Algérie

Le Sahel : regarder en arrière pour mieux façonner l'avenir



Le Sahel traverse en ce moment une période très trouble, touché par des conflits et de multitude défis tels que l'instabilité politique et démographique, l'extrémisme religieux, le terrorisme et la criminalité organisée, auxquels s'ajoute la convoitise des puissances étrangères.La crise actuelle dépasse largement la sous-région et a des répercussions sur l'Afrique entière.La fragilité de cette région résulte d'une multitude de facteurs politiques et économiques, auxquels viennent s'ajouter le jeu des pouvoirs locaux et des puissances extérieures. Dans cet échiquier, les populations locales ont été oubliées. Une lettre que j'ai reçue récemment de la part d'un ami burkinabé expose une situation humanitaire catastrophique, surtout des populations pauvres déplacées suite aux attaques terroriste, et dont ci-après un récit qui résume la détresse des millions de Burkinabés et d'autres populations victimes de conflits dans l'espace sahélien.
« C'est lors d'une rencontre dans le cadre d'apporter du réconfort aux populations qui ont fui les agissements terroristes. Et à un moment, on avait aperçu un vieux en larmes. C'est alors, un animateur lui a posé la question pour savoir la raison. Et le vieux lui répond : Aujourd'hui, je me sens que j'ai perdu mes racines. Mon père avant de mourir m'avait confié un truc qui, si je l'avais aujourd'hui, me permettait de me défendre ainsi que tout mon village. Hélas, entre temps je me suis converti au christianisme qui m'a convaincu que ce truc est diabolique. On me l'a confisqué et brûlé. Aujourd'hui, je sais que le christianisme ne peut pas me protéger dans cette situation et ma peine est double. J'ai trahi mes ancêtres et je n'ai plus de racines culturelles. Je suis maudit. »
La question qui se pose : comment cet espace sahélien est arrivé à cette situation de crises multidimensionnelles '
Le poids de l'histoire et les phénomènes ethniques peuvent dans une grande partie répondre à cette question et expliquer l'instabilité régnante au Sahel.
Qu'est-ce que le Sahel '
Vaste de 03 millions de kilomètres carrées, le Sahel est un couloir de 4000 km de long s'étendant du Sénégal à l'Erythrée, c'est- à-dire de l'Atlantique à l'ouest jusqu'à la mer Rouge à l'est. Au nord, il s'abime insensiblement dans la désolation saharienne, cependant qu'au sud, il se fond par traces dans le monde des savanes.
Cette ceinture sahélienne recouvre, entièrement ou en partie, les pays suivants :
Algérie, Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Cap-Vert. Et on y ajoute parfois les pays de la Corne de l'Afrique qui sont le Djibouti, l'Ethiopie, l'Erythrée et la Somalie.
Qui sont les peuples du Sahel
Le Sahel se caractérise par la faible densité de son peuplement rapportée à sa superficie, elle est trois fois inférieure à celle de l'Afrique. Une grande variété d'ethnies y cohabite, à cheval sur différents pays. Elles en font des espaces difficiles à administrer. Il ne s'agit pas ici d'en dresser un inventaire complet mais d'en distinguer les principales, qui sont dans la plupart du temps divisées en sous-groupes.
Les ethnies du Nord :
Les Arabes, les Berbères, les Maures et les Touaregs sont des populations présentes dans la zone.
Les ethnies du Sud :
Les Toubous, les Peuls, les Songhays et les Haoussas sont des peuples sud-sahéliens arrivés par vagues successives et se sont, à des degrés divers, mêlés les uns aux autres.
Les interrelations et les enseignements que l'on peut tirer et qu'il existe une grande diversité de peuples au Sahel, à cheval sur différents pays. Par ailleurs, une certaine homogénéité est constatée au Nord, et des métissages sont omniprésents dans différents groupes.
Les échanges entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne : système d'échange ou structure sociale '
Avant l'arrivée des Arabes, les royaumes d'Afrique subsaharienne restaient largement inconnus faute d'écriture. Les choses changent avec l'irruption des Arabes au nord de l'Afrique, vers le 07eme siècle. Les chroniques des voyageurs, sahéliens et européens ainsi que les fouilles archéologiques les plus récentes nous renseignent sur l'apparition de proto-Etats au sud du Sahara.
