Algérie

Le Royaume de Tlemcen (XIVème-XVèmesiècles)



Les dynasties almoravide, et almohade, qui ont brillé surtout en Espagne et au Maroc, et: laissé des traces imposantes sur la terre algérienne, doivent, elles aussi, leur naissance à une idée religieuse.

Les futurs Almoravides, Senhadja nomades du désert, commençèrent par lutter contre les païens du Sahara. Ayant découvert, au cours d'un pèlerinage à la Mecque, qu'ils ne connaissaient pas suffisamment la doctrine de 1 Islam, certains de leurs chefs demandèrent un réformateur, qui . fut Ibn Yasin. Celui-ci instaura un système comprenant, d'une part, la soumission à l'élément religieux, d'autre part, la vie dans des casernes (ribat, d'où le nom de morabitoun et, par corruption, almoravides) et un dévouement absolu au triomphe de l'Islam.

Ils se développèrent d'abord au Maroc, combattant les enata Maghraoua alors maîtres de Fez. Dans la seconde moitié du xie siècle, Ibn Tachfin, d'ailleurs très soumis à l'élément religieux, se rendit maître de Tlemcen, puis d'Oran, de Ténès, de l'Ouarensenis et finalement d'Alger (1082). Appelé en Espagne deux ans plus tard par le sultan de Séville, il réduisit les Espagnols à l'impuissance au bout de quatre expéditions, mais il resta dans le pays et prit la place des princes qui l'avaient appelé.

La brillante civilisation des Almoravides resta fidèle à ses origines sur un point au moins, le sentiment religieux très développé. Ibn Tachfin lui-même fit construire des mosquées notamment à Nedroma et à Alger. Son successeur
créa la grande mosquée de Tlemcen, que le temps a respectée presque entièrement, et amorça le développement de la ville.

Les Almoravides étaient malékites, ce qui provoqua la réaction des Almohades. Leur premier chef, le Berbère Ibn Toumert, jeta les bases de son système à Tinmel, dans les chaînes occidentales de l'Atlas marocain (entre Marrakech et Taroudant). II entendait organiser le monde musulman d'après les principes largement interprétés du Coran et de la tradition. Une des caractéristiques est l'emploi du berbère comme langue religieuse.

L'empreinte religieuse primitive persista chez les Almohades ; mais elle fut par la suite une cause de difficultés intérieures : les cheikhs dépositaires de la pensée d'Ibn Toumert s'opposèrent au chef militaire et politique. Ces difficultés n'empêchèrent cependant pas le premier successeur d'Ibn Toumert, Abd el Moumin, de fonder l'empire des Almohades.

En peu d'années, tout en combattant au Maroc et en Espagne, Abd el Moumin se rendit maître du Maghreb central. Appelé d'abord par un clan Zenata (les Ouamamou) en lutte contre le gouverneur almoravide, il battit celui-ci près de Tlemcen et occupa Oran (1145). Sept ans plus tard il s'empara de Bougie, les Hammadites n'ayant pu tenir la campagne et leur armée ayant pris la fuite à la simple vue de son avant-garde. Au retour, il fut attaqué par les Hilaliens qui, malgré leur supériorité numérique, se dispersèrent au matin du quatrième jour de bataille. En 1158 une nouvelle campagne donnait l'Ifriqya à Abd el Moumin.

L'Algérie reçut une véritable organisation administrative. Divisée en deux provinces ayant pour villes principales l'une Bougie et l'autre Tlemcen, elle fut soumise au système financier des Almohades. Pour subvenir aux besoins de la guerre, ceux-ci ne purent se contenter des impôts coraniques et du butin : ils perçurent l'impôt foncier (kharadj) et organisèrent à cet effet un système d'arpentage. Le maintien de l'autorité était confié à des tribus, qui, suivant l'usage implanté dans le pays, eurent les charges et les avantages des tribus maghzen. Ce furent les Zenata Beni Abd el Ouad à Tlemcen, une tribu arabe à Bougie.

On connaît la fortune des Almohades en Espagne et au Maroc. L'Algérie fut quelque peu laissée de côté : l'empire était trop vaste. Dès 1184, les deux frères Ali et Yahya Beni Ghaniya, apparentés aux anciens émirs almoravides, entamèrent la lutte dans la région de Bougie. Après avoir pillé la Berbérie, ils se jetèrent sur Tunis, et, quand ils en furent chassés, continuèrent à ravager notamment la vallée du Chélif, la région d'Alger, le Sahel, et les environs de Bougie.

