Algérie

Le Roman algérien de Katia Kameli Entre passé et présent, L’Algérie par l’image décryptée



Publié le 15.07.2024 dans le Quotidien l’Expression

L’Artiste visuelle et cinéaste franco-algérienne, Katia Kameli, dont l’œil est souvent partagé entre le monde et ses racines, est actuellement à Alger et ce, jusqu’au 02 août, dans le cadre d’une résidence artistique…

Ceci qui fait suite à un appel à candidature lancée par la galerie Rhizome et l'Institut français d'Algérie «pour un programme de résidence de recherche pour l'année 2024 à destination des artistes visuel.l.e. s ²français•e•s et/ou résidant•e•s en France».Katia Kameli a été sélectionné en vue de poursuivre le travail de son projet intitulé Le Rroman algérien, entrepris depuis 2016. Réparti sur plusieurs chapitres, l'artiste en est au quatrième chapitre de ses recherches. En effet, Le Roman algérien, chap.1.2.3 est une trilogie cinématographique, une enquête au long cours qui éclaire de façon sensible sur les relations complexes d'une nation à son histoire et le rôle des images dans la construction de son roman national et de ses archétypes.» explique- t-elle. Et de faire remarquer: «Lors de cette résidence de recherche à Alger, je souhaite poursuivre mon enquête pour l'écriture et la réalisation d'un quatrième chapitre du Roman algérien. Mon exposition personnelle intitulée Hier revient et l'entends à Bétonsalon et à l'ICI en 2023 m'a permis de mettre en chantier l'écriture de ce prochain chapitre, cette résidence de recherche à Alger me permettrait d'en finaliser l'écriture et une partie de sa réalisation dans les meilleures conditions. Prenant pour point de départ La Nouba des femmes du mont Chenoua, premier film algérien réalisé par une femme - l'écrivaine et cinéaste algérienne Assia Djebar - en 1977, ce nouveau chapitre tissera le lien entre mes recherches sur cette figure féminine algérienne, les oeuvres et artistes qui gravitaient autour de son film afin de prolonger le geste d'un récit polyphonique vivant dans lequel les histoires intimes et collectives donnent à entendre une historisation plus sensible aux voix des femmes.»

Tout a commencé en 2016
«Au centre-ville d'Alger, près de la Grande Poste, Farouk Azzoug accroche avec des pinces à linge des cartes postales et des affiches aux barreaux des fenêtres d'un immeuble. Le dispositif qu'il fabrique à partir d'une grille devenue support d'horizontalité autorise de nombreuses associations entre les images exposées. Des rencontres hasardeuses et des rapprochements inédits produisent du sens et donnent à penser. Que raconte cette mosaïque d'images? Que produit ce voisinage d'images orientalisantes faites par le pouvoir colonial, de portraits officiels d'hommes politiques et d'images de presse des premières années de l'indépendance? Qui achète ces images? Qui les collectionne? Et quel est leur rôle dans la construction d'un imaginaire historique collectif? Ce commerce de cartes postales est-il le lieu de fabrication d'un roman national? Un endroit où les algériennes et les algériens s'offrent une narration romancée de leur propre histoire?» Se demande Katia une polyphonie de voix fait entendre différentes interprétations et lectures possibles. Et d'indiquer: «Certain.e.s y voient une narration romancée de l'histoire d'Algérie, appuyée sur des images qui entretiennent le rêve d'une Algérie d'avant. D'autres y perçoivent l'ouverture d'un espace de parole, où l'on vient parfois à la recherche de ce qu'on ne trouve pas à l'école: l'image de tel personnage ou événement historique qui ne figure pas dans les manuels scolaires fournis par l'État.»A propos du chapitre deux, Katia Kameli relève: «Sans vouloir donner une réponse définitive à la question de savoir ce que racontent ces images, l'enquête se poursuit au chapitre II, tourné un an après, à Paris. Les mêmes cartes postales reviennent à l'écran pour être soumises au regard de Marie-José Mondzain qui tente d'explorer ce qui, dans ces images, demeure invu: «ce qui est en attente de sens dans le débat de la communauté» En intégrant au nouveau chapitre plusieurs séquences laissées de côté, j'expose le making-of du film tout en introduisant la présence subjective des corps-là où avant il n'y avait qu'une polyphonie de voix.».