Familiers du désert, les Arabes donnent de la vigueur au commerce transsaharien : cela permet à certains royaumes du Sahel de trouver une nouvelle prospérité.
Le négoce transsaharien n'a connu un véritable essor qu'au VIIe siècle pour se transformer en un système commercial florissant, et ce jusqu'au 15ème siècle. Des échanges intenses avec le monde musulman d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et les pays du Sahel ont été établis.
Le commerce entraîne la prospérité des commerçants et des transporteurs nomades mais aussi l'émergence de plusieurs Etats au sud du Sahara : on appelle cette période « l'âge d'or du Sahel ».
Ce commerce est fondé sur la fourniture par le Sud d'or. Le Nord vendait pour sa part des bijoux, du tissu, des dattes, du blé, du sel et autres produits.
Les échanges entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne ont constitué un vaste ensemble économique et peu à peu des réseaux marchands (mais également sociaux et religieux) se sont formés, en interrelations constantes. L'islam fut ainsi véhiculé au sud du Sahara par des négociants musulmans d'Afrique du Nord qui venaient y faire du commerce. Les marchands sahéliens avec qui ils étaient en contacts répétés se convertirent progressivement. La religion musulmane, en tant que cadre moral et culturel, offrit aux commerçants de diverses régions des repères idéologiques analogues, ce qui facilita et ordonna la tenue de ces échanges. L'islam fut ainsi un élément très important de la cohésion des groupes marchands.
L'ensemble des réseaux humains, s'appuyant sur un maillage de villes marchandes tournées vers l'Afrique du Nord et au-delà du Sahel vers le sud, constituait un espace économique dont les limites recouvraient diverses entités politiques, et au sein duquel les échanges pouvaient être pratiqués aisément. Ceci était rendu possible par le fait que l'ensemble des acteurs sédentaires ou nomades, de diverses ethnies, de religions et de professions avaient intérêt au bon fonctionnement du négoce caravanier.
On estime que Tahert (Tiaret) au nord en Algérie maintenant serait, à partir du VIIIe siècle, la première cité du Nord à entreprendre les deux mois de traversée du désert.
Les royaumes africains du 07ème au 16ème siècle
Le premier est le royaume du Ghana. Il tire son essor des riches mines d'or du Sud qui expliqueront la prospérité de tous les royaumes à venir dans la région. Le Ghana subit les assauts des Almoravides, moines-guerriers musulmans. Mouvement qui est né parmi les tribus berbères qui nomadisaient entre le nord du Sénégal et le sud du Maroc. Ils envoient une armée de plusieurs milliers d'hommes pour prendre la capitale du Ghana, et la détruire en 1076. L'empire des Almoravides s'étendait du nord du Ghana jusqu'aux abords méridionaux de la ville de Tolède, dans la péninsule Ibérique, et des rives de l'Atlantique jusqu'aux frontières de la Tunisie actuelle.
Au XIIIe siècle, un nouveau pays islamisé profite des mines d'or de l'Afrique de l'Ouest : il s'agit du Mali. Il s'étend notamment vers l'est tout le long du fleuve Niger qui irrigue le désert. Au nord, il sécurise l'accès aux salines situées en plein désert, le sel étant une denrée très précieuse dans la région.
Il forme ainsi un véritable empire qui domine des peuples très divers, le premier connu d'Afrique subsaharienne.
L'empire atteint son apogée au début du XIVe siècle, sous le règne de Mansa Moussa.
L'empire du Mali s'étend en réalité sur plusieurs des pays que nous connaissons aujourd'hui : le Mali, le Burkina Faso, le Sénégal, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, une partie de la Mauritanie, du Ghana et de la Côte-d'Ivoire.
Un empire organisé, où règne prospérité et abondance grâce au fleuve Niger et aux ressources naturelles notamment du sel et de l'or. En plus de son système politique et judiciaire très élaboré.
Le Mali décline jusqu'à redevenir un petit royaume au milieu du XVe siècle. C'est finalement le peuple Songhaï, le long du Niger, qui tire son épingle du jeu. Il reforme un empire le long du fleuve à la fin du XVe siècle. Celui-ci poursuivra son expansion au début du siècle suivant.
C'est à cette époque que les Européens commencent à naviguer le long des côtes africaines, à commencer par les Portugais, qui fondent leurs premiers comptoirs.
