Sous l'effet
gravitaire d'une ploutocratie dévorante, le sérail n'a plus la connotation de
jadis, c'est-à-dire influence et pouvoir politique. Décentralisé, il gîte dans
les sphères de l'entregent et de l'argent. Le néo-sérail se compose à quelques
nuances près, d'un argentier qui est généralement ordonnateur secondaire des
dépenses publiques et détenteur du pouvoir décisionnel, d'un cabinet parallèle
que constituent informellement des rabatteurs, un ou deux ténébreux individus
du mouvement associatif utilisés comme faire-valoir et des protecteurs. Ces
derniers sont généralement puisés dans le vivier du parlement ou de
l'administration centrale. Dans une de ses récentes livraisons, un quotidien
arabophone de grand tirage, nous livre quelques ragots truculents de vie de
nabab que mènent certains élus ou fonctionnaires locaux. Tels ces hauts
fonctionnaires baladés par leur maire à Istanbul ou à Sharm El Cheikh, se
targuant de s'habiller «Smalto» et portant bracelet-montre «Rolex» d'une valeur
de 400.000 DA et roulant carrosse. L'achat d'un rutilant 4x4 à 5.800.000 DA par
un chef de l'exécutif local d'une wilaya de l'Est, pour le compte de sa fille,
ne fait actuellement plus partie des choses qui suscitent l'indignation ou
l'opprobre. Il est même admis par le subconscient collectif que cet homme ne
fait qu'assurer ses arrières. Il fait bien d'ailleurs ; l'Administration est
tellement oublieuse des bons et loyaux services rendus. C'est ainsi que l'on
contextualise toutes les postures perverses et les conséquences qui en
découlent. Cette dérive ne date pas d'aujourd'hui, son lit a été préparé depuis
bientôt deux décennies. La paternité en revient aux instances de transition
inaugurée par les Délégations exécutives communales (DEC) de wilaya (DEW) et le
Conseil national de transition (CNT). On parait au plus urgent ; tout,
d'ailleurs, était urgent sous l'état de siège. On élevait ou surélevait des
clôtures interminables, on déroulait des kilomètres de barbelés, on érigeait
des tonnes de fer «cornière» en barraudage branlant. Les projecteurs, les
caméras de surveillance et les serrures commandées à distance faisaient une
entrée tonitruante dans les nouvelles mÅ“urs liées à la sécurité.
Les quelques fossés qui séparaient encore
l'administré de l'administrateur se trouvaient ainsi élargis par ces nouveaux
attributs de la fortification. On grillageait le moindre petit trou…et ce
n'était, malheureusement pas, gratuit. Il suffisait de délivrer un simple bon
de commande, les devis quantitatifs et estimatifs comptaient peu. La facture
définitive pouvait constituer la seule pièce comptable exigible pour la
liquidation de la dépense et vogue la galère. Cantonnées initialement aux seuls
champs pétrolifères du Sud, des sociétés de gardiennage prirent du poil de la
bête pour essaimer et devenir de véritables bastions d'un secteur jusque-là
inconnu.
Des déplacements de subalternes sur la
capitale qui ne pouvaient exiger au maximum que deux jours, s'étalaient parfois
jusqu'à une semaine. Les frais supportés par la collectivité, faisaient le
bonheur de grands hôtels algérois qui affichaient toujours «complet». Les
préparatifs de l'élection présidentielle de 1995 ouvraient le bal à la curée. Tout
se faisait sous le seau de l'urgence et probablement sous celui de la raison
d'Etat. Il ne fallait surtout pas perturber la grande marche par des velléités
de contrôle ou de vérification. On pouvait à tout moment être taxé de pro
terroriste. Les sérails locaux se constituaient autour du chef dont les vÅ“ux
étaient des ordres ; des constellations de prestataires de service prêtes à
intervenir en tout lieu et tout temps sont créées pour les besoins de la cause.
Le financement des opérations, même s'il n'existait pas encore, ne posait aucun
problème, on faisait en toute confiance crédit l'Etat. Les contrôles
budgétaires a priori et la conformité des dépenses avec les lignes budgétaires
étaient ajournés sine die. Et si un quelconque remords devait animer certaines
âmes, on crée des comités ad hoc pour mieux «malmener» l'enceinte réglementaire
là où elle pourrait encore faire obstacle. Pour mieux damer le pion à son
prédécesseur dont le parti a été dissous, un défunt président de Délégation
communale prenait en charge sur le budget communal les frais inhérents à la
célébration du mariage de jeunes couples. Il voulait par cette incongrue
procédure ramener l'électorat perdu au giron de son parti. Et si des entités
étaient tentées de s'élever contre de telles pratiques, la parade des mis en
cause ne souffrait d'aucune équivoque, elle faisait valoir leur mérite
téméraire quand personne ne voulait de ces fonctions mortelles. Il est vrai que
beaucoup d'entre eux y ont laissé leur vie. Quant au Conseil national
transitoire (parlement), celui-ci a ouvert l'appétit à bon nombre d'aventuriers
et le mot n'est pas fort. Accompagnés de leur famille, des membres de l'auguste
assemblée étaient logés, nourris et blanchis dans les palaces de la capitale. Cette
débauche dépensière était justifiée et sans vergogne par leur «attachement» à
la patrie en péril. Cette longue hibernation politique a quand même duré
jusqu'aux élections locales de novembre 1996. L'underground mafieux constitué
entre-temps et qui a déjà fait son Å“uvre, s'installait durablement dans les
sphères décisionnelles. Les contours des plans de développement locaux et les
contenus des autorisations de programmes y afférents étaient puisés à la
source. Nul besoin d'attendre la consultation publique, on proposait ses
services bien avant l'heure. Les quelques tentatives de résistance de
fonctionnaires ou d'élus soucieux de l'orthodoxie dans la gestion des affaires
publiques, ont été vite réduites au silence. Le sérail immédiat aura vite fait
de les ramener à la raison par une décision à contresens de leur intime
conviction. Intimidés, ils rumineront leur dépit sous le regard snobinard de
leurs antagonistes ou compétiteurs.
Chacun pensait que la fin de cette longue
transition dont les turbulences sécuritaires constituaient l'alibi, allait sonner
le glas des nébuleuses corporatives du BTP, des transports et des services. Le
premier plan de relance économique censé réinscrire la machine administrative
dans la normalité managériale fut, malheureusement, contrarié par les calamités
naturelles que personne ne pouvait prévoir. Il fut émaillé par les inondations
de 2001 de Bab El-Oued et le séisme dévastateur de 2003 de Boumerdès, les
usages de l'urgence revenaient au-devant de la scène pour, une fois encore,
chahuter les règles que l'on tentait de réhabiliter. L'aubaine du moment
faisait encore le bonheur des attentistes et opportunistes de tout bord. Les
grandes inondations de 2008 de Ghardaïa et de Béchar venaient, par on ne sait
quel sort, frapper des populations dans leurs intégrités physique et matérielle
pour le plus grand bien de beaucoup de sangsues locales. Ajoutée à la gabegie,
la gestion approximative de la chose commune dépasse, par son surréalisme, les
péripéties hallucinantes de Si Makhlouf «El Bombardier» de la satire filmique
de Mohamed Oukaci «Carnaval Fi Dechra».
Posté Le : 11/02/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com