La disparition des frères Beni Ghaniya ne ramena pas le calme en Algérie : les faiblesses de l'empire almohade subsistaient. Elles aboutirent à la division de l'Afrique du Nord. Suivant l'expédient ordinaire, les Almohades commencèrent par confier l'Ifrigya, avec pleins pouvoirs, aux Beni Hafç, descendants d'un des compagnons d'Ibn Toumert, qui se proclamèrent indépendants dans Tunis. Leur Etat engloba sur le territoire algérien Bougie et Constantine. Au Maroc se constitua le royaume des Beni Merin (Zenata nomades du désert). Entre les deux, les Beni Abd el Ouad de Tlemcen cherchèrent eux aussi à assurer leur indépendance.

Le royaume de Tlemcen mena une existence agitée entre ses deux voisins qui, l'un et l'autre, revendiquaient son territoire en souvenir de la puissance almohade. De plus, l'émir de Tlemcen et le souverain mérinide du Maroc sont tous deux des Zenata : ils ont hérité de vieilles querelles datant de l'époque où les ancêtres vivaient au désert.

Yaghmorasan Ben Zaïan, le premier émir de Tlemcen, est vassal des Mérinides. Il est attaqué par les Beni Hafç, qui envoient une armée sous Tlemcen. En même temps il est menacé par le Marocain. Toute son existence et celle de ses successeurs va se passer à contenir le voisin de l'ouest et à chercher l'extension du territoire vers l'est, vers le Chélif et Bougie. Programme tellement difficile qu'il pousse les descendants de Yaghmorasan aux expédients politiques les plus surprenants : l'un d'eux va jusqu'à conclure une alliance avec le roi musulman de Grenade et avec le roi chrétien de Castille, acceptant le rôle ingrat d'écarter les Mérinides de l'Espagne par des diversions sur leur frontière orientale.

A ce jeu, les descendants de Yaghmorasan ne connaissent guère l'indépendance. Ils sont parfois vassaux du Mérinide ou du Hafçide, parfois même chassés de leur domaine; leur ville est fréquemment assiégée; leur palais est une forteresse : le Méchouar. A ces sièges souvent prolongés, Tlemcen gagne d'être agrandie. Les Marocains installent leur camp aux environs, et ce camp devient une ville, Tlemcen-la-Neuve, Mançourah. Les deux souverains rivalisent de luxe chacun pour sa ville.

Il se présente parfois des chances favorables. La grande chevauchée d'Abd el Moumin, fondateur de la dynastie almohade, a laissé des souvenirs chez les Mérinides du Maroc : en 1347, l'un d'eux, Aboul Hassan, se lance sur les traces glorieuses du successeur d' Ibn Toumert et rêve de soumettre toute l'Afrique du Nord. Il atteint effectivement l'Ifrigya, mais il est battu près de Kairouan (1348). Le prétendant Beni Abd el Ouad rentre à Tlemcen. Aussitôt il reprend la politique traditionnelle d'hostilités à l'ouest et à l'est, et ne réussit pas mieux que ses prédécesseurs.

Ce n'est qu'un exemple. La vie du royaume de Tlemcen n'est politiquement qu'une succession de coups d'État, de fortunes subites et de revers soudains. Les prétendants de tout ordre se disputent la ville, pour le plus grand profit des Hilaliens, qui restent toujours les hommes de main et se trouvent être les instruments ordinaires et les principaux bénéficiaires des restaurations successives.
Malgré toutes ces traverses, Tlemcen trouva le moyen de devenir une cité commerciale et industrielle florissante, en même temps qu'un centre d'études très vivant. Le développement de son commerce est dû à sa situation comme point de transit avec le pays des noirs, d'où elle recevait de l'ivoire, de l'or, des esclaves, qu'elle échangeait avec des objets fabriqués, surtout des armes, et contre des chevaux. Son industrie était limitée aux tissus, mais ces tissus étaient réputés. Les bourgeois de la ville étaient riches et le trésor. du souverain participait à cette richesse. Les fêtes égayaient le Méchouar. Les monuments ornaient la ville. Il en reste des traces, moins nombreuses que celles qu'ont laissées les Mérinides à Mançourah, mais suffisantes pour donner une idée de l'art tlemcenien, fortement influencé, d'ailleurs, par l'art andalou. Les médersas de Tlemcen abritaient de nombreux étudiants, dont les études théologiques étaient teintées de mysticisme : le plus fameux de ces ascètes, Sidi Mou Medyen, a sa sépulture tout près de la ville, à El Eubbad.



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