L'arrivée du colonialisme occidentale en Afrique a amorcé un déclin inéluctable du commerce transsaharien du fait de son orientation vers les comptoirs côtiers. Les anciennes routes commerciales devenaient progressivement non rentables et non sécurisées. Alors, on constatait la disparition des pôles commerciaux qui étaient les passages obligés pour les caravanes des villes du nord du Maghreb vers Adrar avant d'atteindre Tombouctou et Gao.
Le colonialisme et l'effondrement des sociétés traditionnelles
Brisé par la répression militaire, dépossédé de ses meilleures terres, asservi par une administration omniprésente, le monde des peuples du Sahel se voit alors confronté à une succession d'épreuves qui laissent envisager l'extinction prochaine des populations indigènes. Cette nouvelle situation humaine et économique accélère le processus de désintégration sociale. Les structures s'effilochent, le garde-fou de la morale collective cède. De haut en bas, la pyramide s'écroule. Et le tout est emporté par le torrent dévastateur de la mort et la misère.
Pour de nouvelles formes de contrôle social, le colonialisme a déstructuré intentionnellement le corps social et le psychisme individuel de la population indigène par la désintégration de la tribu en faisant disparaitre son organisation, son autonomie et sa mentalité par la paupérisation générale, la mise en place d'une nouvelle organisation administrative et le prosélytisme catholique. Cette situation a porté atteinte au réseau des relations sociales qui relient les individus d'une société entre eux et coordonne leurs activités diverses. Désintégrant ainsi les qualités intrinsèques de la société qui vit dans la zone du Sahel, pour détruire son identité et son rôle à travers l'histoire.
Par ailleurs, d'autres instruments ont été utilisés par le colonialisme dont le mécanisme de marginalisation et de formation des hiérarchies sociales. Tout cela a conduit la société à marginaliser un individu (chef de tribu, chef religieux...) ou groupe d'individus et même toute une ethnie. D'autre part, la politique coloniale a mis en place des dispositifs pour permettre à une certaine élite sociale d'émerger pour imposer sa volonté ou exercer leur contrôle sur des secteurs qui vont au-delà du domaine de la politique et de l'économie.
Dans ce domaine, l'Algérie a servi d'exemple et de champ expérimental aux futures conquêtes coloniales, en tant que première colonie française officielle du 19ème siècle. Ce qui était arrivé ou ce qui arrivait à l'Algérie était donc applicable au reste de l'empire et bien entendu à la zone du Sahel.
Malheureusement les anciens Etats colonisateurs, et d'autres Etats économiquement forts, continuent de maintenir leur présence dans les économies des anciennes colonies, particulièrement pour ce qui concerne les matières premières. En utilisant les leviers (ethnique, religieux, social...) mis en place pendant la période coloniale ayant pour objectif de contrôler ou déstabiliser les peuples des anciennes colonies. Bien entendu, en se basant sur des études anthropologiques et sociales réalisées pendant la colonisation et même développées et affinées jusqu'à maintenant.
Donner forme à l'avenir de la zone du Sahel
Ce ne sont pas les scientifiques et les ingénieurs qui ont refaçonné l'Allemagne après 1945. De plus, la plupart de ses savants et ingénieurs avaient été rassemblés par des Américains ou des Soviétiques comme butin de guerre.
Ce qui a refait l'Allemagne, c'est l'esprit allemand : celui du berger, du laboureur, de l'employer, du pharmacien, du médecin, de l'artiste, du professeur. En un mot, c'est la culture allemande, sans ambiguïté ni restriction, qui a refait le pays de Goethe et de Bismarck.
Ce qui a inspirée Nelson Mandela pour sa politique de «vérité et réconciliation» et qui a permis de mettre fin à l'Apartheid de manière apaisée c'est la pensée Ubuntu. La philosophie africaine Ubuntu est une condamnation radicale de l'égoïsme, du carriérisme, du narcissisme et de toute forme d'individualisme plus ou moins prononcé. Ubuntu proclame que nous sommes ce que nous sommes grâce à ce que les autres sont.
Ce qui a aidé à mettre fin à la tragédie nationale des années 90 en Algérie, c'est les valeurs spirituelles et morales séculaires du peuple algérien qui l'ont orienté pour triompher devant les épreuves les plus douloureuses pour écrire de nouvelles pages de son Histoire, et consolider la paix et rétablir la réconciliation nationale.
