte par une
réglementation de travail à 40 heures la semaine et soumise aux diktats de l'ANEM». L'agence d'emploi impose en effet ses listes et ses
recrues, limitant les possibilités de sélections des entreprises algériennes. «Il
vous faut la fameuse attestation d'indisponibilité de l'ANEM
pour pouvoir recruter l'ouvrier valable que vous avez pu dénicher», explique un
chef d'entreprise du secteur. «Pensez-vous qu'un bon ouvrier irait s'inscrire à
l'ANEM ? Et cette agence a-t-elle les moyens de juger
des compétences d'un demandeur d'emploi ?»
La solution là aussi ?: «Libérer les entreprises
algériennes en leur permettant d'importer la main-d'Å“uvre spécialisée, capable
de former la main-d'Å“uvre de base et soutenir cette solution par des mesures de
réductions des charges par exemple», préconise l'un de nos témoins. Le constat
est d'ailleurs unanime : ce qui manque au plus dans le secteur du BTPH, ce sont
les métiers comme les plomberies, les corps de finition surtout. La formule
permettrait surtout le fameux transfert de savoir-faire qu'une décennie
d'importation de Chinois n'a pas assuré ni assumé. «En important, momentanément,
une main-d'Å“uvre spécialisée, pour les métiers rares, je ne peux qu'encourager
le transfert de compétences et de maîtrise car il y va de mon intérêt, à long
terme, et de mon souci de réduire les coûts», explique une source. Le grief
contre les Chinois sur leur culture de cloisonnement est partagé par presque
tous : les Chinois évitent de transférer leurs savoir-faire, soucieux de garder
leurs marchés et ne recrutent les Algériens que pour les prestations
périphériques. Les pressions des différents gouvernements algériens depuis une
décennie n'ont guère changé la situation. «Les Chinois peuvent vous construire
un immense hôpital mais s'arrangent pour rester nécessaires même pour la
construction d'un centre de santé dans le profond pays».
CE QUE LES ALGERIENS NE SAVENT PLUS FAIRE
«On a surtout besoin de main-d'Å“uvre spécialisée, de conducteurs de
travaux par exemple», nous explique un chef d'entreprise. En termes de charge, cette
«importation ciblée» n'excédera pas les 5% de toute la masse financière
débloquée pour un quelconque chantier. «Et cela va revenir à l'Etat moins cher
que de débourser les 30% de forfait pour les entreprises étrangères, somme
payable en avance et expatriée de facto». Cela ira réduire la fuite des devises,
permettra une capitalisation des ressources humaines et une formation réelle
pour la main-d'Å“uvre algérienne. Des mesures immédiates ? «Pour moi, il faut
profiter de la conjoncture de la crise économique grave que vivent certains de
nos pays voisins comme l'Espagne. Qu'est-ce qui empêche d'y puiser de la main-d'Å“uvre
qualifiée, par exemple, à moindre coût d'ailleurs ?», s'interroge nos
interlocuteurs. «La crise peut nous permettre même de s'équiper à moindre coût
dans leurs parcs au lieu d'imposer l'achat du neuf. Une grue a une durée de vie
de 50 ans, pourquoi imposer à l'entreprise algérienne d'en acheter seulement
une neuve ? Les équipements sont en soldes en Europe et cela peut avantager les
entreprises algériennes, avec des coûts moindres en équipement et au départ». L'occasion
est bonne, selon nos sources, pour encourager la création de sociétés mixtes, avec
la condition de programme inclus de formation. Il suffit d'une bonification de 10%
sur les marchés publics pour soutenir l'importation formatrice de main-d'Å“uvre
spécialisée. «Et si on ne saisit pas cette occasion maintenant, elle risque de
ne plus se présenter à l'avenir».
«Quand on pense aux budgets
colossaux consentis pour une formation professionnelle algérienne sans retour
sur les chantiers algériens et depuis des décennies déjà ! Avec ces sommes, on
peut soutenir des entreprises algériennes pour importer de la main-d'Å“uvre
spécialisée, capable d'assurer une formation directe des ouvriers de base et
sans coûts importants». Une proposition qui s'ajoute à d'autres pour faire le
retour sur le secteur de la formation professionnelle et ses centres
«déconnectés de la réalité de l'entreprise algérienne et de ses besoins», nous
affirme-t-on. Le diagnostic fait par les chefs d'entreprises du bâtiment sur la
formation professionnelle est donc sévère : à la limite du «cela ne nous sert à
rien», dit-on. Les faiblesses ? «Un encadrement insuffisant et des choix de
stagiaires irrationnels». «Que peut-il se passer quand on prend un jeune de 16
ans et que l'on va essayer de former à être maçon pendant longtemps alors que
lui ne veut pas de ce métier ou ne s'y intéresse que
le temps d'une formation ? Rien de plus que des dépenses». Le secteur de la FP connaît en effet d'énormes
déperditions et ses investissements ne se répercutent pas sur la qualité de la
main-d'Å“uvre algérienne, malgré les statistiques. Le chef d'entreprise
algérienne est d'ailleurs confronté aux mêmes difficultés du simple ménage
algérien à la recherche du bon plombier dans toute la ville.
