Le secret bancaire suisse n'est
plus ce qu'il était au grand dam des fraudeurs fiscaux américains et, dans une
moindre mesure, européens. Le Parlement helvétique, sous forte pression, a
entériné lundi 5 mars une nouvelle convention de double imposition avec les
États-Unis. Il n'y a pas de secret suisse pour les Américains, qu'en est-il du
reste du monde ? Plus précisément du tiers-monde.
La nouvelle convention de double imposition entre la Suisse et les Etats-Unis
permet désormais au très craint IRS (Internal Revenue
Service), l'administration fiscale des Etats-Unis, d'obtenir des informations
bancaires sur des contribuables suspectés d'évasion fiscale à travers des
«demandes groupées», en se basant simplement sur les agissements non
réglementaires d'une banque. Cette nouvelle entorse au secret bancaire
intervient trois ans après que la première banque de Suisse, UBS, eut été
obligée de fournir des éléments détaillés sur 10 000 comptes bancaires
appartenant à 4500 clients de nationalité américaine. Depuis cette affaire qui
a fait les choux gras de la presse spécialisée en 2009, l'IRS
et la justice américaine surveillent de très près les banquiers suisses
soupçonnés d'aider certains de leurs clients à échapper au fisc.
Plus de dix institutions
financières suisses seraient ainsi particulièrement suivies par les autorités
américaines. L'une d'entre elles, Wegelin & Co, la plus ancienne banque privée du pays fondée en 1741, a décidé de mettre
fin à ses activités en janvier dernier plutôt que de livrer des informations à
Washington. Wegelin a été reprise par la banque Raffeisen, troisième banque suisse dont les dirigeants sont
notoirement favorables à la coopération fiscale internationale.
PUBLICITE NEGATIVE
Ce nouveau tour de vis alarme les banquiers de la Confédération
helvétique qui pour calmer le jeu et éviter le scandale souhaitent solder au
plus vite le problème de la communication d'informations aux Américains. Dommageable
pour la réputation de la Suisse,
cette publicité négative s'accompagne de menaces américaines très concrètes : Washington
a informé Berne que si cette nouvelle convention de double imposition n'était
pas approuvée par le Parlement, il pourrait tout simplement interdire
d'activités sur le territoire des Etats-Unis les banques helvétiques qui
feraient preuve de réticence dans la communication de données sur leurs clients.
La Suisse a déjà mis en place,
au cours de l'été 2011, un dispositif de coopération fiscale très controversé
avec certains pays de l'Union européenne, l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui
conduit la Suisse
à verser à ces États l'impôt à la source de leurs contribuables sans en
divulguer l'identité. Ce dispositif appelé «Rubik»
est pour de nombreux économistes et certains Etats une forme d'amnistie fiscale.
A la faveur des discussions en cours avec l'OCDE, il est aujourd'hui question
d'élargir aux pays de l'UE le compromis trouvé avec les Américains.
TROU NOIR
Avec la crise financière globale, la question des avoirs non déclarés
placés en Suisse est une thématique récurrente. Les administrations fiscales de
nombreux pays ont fait part de leurs préoccupations notamment via le G20 qui
avait classé la Suisse
dans la liste des paradis fiscaux, entre les Iles Caïmans et Hong-Kong. La Confédération, réputée
pour son secret bancaire, reste un immense trou noir de la finance globale. Certains
experts estiment que près de 3 000 milliards de dollars, soit environ 28% de la
fortune mondiale offshore, sont gérés par les banques helvétiques. Le
Luxembourg arrive en deuxième position avec 18%, et le Royaume-Uni avec 14%.
Ces capitaux ne sont pas seulement
le résultat de l'évasion fiscale nord-américaine ou européenne. La Suisse est le principal
centre mondial de recyclage et de blanchiment de la corruption et du pillage
des ressources des pays du Sud. Les gestionnaires de fortune et de patrimoine à
Genève, Zurich et Lugano, et dans cette périphérie suisse qu'est le
Liechtenstein, brassent des centaines de milliards de dollars d'argent sale
appartenant à des hiérarques de pays africains, arabes et asiatiques. Ces
capitaux-là et leurs propriétaires réels, parfaitement connus, de la Police fédérale suisse, sont
dissimulés derrière une multitude de paravents. Les célèbres comptes numérotés
sont loin d'être les seuls moyens d'anonymisation des patrimoines illicites, la
législation suisse est très favorable aux sociétés-écrans
et aux sociétés offshore. Les fiducies, les avocats, notaires
et experts-comptables agissant en tant que conseillers ou intermédiaires
financiers viennent compléter un dispositif d'accueil et de dissimulation
performant.
Peu de pays du Sud ont demandé des
comptes à la Suisse. Dans
la plupart des cas, il faut attendre un changement de régime pour que les
nouvelles autorités des pays concernés interrogent Berne et demandent la
restitution de ces avoirs illicites. Le dernier cas en date est celui de la Tunisie où la fortune de
l'ex-président Ben Ali et de son entourage fait l'objet de tractations entre les
deux pays.
Ainsi malgré ces coups de canif au secret bancaire, la place financière
helvétique n'est pas réellement en passe de perdre son statut de destination
privilégiée des capitaux «noirs». Certes la Suisse a reculé au classement des principales places
financières mondiales mais la sûreté des placements et l'expertise de ses
acteurs financiers restent inégalées. L'effort de
transparence imposée par le G20 et les Américains, qui représente une étape
importante, reste néanmoins très en deçà des objectifs de lutte contre la
criminalité financière globale.
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Posté Le : 13/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Said Mekki De Paris
Source : www.lequotidien-oran.com