A ce titre, ne pas couper avec ses traditions et sa culture permet de s'envoler vers de nouveaux horizons et trouver solutions aux problèmes de développement et d'insécurité. Un bon ancrage donne l'assurance nécessaire pour s'ouvrir sans crainte à d'autres sagesses.
De nombreux penseurs africains ont cru que pour que pour progresser, il fallait couper avec ses traditions. Nous en payons aujourd'hui le prix par la perte de repères et le repli sur soi.
Pour donner forme à l'avenir de la zone du Sahel nous devons méditer sur les différentes phases de l'histoire de l'espace sahélien et profiter des changements dans le monde après la guerre de l'Ukraine qui marque la fin de l'illusion de l'ordre libéral international et la reconstruction d'un nouvel ordre international qui ne doit pas se faire sans l'Afrique qui a cette fois-ci une chance de contribuer à l'ordre international nouveau. Du fait que les pays africains sont considérés comme des « Etats pivots » dans la grande bataille qui oppose les partisans et les détracteurs de l'ordre international actuel.
L'Afrique ne peut participer à la formation du nouvel ordre international sans résoudre ses conflits et son instabilité politique. Et quand l'espace sahélien se porte bien, l'Afrique aussi.
Dans ce contexte, le terrorisme et l'instabilité politique dans les pays du Sahel ne sont que la continuité de la politique coloniale pour séparer le Maghreb des pays du Sahel et empêcher le retour des routes commerciales transsahariennes qui ont été dans le passé le moteur de développement et la stabilité de la zone du Sahel. Sachant qu'actuellement ils sont rentables et peuvent fortement concurrencer les plateformes logistiques des pays occidentaux en Afrique et particulièrement dans la zone du Sahel.
A cet effet, les pays du Sahel doivent réfléchir à lancer un projet ayant des enjeux stratégiques, qui peut être intitulé « Les nouvelles routes du commerce transsaharien ». Qui consiste à construire des infrastructures de toute nature (voie ferré, aéroport, ports, autoroutes, plateformes logistiques, gazoducs, des câbles à fibre optique pour internet) le long de ces routes pour développer les échanges commerciaux.
D'un point de vue économique, le projet marquera le passage des pays du Sahel d'une attitude passive à une position plus active, voire offensive. Le projet donnera un signal fort pour les opérateurs économiques locaux et investisseurs étrangers et il permettra le développement de l'industrie et l'agriculture, et conduira par la suite à l'augmentation deséchanges commerciaux.
Du point de vue politique, le projet est une réaction préventive à la tentative de déstabilisation des pays du Sahel par la présence militaire des étrangers et des groupes terroristes. On attend par ce projet mettre fin à la marginalisation des pays de la zone du Sahel.
Sur le plan social, le commerce transsaharien va stimuler la croissance durable et l'emploi et va permettre de fixer les populations des pays du Sahel et réduire considérablement les déplacements des populations et l'immigration clandestine et fonctionnera comme infrastructure de gestion et d'organisation de la société dans la bande du Sahel.
Pour cela, des chantiers gigantesques doivent être annoncés pour faire initier ce grand projet « Les nouvelles routes du commerce transsaharien » dans cette région de l'Afrique qui à travers des siècles a été au c?ur des convoitises des plus grandes puissances de ce monde et un enjeu géopolitique majeur.
REFERENCES :
- Bernard LUGAN. Histoire du Sahel, des origines à nos jours, édition ROCHER, 2023
- Annie REY-GOLDZEIGUER. Le royaume arabe, la politique algérienne de Napoléon 03, 1861-1870, OPU-2014
- Patricia M.E. LORCIN. Kabyles, arabe français : identités coloniales, PULM, 2005
- Malek BENNABI. Naissance d'une société, SAMAR, 2008
- Malek BENNABI. Le problème de la culture, SAMAR, 2008
- Hesna CAILLIAU. Le paradoxe du poisson rouge, voie chinoise pour réussir, Saint-Simon, 2015
- Gouverner par le chaos, Editions Max Milo, 2004
- Commandant Manuel GEA. Le poids des phénomènes ethniques et claniques dans la géopolitique de la bande sahélo-saharienne, Ecole de guerre, Promotion 2016-2017
- Julien BRACHET, Le négoce caravanier au Sahara central : histoire, évolution des pratiques et enjeux chez les Touaregs Kel Aïr (Niger), Open Edition journals, 2004


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