À propos du processus d'écriture
Et de souligner: «Les séquences où Wassila Tamzali et Louisette Ighilahriz commentent quelques images face à la caméra montrent le dispositif mis en place pour la réalisation des entretiens. Ce qui autrefois était mis de côté ou restait confiné dans les carnets préparatoires intègre désormais l'oeuvre et se confond avec elle, à tel point que les étapes d'investigation et les formes de restitution de la recherche ne sont plus nécessairement distinctes.» À propos du processus d'écriture du Roman algérien, l'artiste Katia Kameli estime qu'il « est fait de contraintes, d'improvisations et de ruses que j'expose au grand jour. Le début du chap. III nous confronte d'emblée aux aléas du voyage et à des rendez-vous manqués. Une fois arrivée à Alger, Marie-José Mondzain ne parviendra pas à discuter avec le propriétaire du kiosque. Et si le film part sur l'idée de revisiter les images manquantes de Marie-José Mondzain et de retourner sur les traces d'Assia Djebar, on comprend vite que l'irruption du'Hirak le dévie de son projet initial et le fait basculer, le détourne du passé pour l'ouvrir à ce qui dans le présent fait actualité. En entrelaçant récit personnel et histoire collective, luttes anciennes et actuelles, images d'archives et relectures contemporaines, sa trame narrative induit une temporalité inversée et une dimension de retroactivité dans laquelle les images et les personnages du film ne cessent de revenir à l'écran et de différer d'eux-mêmes.».

Assia Djebar et le chapitre 4
À la question de «comment se prolongera l'écriture du quatrième chapitre de ce roman à Alger?» Katia kameli fait savoir: «Pour ce nouveau chapitre, j'ai fait le choix de reprendre l'enquête en centrant sur la figure d'Assia Djebar introduite dans le chap. III, où le producteur et critique de cinéma Ahmed Bedjaoui analyse des séquences de son premier film et qui se clôt par une séquence ou Ibtissem Hattali slam la chanson de la Nouba sur la plage de Chenoua. Lors de mon exposition personnelle «Hier revient et je l'entends», à Bétonsalon en 2023, je présente les trois chapitres du Roman algérien et surtout je commence le tournage du chapitre 4. Inspiré par des éléments de «La Nouba des femmes du mont Chenoua», l'installation devient décors et sert aussi d'espace de tournage pour recueillir les paroles de Sawsan Noweir, l'actrice du film, de Sakina Bouchama, sa soeur, de sa confidence Mireille Calle-Gruber et de Natasha Marie Llorens, commissaire indépendante et chercheuse sur le cinéma national algérien entre 1965 et 1979 ainsi que le témoignage de Naget Khadda, historienne de l'art et femme du peintre Mohamed Khadda qui avait prêté des oeuvres à Assia Djebar pour le décor de son film. Une de ces oeuvres, Femme et cactus, prêtée par sa fille Jawida, était présente dans le dispositif que je proposais dans l'exposition. Cette oeuvre est activée par mes invitées. Aujourd'hui, cette résidence dans l'ancien atelier de Mohamed Khadda me permettrait de mener à bien la seconde étape de l'écriture et du tournage de mon film en Algérie. De suivre les pistes visuelles et sonores que Sawsan, Sakina, Mireille, Nathasha et Naget m'ont apportées lors des rencontres organisées à Bétonsalon. Sakina pense que des bobines de films sont encore présentes dans son ancien appartement dans l'immeuble Shell ou résidence du Petit-Hydra. En accord avec la famille d'Assia Djebar, je souhaite le visiter ou y tourner. Sawsan fait souvent allusion aux fêtes et aux ami.e.s autour du tournage. J'ai aussi appris qu'Assia organisait certains de ces dîners dans l'atelier de Khadda. Je souhaite aussi réactiver cet atelier comme un lieu d'écriture et de tournage afin de questionner le travail des artistes de l'Algérie post-coloniale mais aussi de la nouvelle génération et plus particulièrement le travail des artistes femmes. Dans une séquence du film documentaire de René Vautier Déjà le sang de Mai ensemençait Novembre, (1982), Mohamed Issiakhem évoque l'importance de produire de nouvelles images picturales, cette séquence est habitée par plusieurs artistes et plusieurs femmes sont à l'oeuvre, Qui sont-elles? Que sont-elles devenues?»Et de conclure à propos de l'utilité de cette résidence dans laquelle, elle y est aujourd'hui: «Cette résidence m'apparaît essentielle pour la continuation de cette oeuvre. Elle serait l'endroit idéal pour raviver les mémoires et permettrait de dresser le portrait d'une génération et période où parcours des femmes, résistance et histoire de l'art et du cinéma se réunissent comme pour contrebalancer le récit colonial ancré.». Née à Clermont-Ferrand, en France, Katia Kameli est pour info, diplômée de l'École Nationale des Beaux-Arts de Bourges et a suivi le post-diplôme le Collège Invisible à l'École Supérieure d'Arts de Marseille. Son travail a trouvé une visibilité et une reconnaissance sur la scène artistique et cinématographique internationale et a été montré lors de nombreuses expositions personnelles et collectives. Nominée au prix AwareE et lauréate du programme Les Mondes nouveaux en 2022, ses oeuvres font partie d'un nombre de collections publiques...Elle a déjà pris part à de nombreuses expositions et publications, animé diverses conférences et reçu de nombreux prix.

O. HIND



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