Algérie

Le Royaume-Uni a toujours peur



Les attaques du 7 juillet 2005 dans les transports londoniens et leurs répliques ont transformé la Grande-Bretagne en cible privilégiée d’Al-Qaïda. Les services de renseignement révèlent l’existence de 4 000 terroristes potentiels sur le territoire. Pour prévenir de nouvelles attaques suicide, le gouvernement de Gordon Brown a durci la législation antiterroriste et renforcé le dispositif sécuritaire. Avec Buckingham Palace, Big Ben, la cathédrale de Westminster et The Tower Bridge qui traverse la Tamise, les bus à l’impériale rouge sont l’une des attractions des touristes à Londres. Les visiteurs les photographient dans leur procession à travers les rues embouteillées, ignorant que des caméras discrètes les pistent aussi. Depuis les attentats du 7 juillet 2005, que les médias britanniques désignent sous l’abréviation 7/7 et leurs répliques, les bus londoniens se sont mués en cibles stratégiques que les services de sécurité surveillent constamment, à l’affût d’un probable poseur de bombes. La vigilance est aussi l’affaire des usagers. “Observer, écouter et avertir.” Le triptyque, qui forme cet avis, est affiché en bonne place à l’intérieur de tous les autocars.
Les messages sont accompagnés d’un numéro vert que les passagers peuvent composer pour alerter la police, en cas de comportement suspect détecté au cours de leur trajet. Par ailleurs, les bus sont truffés de caméras qui retransmettent des instantanés sur des écrans installés dans la cabine du chauffeur. Le métro est doté d’un système de télésurveillance plus sophistiqué, composé de
8 000 caméras. Chaque station dispose de sa propre régie. Dans les halls et les couloirs, sur les quais et même à l’intérieur des rames, des policiers veillent au grain. Aussitôt après son élection en mai dernier, Boris Johnson, nouveau locataire du City Hall (la mairie de Londres) a décidé, en accord avec la police, de resserrer la garde aux entrées des bouches de métro, les stations de bus et les gares.
Les agents ont pour mission de procéder à des contrôles d’identité et à la fouille de bagages suspects. Il y a trois ans, lors d’un funeste jeudi noir, des kamikazes portant des sacs à dos bourrés d’explosifs se font sauter à 60 secondes d’intervalle dans trois stations de métro, à Russel Square, à Liverpool Street et à Edgware Road. Moins d’une heure plus tard, un autre terroriste actionne sa bombe dans l’étage supérieur d’un bus à Tavistock Square. Le bilan des attaques se chiffre à 56 morts et 700 blessés. Les Londoniens encore sous le choc sont confrontés, 15 jours plus tard, à de nouvelles tentatives d’attentats similaires. Les opérations échouent parce que les charges des explosifs ne sont pas puissantes.
En 2007, trois autres attaques manquées à la voiture piégée ciblent l’aéroport de Glasgow, en Écosse, et deux quartiers de la capitale britannique. Depuis, la perspective de nouveaux attentats fait planer sur le Royaume-Uni un climat de terreur. Rarement, les journaux télévisés font abstraction de l’actualité sécuritaire.  Celle-ci occupe la une à l’occasion de procès, d’arrestations ou de nouvelles actions gouvernementales visant le renforcement du dispositif anti-terroriste.
Au mois de novembre dernier, l’actuel Premier Ministre Gordon Brown annonçait le durcissement de la législation antiterroriste. Dans le traditionnel discours du Trône lu par la reine Elisabeth II devant les deux Chambres du Parlement, le successeur de Tony Blair avait dévoilé un avant-projet de loi portant, entre autres, sur l’octroi de nouveaux pouvoirs aux policiers et aux magistrats dans le traitement des affaires terroristes, l’amélioration du partage d’informations entre les policiers et les services de renseignement et l’autorisation accordée aux enquêteurs de continuer à interroger les suspects après leur mise en examen.
En vertu de ce texte, des personnes reconnues coupables d’infractions à la législation anti-terroriste seront dans l’interdiction de se rendre à l’étranger. Au courant du même mois, M. Brown annonçait une batterie de mesures supplémentaires visant à sécuriser les transports en commun. Le gouvernement a décidé de placer des barrières à l’entrée des stations de métro et des gares pour barrer la route à d’éventuelles voitures piégées.
