Algérie

Le silence est un acte de sagesse Lamine Ammar Khodja. Documentariste



Le silence est un acte de sagesse Lamine Ammar Khodja. Documentariste
Lamine Ammar Khodja, 30 ans, est présent en compétition officielle du 19e Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan, au nord du Maroc, avec son documentaire Demande à ton ombre. Un film inspiré des émeutes de janvier 2011 en Algérie. El Watan Week-end a rencontré le réalisateur pour mieux comprendre sa démarche cinématographique.
- L uvre poétique d'Aimé Césaire Cahier d'un retour au pays natal ouvre votre film. D'où vient l'intérêt pour ce livre écrit depuis plus de 70 ans '

Dans ce livre, Aimé Césaire était sévère avec son pays natal, mais en même temps, il devait passer par-là pour retrouver sa place. C'est un engagement politique pour lui. Il y a une espèce d'aliénation et de proximité avec son pays.

- Et qu'en est-il d'Albert Camus, bien présent dans votre film '

Camus est utilisé dans le film pour son ambiguïté par rapport à la terre natale, à l'Algérie. Les Algériens lui ont réglé son compte puisqu'il n'avait pas pris de position pour la guerre de Libération. Du côté des Français, Camus était considéré comme un Algérien. Il était marginalisé des deux côtés. Camus sert, dans le film, le retour à Tipasa, un endroit magnifique. A Tipasa, on embarque un écrivain (Mustapha Benfodil, ndlr) parce qu'il lisait un texte devant vingt chats ! Kateb Yacine avait raison de dire que l'Algérie est une terre compliquée politiquement. Aujourd'hui, je considère Camus comme un écrivain. Je peux avoir cette distance.

- En rouge, dans votre film, l'indépendance de l'Algérie est présentée comme «une fable». Pourquoi '

C'est un tract qui ramène une perspective historique. Les gens ont refusé de participer aux manifestations de 2011 parce que les blessures des années 1990 n'ont pas encore cicatrisé. Comme si le passé était un cauchemar. L'histoire de l'Algérie n'a pas été tranquille. «La fable de l'indépendance» est évoquée sur le ton d'une farce.

- Vous assimilez dans votre film des anciens présidents de l'Algérie à des animaux, un nain. Une farce aussi '

Vous entrez dans n'importe quel café, vous allez entendre la même chose. Si on entend cela, va-t-on dire qu'on est dur avec les présidents algériens ' C'est dit sur un ton humoristique. Ce n'est pas une analyse politique profonde. Je revendique une certaine liberté de penser. Un film sert aussi à évacuer tout ce qu'on ne peut pas faire dans la vie de tous les jours. Je voulais faire une chronique sur ce qui se passait en Algérie à mon retour de France. J'ai pris ma caméra et j'ai commencé à filmer les événements de janvier-février 2011. Socialement, la situation était compliquée. J'ai suivi l'évolution de cette situation. Au fur et à mesure que j'avançais, je me rendais compte que j'étais en train de faire un film sur mon retour. J'ai donc essayé de croiser les questions existentielles du retour avec celles liées à la politique. A l'époque, quand l'ENTV évoquait les émeutes, les images ne montraient pas le feu. Ils arrivaient donc après les événements. Où étaient-ils auparavant ' Les journalistes arrivaient toujours après les événements, en retard. Dans toute la presse, il n'y a pas eu un entretien avec un jeune émeutier !

- Revenez aux journaux de l'époque et vous verrez que les jeunes en colère s'exprimaient dans la presse écrite'

Je lisais tous les journaux et je regardais France 24 et France 2. Je n'ai pas lu ou vu des émeutiers s'expliquer sur ce qu'ils faisaient sans être partisan. Je trouve que la presse n'a pas fait son travail par rapport aux événements. Son travail était partisan. La moitié des journaux parlaient de «voyous» et l'autre prédisait le début de la révolution. Je suis allé à Bab El Oued, à Alger, et j'ai constaté que ce n'étaient pas des voyous et que ce n'était pas la révolution. Ces jeunes étaient inexistants dans les images. France 24 montrait des gamins coagulés avec des couteaux. C'est de la manipulation d'images.

- Et vous, avez-vous pris le soin de faire parler «les émeutiers» '

J'ai essayé de le faire. Les jeunes ont refusé de parler devant une caméra.

- Cela est évoqué dans votre film : «Au fond, mis à part les imbéciles, brûler un concessionnaire auto ou un édifice public, c'est un juste retour des choses.» Vous revendiquez le droit à la casse '

Le seul moyen qui reste pour les jeunes de s'exprimer est de brûler un concessionnaire auto pour se faire entendre. S'il existait des gens prêts à les écouter, ils n'auraient pas fait cela. Personne n'a suivi les émeutiers en janvier 2011 pour dire que ce n'était pas une question de huile ou de sucre. Le problème est plus profond. Le fait que les partis appellent à manifester un mois après les émeutes donne une légitimité à l'action des jeunes venus saboter les rassemblements de samedi (organisés à Alger par le RCD entre février et mars 2011, ndlr).

- Etes-vous favorable au changement politique en Algérie '

Je n'en sais rien ! Je ne fais que constater ce qui se passe. Je ne suis pas là pour exprimer ma position politique, mais pour montrer mon film. Je n'ai pas envie de répondre à cette question. J'ai abordé la situation tunisienne comme si cela se passait dans un rêve, un fantasme. La réalité est plus complexe. Le changement en Tunisie est idéalisé.

- On voit dans le film le sigle République algérienne démocratique et populaire (RADP), au fond des rires...

Cela fait partie de la blague et de la farce. On entend cela dans les cafés d'Alger, pourquoi pas dans un film '

- Vous dites dans le film avoir choisi «le silence». Pourquoi '

Parce qu'au moment des émeutes, les gens disaient tout et n'importe quoi. Aussi, garder le silence était un acte de sagesse.

- Vous n'êtes pas un peu prétentieux en disant que les gens n'avaient rien compris et que moi je me tais, car je sais'

Non. Je voulais entendre les jeunes révoltés parler. Je ne sais pas pourquoi les jeunes sont sortis mais je sais qu'un malaise existe. Il n'y a pas d'intermédiaires entre eux et les politiques. Parler de manipulation n'est pas mon affaire.


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