Algérie

Le « Roman algérien » de Katia Kameli s’expose au Frac de Marseille



Le « Roman algérien » de Katia Kameli s’expose au Frac de Marseille
Trilogie à mi-chemin du documentaire et du film expérimental, l’œuvre de l’artiste franco-algérienne interroge l’imaginaire collectif.

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Le geste se veut protecteur. Affolé par une déflagration, un homme masque de sa main le visage d’une femme, comme pour la prémunir du spectacle de la désolation. La photojournaliste algérienne Louiza Ammi a pris ce cliché en 1997, en pleine guerre civile. Une voiture piégée vient de faire onze morts et vingt-trois blessés à Kouba, dans la banlieue d’Alger. Cette photo agrandie sert de prologue à la magistrale exposition de l’artiste franco-algérienne Katia Kameli au Fonds régional d’art contemporain (Frac), à Marseille, dans le cadre de la Saison Africa 2020.

Elle charrie à elle seule un flot de questions : qu’est-on capable de voir et de retenir ? Quand détourne-t-on le regard ? Comment l’image façonne-t-elle l’imaginaire collectif ? Autant d’interrogations au cœur du Roman algérien, une trilogie à mi-chemin entre le film expérimental et le documentaire que Katia Kameli a tournée de 2016 à 2019.
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Comme sa consœur la plasticienne Zineb Sedira, qui représentera la France à la Biennale de Venise en 2022, cette artiste a fait de l’Algérie la matière première – mais non exclusive – de son œuvre. Pour elle, comme pour tant d’autres enfants d’immigrés, la guerre d’Algérie fut un sujet tabou, un chapitre tantôt éludé tantôt mythifié par la famille, et vite expédié par les manuels scolaires français. « En France, on m’a raconté une histoire, en Algérie une autre », résume Katia Kameli. La décennie noire des années 1990 est tout autant refoulée, la charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005 ayant interdit de réveiller le passé.
« Une fiction »

Aussi, l’Histoire est-elle pour l’artiste fatalement « une fiction », un palimpseste tissé de microrécits qui se chevauchent et se contredisent. Ni historienne, ni archiviste, ni chercheuse, mais tout cela à la fois, Katia Kameli se veut avant tout « traductrice », en quête de nuances et de non-dits. C’est par l’image « qui nous informe, nous conditionne ou nous manipule » que l’artiste explore le passé colonial et postcolonial de l’Algérie, les « années de plomb » comme le tourbillon récent du mouvement de contestation du Hirak.

Née en 1973 à Clermont-Ferrand d’un père algérien musulman et d’une mère française chrétienne, Katia Kameli a 6 ans quand ses parents se séparent. Depuis, elle n’a cessé de circuler entre deux rives qu’elle n’a pas voulu opposer. « J’ai décidé de ne pas avoir de problème identitaire », dit-t-elle, rétive à toute pensée binaire, n’autorisant personne à la « mettre dans une case ni questionner (son) taux d’“algérianité” ».
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Encore étudiante aux beaux-arts, elle tourne sa première vidéo en 1998 en Algérie, ce « second pays » qu’elle observe avec autant de recul que de passion. Elle songe un temps à y créer une entreprise de production. Avant de renoncer : « Une femme indépendante vivant seule à Alger, c’est difficile, les voisins te regardent. » Katia Kameli l’admet, « une partie de ma culture algérienne m’échappe toujours, même si j’en connais les codes. »

Qu’importe, l’Algérie n’en finit pas de l’aimanter. En 2019, cinq vendredis d’affilée, elle avait manifesté à Alger pour réclamer le départ du président Abdelaziz Bouteflika avec les protestataires du Hirak. Fière que « le peuple se réapproprie l’espace public qu’on lui a volé », elle était convaincue « qu’une vraie démocratie sortira de tout cela ». Aujourd’hui, la liesse populaire s’est tue, les autorités algériennes ont diabolisé le mouvement populaire et la pandémie a fermé les portes du pays. « La situation politique est bloquée », soupire Katia Kameli, qui n’y est pas retournée depuis un an et demi.
« Le vif du passé »

Son grand Roman algérien, elle l’a commencé en 2016, à l’invitation du Mucem, à Marseille, qui lui commande une œuvre pour l’exposition « Made in Algeria ». A Alger, près de la Grande Poste, elle avait remarqué un kiosque nomade de cartes postales tenu par Farouk Azzoug et son fils, « l’un des rares espaces publics de libre expression du pays », écrit le critique d’art Clément Dirié, dans la monographie de Katia Kameli publiée chez Manuella Editions.

C’est à partir de ces cartes postales plastifiées, que l’artiste analyse l’histoire du pays, sollicitant pour cela passants, étudiants, historiens et, dans le deuxième volet, le regard sagace de la philosophe Marie-José Mondzain, née en Algérie. Dans le troisième volet du Roman algérien, s’ajoutent de nouvelles figures : la photoreporter Louiza Ammi, l’écrivaine militante Wassyla Tamzali ainsi que la regrettée romancière et réalisatrice Assia Djebar. Des femmes majoritairement.

Comme tant d’autres histoires, celle de la guerre d’Algérie fut écrite par les hommes qui, une fois l’indépendance proclamée, oublièrent les combattantes dans leurs récits. C’est à ces écrivaines, militantes ou moudjahidates (combattantes) que ce dernier chapitre rend hommage. Ce dernier volet de la trilogie s’achève d’ailleurs sur ces vers d’Assia Djebar, déclamés par la slameuse Ibtissem Hattali : « Elle a allumé le vif du passé, un feu ancien s’est ravivé, en ces temps d’esclavage, voici le jour venu, où les femmes vont s’emparer de leur liberté. » Katia Kameli n’entend d’ailleurs pas s’arrêter sur ces mots gorgés de promesses. Son Roman algérien est « le projet d’une vie ». « Il y a tant à dire, à savoir, dit-elle. Si on ne regarde pas ce passé et ces images en face, on restera dans une sorte de répétition. »

Katia Kameli, « Elle a allumé le vif du passé », jusqu’au 19 septembre, Fonds régional d’art contemporain de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Frac Paca), www.frac-provence-alpes-cotedazur.org




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