Par ailleurs, il a donné instruction pour que tous les nouveaux édifices publics soient construits selon des normes de sécurité très rigoureuses et que l’accès aux parkings souterrains soit rendu impossible aux étrangers. Les infrastructures sensibles comme les pipelines et les raffineries seront dotées de systèmes de sécurité plus sophistiqués. Sur le plan humain, les pouvoirs publics ont déployé 160 conseillers dans les administrations publiques, avec pour mission de familiariser les responsables avec les règles de sécurité et d’évacuation en cas d’attentats. Il y a quelques semaines, M. Brown remportait une bataille inattendue aux Commons portant sur la prorogation de la durée de la garde à vue, sans inculpation de suspects impliqués dans des affaires de terrorisme.
Le délai passe de 28 à 56 jours. “Le terrorisme est la plus grande menace à laquelle nous sommes confrontés en temps de paix depuis un siècle”, a commenté il y a quelque temps Jonathan Evans, le patron du MI5 (services de renseignement). Les Britanniques pensaient avoir vécu leurs plus sombres années avec les irréductibles de l’IRA (les indépendantistes irlandais), ils n’imaginaient pas alors que le pire était à venir. En donnant refuge à des chefs islamistes dans les années 1990, les pouvoirs publics avaient fait preuve d’un laxisme coupable et dangereux.
Aujourd’hui, le gouvernement veut absolument se débarrasser des hôtes encombrants. Mais sans y parvenir vraiment. Le prédicateur d’origine palestinienne, Abu Kutada, désigné comme le bras droit de Oussama Ben Laden en Europe, vient d’être mis en liberté, suite au rejet par la justice britannique de la demande de son extradition en Jordanie. L’Égyptien Abu Hamza tente par tous les moyens d’empêcher son transfert aux États-Unis.
Actuellement en prison, il espère être élargi également. En marge de la bataille entre le pouvoir judiciaire, pointilleux sur les questions des droits de l’Homme et le pouvoir exécutif qui lui reproche son indulgence à l’égard de dangereux terroristes, se profilent de nouveaux réseaux d’activistes. L’existence de cellules terroristes sur le territoire est plus qu’une évidence pour les services de sécurité britanniques. Selon le chef du MI5, le Royaume-Uni abrite quelque 4 000 terroristes potentiels, dont la moitié seulement est connue par les forces de sécurité. Il y deux ans, Dame Eliza Mannigham-Buller, qui occupait le même poste, comptait uniquement 1 600 activistes.
La sortie médiatique de M. Evans, l’hiver dernier, a semé le trouble au sein de la classe politique et de l’opinion publique britannique. Ses révélations sur le recrutement d’apprentis terroristes dans les écoles par Al-Qaïda a particulièrement fait l’effet d’une bombe. Après les human bombers, the children bombers (les enfants kamikazes) font leur apparition. Le chef du M15 a affirmé avoir eu affaire durant 2007 à des adolescents de 15 et 16 ans, impliqués dans des activités liées au terrorisme. “Les groupes terroristes sont en train d’étendre leurs tentacules”, avait assené ce spécialiste d’Al-Qaïda nommé à la tête du MI5 en avril 2007, précisant que les attaques contre la Grande-Bretagne ne sont pas l’œuvre de groupuscules disparates et sans réelle stratégie, mais le résultat d’une campagne délibérée et mûrement réfléchie et réalisée par l’organisation de Ben Laden, qui dispose de camps d’entraînement en Somalie, en Irak et en Algérie.
Cependant, les exécutants ne font nullement partie d’une sorte de légion étrangère, mais sont des Britanniques. L’ensemble des kamikazes impliqués dans les attaques de 2005 sont nés et ont grandi au Royaume-Uni. Enfants d’immigrés, ils ont raté leur intégration dans la société britannique. La confusion identitaire, la marginalisation dont ils souffraient les avaient jetés dans les bras de gourous, de la même stature que Abou Hamza et Abu Kutada. Pour sortir la communauté musulmane (forte de plus de deux millions d’individus) de son isolement et tracer une frontière étanche entre elle et les extrémistes, le gouvernement de Gordon Brown a mis en place un Conseil du culte musulman, réunissant les représentants des courants modérés.
Les mosquées sont mieux contrôlées. Les quartiers réputés comme étant les fiefs des islamistes sont surveillés. Mais en dépit de ces précautions, le danger rôde toujours. Comme ce jeune Britannique de souche converti à l’islam, qui a tenté de faire exploser une bombe dans un café tout récemment ; les terroristes peuvent surgir de partout et n’importe quand.


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