Algérie

Le silence assourdissant de la France et de l'Europe



Le Maghreb, sa population, n'ont rien à attendre de l'Europe en général et de la France en particulier. Ou pour être plus exact ils n'ont rien à attendre de la Commission européenne, des gouvernements européens et des classes politiques européennes, surtout la française. C'est l'une des réflexions que je ne cesse de ressasser depuis que l'Algérie et, plus encore, la Tunisie ont été entraînées dans une spirale de violences dont il faut craindre qu'elles ne se répètent (pour l'Algérie) ou qu'elles ne s'aggravent encore (pour la Tunisie). J'ai été interrogé par un confrère du Golfe qui m'a demandé s'il fallait accorder de l'importance à la thèse de la «main de l'étranger» telle que la défendent les dirigeants des deux pays. J'ai commencé par répondre que c'était bien commode comme explication et que cela en devenait lassant. A chaque épreuve, à chaque révolte, à chaque crise politique, c'est cette fameuse main, aussi invisible que celle évoquée par Adam Smith pour ce qui concerne l'économie, qui est incriminée. Un gamin qui manifeste ou qui accompagne un cortège funéraire avant qu'on ne lui loge une balle dans le corps n'est donc pas simplement un «voyou» ou un « terroriste », ce serait aussi un agent d'une puissance hostile.

 J'ai donc conseillé à ce confrère de suivre de près la manière dont réagissent actuellement les capitales européennes et de peser cela à l'aune des récriminations des pouvoirs maghrébins – mais aussi sub-sahariens quand il s'agit d'autres crises – pour qui toute critique et mise en cause ne peuvent que relever de l'intelligence avec l'étranger. Bien entendu, est-il utile de le préciser, cet étranger comploteur est de préférence l'ancienne puissance coloniale.

 Qu'entendons-nous de la part de la classe politique française pour ne prendre que cet exemple ? Un silence assourdissant, parfois troublé par quelques déclarations qui nous expliquent que tout ne va pas si mal au Maghreb, que les trois pays ne sont pas des dictatures, que des progrès importants ont été réalisés, que la France n'a pas de leçon à donner (elle qui passe son temps à le faire quand il s'agit d'autres pays dits voyous tels l'Iran ou la Syrie) et qu'il faut donner du temps au temps. Imaginez une voix, un peu cassante, un peu impatiente, certainement pas gênée : «des morts ? Oui, d'accord, mais cela finira bien par changer…» Désinvolture, mépris aussi.

 On pourra me demander mais que peut l'Europe ? Que peut la France ? Et j'imagine que les défenseurs de la souveraineté nationale, et les défenseuses aussi - car il y en a et, paraît-il, très bien récompensées – s'apprêtent à bondir. Je les entends déjà m'accuser de trahison pour avoir appelé, ou tout simplement évoqué, une quelconque interférence étrangère dans les affaires des Algériens mais aussi des Tunisiens, sans oublier les Marocains - lesquels sont embarqués dans la même galère même si cela ne bouge guère chez eux, en ce moment (cela viendra, croyez-moi).

 Disons donc que la France et l'Europe sont dans la même position que celui qui entend son voisin cogner, femmes et enfants, jusqu'au sang, voire jusqu'à les tuer. Ils peuvent effectivement se boucher les oreilles ou monter le son de la télévision. Ils peuvent regarder ailleurs et uriner sur ces valeurs dont ils se gargarisent si souvent, en se posant comme exemple à suivre par le monde entier. Ensuite, quand ils croiseront le coupable dans les escaliers, ils discuteront avec lui comme si de rien n'était et la vie suivra son cours, du moins pour celles et ceux qui ne l'auront pas perdue.

 En réalité, la France et l'Europe sont dans une position bien plus forte qu'on ne le croit. N'existe-t-il pas un certain accord d'association signé, de façon séparée, par l'Union européenne et les trois pays du Maghreb ? Cet accord qui fait la part belle au libre-échange et à la baisse des tarifs douaniers, n'est-il pas accompagné d'un volet qui porte sur la question des droits de la personne humaine ? De même, ce fameux «partenariat privilégié» que l'Europe agite comme une carotte aux yeux des pays du sud et de l'est de la Méditerranée, n'est-il pas aussi porteur, du moins sur le papier, d'exigences à propos du respect des libertés individuelles et du pluralisme politique ?

 Mais il est vrai que les Européens sont tétanisés. Les régimes maghrébins, nous expliquent-ils, sont malgré tout le rempart contre tous les «ismes» : l'intégrisme, le radicalisme, le terrorisme, l'islamisme et même, que l'on me permette ce néologisme, le «harraguisme». C'est d'ailleurs ce que clament nos dirigeants. Etrange mais très habituelle situation où celui qui crée le problème se targue d'être le seul à le résoudre. Le fait est que les pouvoirs maghrébins font chanter l'Europe avec cette menace de l'islamisme. Ils savent que c'est un sujet dont la seule évocation fera taire les scrupules et disparaître les bons conseils à propos de l'importance d'un Etat de droit et du respect des libertés.

 Ce n'est pas tout. Si la France politique – Verts exceptés – est si silencieuse, c'est aussi parce qu'elle est tenue. Voilà le grand tabou qui devient tellement évident quand le Maghreb s'embrase. Nous le savons tous. C'est même de bonne guerre. Parmi ceux qui clament, contre toute évidence, que la démocratie fait son chemin au Maghreb, combien sont vraiment sincères ? Et combien ont peur que soient révélées leurs compromissions ? Que cessent leurs vacances au soleil, tous frais payés, dans des palaces de luxe ou des palais ? Combien sont «couscoussés» ou «tajinés» ? Combien ont peur que ne soient révélés leurs rapports bidons, dûment rémunérés ? Combien ont peur que ne soient dévoilés leurs petits péchés mignons ou, plus grave encore, leurs turpitudes et leurs actes immoraux – dont ils n'ignorent pas qu'ils ont certainement été enregistrés et filmés par ceux qui sauront les ramener dans le droit chemin, s'ils osent la moindre critique ? Quand les Maghrébins auront repris leur destin en main, et cela finira par arriver car rien n'est immuable, il faudra se souvenir de ces lâchetés intéressées.




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