Algérie

Le sel entre valeur marchande et usage rituel



Le sel entre valeur marchande et usage rituel
Croyances et symbolisme

La valeur du sel n’est pas que pécuniaire car il dispose d’un important caractère sacré, ou symbolique auprès de plusieurs sociétés et peuples. Une riche sémiotique et de nombreuses traditions lui sont rattachées. On lui attribue des pouvoirs tantôt bienfaisants comme sa faculté de purification, tantôt maléfiques comme son action stérilisante.

Chez les Grecs, comme chez les Hébreux ou encore les Arabes, le sel est le symbole de l’amitié et de l’hospitalité parce qu’il est partagé. Le fait de manger ensemble équivaut, depuis fort longtemps, à créer des liens, à faire un pacte ou à sceller une alliance. Ainsi, le terme «malaha» construit à partir de la racine arabe «melh», signifie «partager le sel avec quelqu’un, manger le sel de quelqu’un». Il convient de préciser que le mot «melh» ou «milh» désigne le sel, dans la plupart des langues sémitiques, telles que l’arabe, l’hébreu, l’araméen, le syriaque et l’éthiopien.

Que ce soit dans les langues anciennes ou modernes, le sel, en raison de ses propriétés conservatrices, est venu à évoquer ce qui est tenu en haute estime, ce qui a une place d’honneur. Dans certains pays d’Europe, la bienvenue était souhaitée à l’arrivant par la présence de salières fort bien décorées sur la table, avant même que celle-ci ne soit dressée.

Le sel est également très présent dans de nombreuses superstitions populaires. Il est très souvent associé à la lutte contre les mauvais esprits et servirait à repousser les forces du mal » ou les énergies négatives. Mais pas seulement ! Le sel intervient également dans les rites religieux car ile st considéré comme un élément purificateur. Ce symbolisme est lié, a priori, à sa couleur et à son aptitude à conserver les aliments.

Son action purificatrice est avérée dans l’antiquité romaine où un bain de sel était donné aux nouveau-nés. On en faisait le même usage au Moyen-Orient, dans l’Empire ottoman, ainsi que dans les quelques régions d’Afrique du Nord, marquées par l’influence turque. Ainsi, dans la Casbah d’Alger, il était de coutume de pratiquer un rituel de salaison sur le nouveau-né. Cette cérémonie consistait à baigner le nourrisson dans une eau plus ou moins salée, ou bien à le frotter d’huile salée. Son usage avait pour but de raffermir la peau de l’enfant, de la purifier et de lui permettre de résister aux forces extérieures.

Il convient de préciser qu’en Afrique du Nord, la lutte contre le mauvais œil et les esprits du mal est très présente dans le quotidien de nos aînés. Et le sel était considéré comme un excellent préservatif contre le monde de l’obscur.

A cet effet, et pour éloigner toute action maléfique, nos ancêtres confectionnaient autrefois des nouets remplis de sel, qu’ils portaient à leur cou ou dans leurs poches. Pour conjurer un mauvais sort, ils pratiquaient également un rite à base de sel: une vieille femme enfermait du sel dans sa main et le faisait tourner sept fois au-dessus de la tête du malade, en récitant des formules conjuratrices. Ce sel était ensuite dispersé pour chasser le mal.

Pour éviter qu’un mauvais rêve ne se réalise, nos grands-parents avaient coutume de verser du sel au réveil, en formuant le vœu que le rêve ne se réalise pas tant que le sel n’aura pas germé, d’où l’expression «hata inouar el-melh» (jusqu’à ce que le sel fleurisse).

Cependant, dans certaines croyances populaires, renverser du sel était considéré comme un mauvais présage… On dit que c’est le signe qu’une dispute va éclater. L’origine de cette superstition remonte à l’Antiquité. Le sel étant une denrée précieuse, cet accident était considéré comme de très mauvais augure.

Chez les Romains, par exemple, un manque de sel pouvait signifier la maladie, la faim ou la précarité. Ainsi, celui qui se rendait coupable de cette faute était durement puni.

D’autres superstitions liées au sel existent un peu partout dans le monde et continuent de trouver un écho dans nos cultures contemporaines…

Encadré : Un précieux nuisible

Symbole de fécondité chez certains, le sel est plus souvent considéré comme un agent d’infertilité pour d’autres. En effet, il possède une dimension destructrice avérée car il désherbe, ronge, dessèche et peut rendre l’eau imbuvable… Ayant connaissance de cet aspect du sel, les Romains le considéraient comme une véritable arme destructrice. Ils ensemençaient de selle sol des villes conquises afin qu’aucune culture ne puisse y renaître. L’exemple le plus connu est la destruction de Carthage : après avoir pillé et détruit Carthage, les Romains ensemencent de sel le sol où se dressait la ville pour empêcher que non seulement une autre Carthage ne surgisse mais que toute vie y soit impossible !

Du fait de son action anti-fertilisante, le sel est aussi utilisé pour lutter contre les insectes rampants : à l’arrivée du printemps, les femmes kabyles parsèment de sel les abords de la maison et les endroits où prolifèrent les insectes. A Djelfa, en Algérie, une montagne, nommée le Rocher de Sel, démontre l’action stérilisante de cette substance. Du fait de sa haute concentration en sel de gemme, cette montagne est aride et dépourvue de végétation.

Sel, lieux et légendes

En Algérie, plus particulièrement à Melbou, ville balnéaire de Kabylie, se trouve une grotte mystérieuse entourée de légendes. Elle se nomme la grotte de Yemma Melbou. Les villageois faisaient des offrandes de sel pour prier une belle, venue d’Andalousie – qui donna son nom à cette région – afin qu’elle exauce leurs vœux. Car Melbou possédait un savoir que les villageois n’avaient pas. Ils se sont alors mis à croire en ses pouvoirs surnaturels…

Dans le même registre, le pouvoir magique du sel a laissé son empreinte dans une rue de la Basse Casbah. Il se raconte que dans une humble demeure de la rue de la fonderie habitait un «maître du sel» nommé Sidi H’lal. Disciple de Sidi Abderrahmane, Abou Amar El-Helali s’est distingué dans la culture soufie et dans l’alchimie. Sa philosophie première reposait sur la purification par le sel. Brillant alchimiste, il usait de son génie pour aider l’administration ottomane à concevoir les ateliers de fabrication d’armes sur un terrain regorgeant de salpêtre, c’est dans ce lieu même que fut construit le célèbre canon Baba Merzoug.

Les gens venaient de partout et ne juraient que par Sidi H’lal pour conjurer le sort ou se débarrasser d’une frustration, en demandant la baraka du Cheikh. Ils jetaient une pincée de sel en récitant des incantations à l’adresse du pouvoir magique du sel. Une grande importance était accordée à ce «maître du sel» pour mettre fin aux conflits.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)