La solution là aussi ? «Consolider
le lien Entreprises/centres de formation. Le stagiaire pourrait être, par
exemple, désigné par l'entreprise. Il sera sélectionné en fonction de ses
besoins et de son choix, pour une formation auprès du centre et avec le
bénéfice d'un présalaire, une convention et la garantie d'une embauche vers la
fin du cycle». Mieux encore, «ces formations pourraient avoir lieu dans les
chantiers mêmes, évitant des dépenses de matériaux aux centres. La solution est
que l'entreprise soit partie prenante de la formation et que le formateur soit présent
dans les chantiers. Le stagiaire vivra sa formation comme une promotion et une
garantie de débouché par la suite».
LE FAUX AVANTAGE DES 25%
Les entreprises algériennes bénéficient en effet d'un avantage formel de 25%
de bonification sur les prix du soumissionnaire algérien en face des
concurrents étrangers. Un faux avantage cependant, selon les concernés. «A quoi
sert ce privilège si les entreprises algériennes manquent de qualification à la
base ?». Selon nos interlocuteurs, les entreprises algériennes sont d'ailleurs
éliminées d'office pour les chantiers complexes. «C'est donc une partie du
marché qui est de facto fermée aux Algériens. Reste alors les petits chantiers
et là, la concurrence est terrible entre les 34.000 entreprises recensées». Le
chiffre est en effet important pour une performance douteuse. «Cela permet de
comprendre qu'il s'agit aussi d'un problème d'organisation du marché, des
chantiers, des appels d'offres et des opportunités». A leur avantage, les
entreprises étrangères calculent leurs coûts sur la base de barèmes
internationaux et ont accès aux marchés des entrants en Algérie, sur la base de
prix nationaux, c'est-à-dire des prix bas. Une belle marge de bénéfice offerte
gratuitement».
Durant les années 60-70, le marché
algérien avait la tradition de lancer des appels d'offres en corps d'états
séparés. «On avait une grande entreprise avec une douzaine de petites
entreprises pour les segments spécialisés. Chaque entreprise s'occupait de son
secteur et de son marché». Une décennie plus tard, le choix s'est porté sur la
formule de la grande entreprise «qui raflait la totalité du projet et
s'occupait de tout son ensemble. L'inconvénient ? On a tué les petits métiers
et les sociétés de moyen volume». Selon nos sources, c'est ce système qui
perdure comme tradition dans l'administration algérienne et ses procédures de
gestion du bâtiment. «Aujourd'hui encore, on réfléchit en terme de chantier
unique pour une entreprise unique et c'est donc à l'entrepreneur de tout faire».
Ailleurs, selon nos sources, les entreprises réussissent mieux à gérer les
chantiers par un système d'éclatement des contrats. «Je suis un chef
d'entreprise en bâtiment et donc je n'ai pas à m'occuper de la location des
grues ou des échafaudages. C'est une entreprise qui doit en assurer l'offre et
la prestation, pas à moi !», résume notre source. «En Algérie, une bonne
société dans ce secteur est poussée à gérer 5 000 produits, entre entrants, parc,
matériaux, etc., et les charges deviennent donc encore plus lourdes, se traduisant
par des défauts de maîtrise de chantiers et une incidence des coûts sur la
qualité».
LE DIKTAT DU MOINS-DISANT
Autre cri d'alarme tiré sur le système des appels d'offres et de la
sélection des entreprises de réalisation. «Si on veut hisser l'entreprise
algérienne vers le haut, il faut revoir ce système et en urgence», affirment
nos interlocuteurs. Quelle est la situation ? «Une concurrence rude sur les
marchés moyens, se traduisant par une course aux bas prix et donc une qualité
de rendu de plus en plus discutable et une marge de bénéfice qui ne permet pas
la bonne rémunération, donc l'attrait pour la compétence et donc pas de
formation». Pour le logement par exemple, «les prix restent plafonnés
indirectement avec le calcul des coûts objectifs par des intervenants uniques :
l'administration et les bureaux d'études, souvent avec un personnel sans
compétence pour évaluer les coûts réels». Le système actuel, par appels d'offre,
reste verrouillé «dès le début du processus. On devient, nous entreprise, prestataires
pour les bureaux d'étude, sans implication, sans possibilité d'initiatives ou
de proposition ou d'innovation».
Pire encore, la formule du moins-disant,
avec son impact sur la qualité, «est devenue une formule de sécurité pour
l'administrateur et son critère absolu face aux risques pénaux ou de sanction. L'organisation
est telle que tout le monde a peur. Le seul facteur dans la pré qualification
des entreprises est devenu le coût». Out donc les critères de qualité, de
confort, de commodité, d'études gestion de l'habitat et de son environnement. «Les
coûts de réalisation en Algérie, pour les entreprises algériennes, ne poussent
pas vers le haut. Et, juste pour le détail, on ne regarde pas sur le coût-plafond
quand il s'agit de marchés complexes octroyés aux sociétés étrangères» !
A la fin, le constat est négatif, en
absolu, «les entreprises algériennes du bâtiment n'innovent pas et ne peuvent
pas le faire. Elles font ce qu'on leur demande.»
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Posté Le : 08/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com