Algérie

Le roman écrit en daridja est-il un blasphème Littéraire?



Publié le 15.08.2024 dans le Quotidien l’Expression

Ecouter l'inspecteur Tahar (Hadj Abderrahmane) ou Boubegra (Hassan El Hassani) en train de parler notre langue populaire est un régal poétique et sociétal!
Une langue nationale et officielle n'est qu'un dialecte qui a réussi politiquement et religieusement dans un pays bien défini et pour une période historique variable! Et pourtant, regarder un bon film algérien où les actrices et les acteurs parlent entre eux notre beau dialecte, en toute liberté, sans gêne, et en toute décontraction, nous procure du plaisir artistique et nous propose des messages politiques sans faille.
Ecouter l'inspecteur Tahar (Hadj Abderrahmane) ou Boubegra (Hassan El Hassani) en train de parler notre langue populaire est un régal poétique et sociétal! On juge la qualité de la prestation artistique des acteurs, le génie du scénariste, l'intelligence du dialoguiste, mais jamais le choix de la langue utilisée, qui n'est que la daridja ou la langue algérienne.
Confortablement installé dans un siège au théâtre d'Oran, d'Annaba, de Constantine, de Bechar ou d'Alger, pour regarder une pièce théâtrale de Alloula, de Kaki, de Medjoubi, de Ziani Cherif Ayad, de Slimane Benaissa, de Fellag, de Malek Bouguermouh, de Mohamed Adar, de Mhamed Benguettaf, de Sonia, de Mourad Senouci, de Ali Djebara, de Mohamed Mourad Moulay Miliani, de Said Bouabdellah, de Abdelkader Djeriou, de Mohamed Charchal, de Hmida Ayachi, de Ibrahim Naouel... Une fois le rideau tombé on quitte le théâtre, on parle du jeu des comédiens, de leurs capacités artistiques, de la réalisation, de la chorégraphie, mais on ne condamne jamais la pièce parce qu'elle est en daridja. Les meilleures pièces théâtrales de nos meilleurs metteurs en scène sont faites dans la daridja.
Avec jubilation et amour on écoute une belle chanson algérienne, de l'est à l'ouest, du sud au nord; de Abdel Kader El khaldi passant par Ahmed Wahbi, Ahmed Saber, Nora, Abdelhamid Ababsa, khelifi Ahmed, Cherif Kheddam, Idir, Djamel Allem, Karima, Matoub Lounès, Katchou, Aït Menguellet, Dahmane El Harrachi, cheikha Reimti, chekha Jenniya, cheb Khaled, cheb Hasseni, cheb Mami, Benchennat, Fadila, Zahawaniya...On aime ou n'on aime pas la voix de celui ou celle qui interprète la chanson, mais on ne juge pas la chanson parce qu'elle est en daridja.
Notre oreille littéraire et musicale a grandi dans la belle poésie populaire, el Malhoune. Avec amour nous l'écoutons. Depuis notre adolescence nous avons appris, par coeur, des dizaines de poèmes en langue dialectale, peut-être plus que ce que l'école nous a enseigné de poésie arabe classique. Nous préférons Abdallah Benkerriou à un Imrou el Qis. Nous préférons Ibn Guitoune à El Mutanabbi. Et pourtant nos grands poètes écrivaient dans la daridja algérienne.
Raconter, en darija algérienne, un conte ancestral à nos enfants ou à nos petits-enfants branchés sur les réseaux sociaux modernes n'est pas une honte, n'est pas une interdiction ou une atteinte à l'unité nationale, c'est plutôt une fierté nationale et un ancrage dans l'histoire spécifique de la nation.
Mais, ce qui est bizarre et inexplicable, c'est dès qu'on écrit un roman en daridja, langue locale, cela est considéré, par les salafistes ou arabistes puristes, comme atteinte à l'unité nationale.
On n'arrive pas à comprendre, ni à saisir, ni à expliquer pourquoi dans un pays comme le nôtre où les citoyens exercent leur vie quotidienne dans une pluralité linguistique harmonieuse, en respect et en cohabitation; en arabe, en amazighe, en daridja et en français, il y a ce rejet fanatique dès qu'il s'agit de l'écriture du roman en daridja, langue algérienne?
Si en Algérie, les rares aventures de l'écriture romanesque en daridja, langue algérienne, sont condamnés ou mal vues idéologiquement, religieusement et même académiquement, chez nos voisins les Tunisiens, les Égyptiens ou les Marocains, le roman en daridja, leurs langues locales, prend de plus en plus sa place littéraire au côté de la littérature de langue arabe classique, de langue amazighe ou de langue française.
En effet le roman Fehla de l'écrivain et académicien Rabeh Sebaâ, écrit en langue algérienne, publié aux éditions Frantz Fanon 2022, a suscité beaucoup de réactions entre partisans et opposants. Un roman audacieux et bien écrit. Mais une seule hirondelle ne fait pas le printemps.
En Tunisie la romancière Fatèn eFazzaâ, après six romans en langue tunisienne, est devenue une star littéraire. Elle draine des milliers de lecteurs et lectrices, et elle est traduite dans une dizaine de langues.
En définitive le problème de la littérature narrative ou poétique ne réside pas dans la langue utilisée par l'écrivain, quelle que soit cette langue, daridja ou arabe fosha ou tamazigh, mais dans le génie de l'écriture.
Amin Zaoui




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