Algérie

Le rôle de la cité scientifique de Boumerdès dans la récupération de nos richesses en hydrocarbures



Par Baddari Kamel(*)
Il n'y a pas de meilleure date anniversaire que le 24 février pour évoquer l'importante contribution de la cité scientifique de Boumerdès dans la récupération des richesses en hydrocarbures du pays. Avant cela, et pour mieux situer cette contribution, replaçons-nous dans le contexte de l'époque. C'est au lendemain de l'indépendance du pays que le site de Boumerdès, un lieu-dit abritant le siège de l'autorité coloniale en Algérie et, un peu plus tard, l'Exécutif provisoire algérien, est érigé en un centre de formation d'ingénieurs et de techniciens supérieurs pour répondre aux attentes immenses de l'industrie algérienne naissante. Ce centre allait tenir un rôle central dans la construction de l'Etat moderne algérien, particulièrement lors de la nationalisation des hydrocarbures.
Contrairement à d'autres processus d'aménagement du territoire, ce n'est pas la cité qui a créé le centre mais plutôt ce dernier qui l'a créée, car, avant l'avènement de ce centre et le départ des colons, la cité ne comptait guère que quelques habitations éparses. Elle est devenue, par la réalité des faits, la seule cité où l'enseignement et la recherche sont consacrés comme activités de premier plan. Hélas, cette réalité s'estompe depuis l'abandon des instituts nationaux de formation technologique qui dispensaient un savoir-faire harmonieux en parfaite adéquation avec les branches de l'industrie du pays, et aussi lorsque l'administratif y a été consacré comme prépondérant, aux dépens du technologue.
Origine de la cité de Boumerdès
Tout d'abord, il faut situer le site de Boumerdès qui a été aménagé en 1961 pour accueillir la Délégation de l'autorité coloniale en Algérie dont la sécurité n'était plus assurée à Alger en raison de la guerre d'indépendance du pays.
Dénommée initialement «Cité administrative satellite», elle est située sur la côte est d'Alger, à une cinquantaine de kilomètres. Après avoir été le siège de la Délégation générale en Algérie, la cité a abrité l'Exécutif provisoire algérien, chargé de gérer les affaires publiques durant la période transitoire entre le cessez-le-feu et l'installation définitive du nouvel Etat algérien.
L'exécutif était présidé par Abderrahmane Farès et avec pour chef de cabinet Mohamed Khemisti. C'est le lieu où furent échangés les drapeaux français et algérien entre les officiels des deux pays et solennellement lue la déclaration d'indépendance de l'Algérie par le représentant personnel du chef de l'Etat français, le général de Gaulle. La marque physique qui témoigne de cet évènement majeur existe toujours. Elle est mitoyenne à l'actuelle salle des conférences de l'université, mais qui ne bénéficie, hélas, d'aucun égard.
A l'origine, le lieu-dit Boumerdès tiendrait son appellation d'une famille maraboutique du nom des «Boumerdassi», signifiant en arabe «être originaire de Boumerdès», dont le tombeau, aujourd'hui disparu, serait situé à l'entrée de la cité, non loin du château d'eau actuel. Certains témoignages situent le tombeau du marabout non loin de la «fontaine fraîche» (actuellement Tidjelabine), à une dizaine de kilomètres du lieu-dit. Durant la période coloniale, le lieu-dit est divisé en deux zones séparées par un oued, l'oued de Boumerdès. Une zone située en amont de l'oued en venant d'Alger que les autochtones appelaient effectivement Boumerdès comprenant essentiellement quelques habitations éparses et un arrêt de chemins de fer avec rien autour, et où les villes les plus proches sont Menerville (Thénia), Courbet (Zemmouri) et Alma (Boudouaou) ; tandis que les colons utilisaient le nom de Rocher-Noir, station balnéaire en aval de l'oued comprenant des habitations pour les colons et un imposant réservoir d'eau potable qui vient malheureusement d'être démoli. Au lendemain de l'indépendance, une même dénomination a été retenue, celle de Boumerdès regroupant le lieu-dit et le rocher. Selon le recensement général de la population et de l'habitat de 1966, le lieu-dit comptait à cette date à peine 600 habitants. Celle-ci est passée en 1970 à quelque 3 000 habitants.
Les plans d'urbanisme (1970, 1976 et 1985) ont prévu l'augmentation de la population de la cité de Boumerdès en créant au fur et à mesure des extensions (cité Ibn-Khaldoun, cité Frantz-Fanon, les coopératives, Oued Tatareg, Foes, 5-Juillet...).
A noter que la ville battait le record national de matière grise au kilomètre carré, étant donné le niveau d'instruction élevé de sa population, formée en grande partie de cadres d'entreprises nationales, d'enseignants, de chercheurs et d'étudiants.
Emergence du CAHT et du «pôle technologique» de Boumerdès
Avant la création des instituts technologiques, piliers de la future université M'Hamed-Bouguerra, les nouvelles autorités algériennes avaient créé en 1964 le premier centre de formation technologique du nom du CAHT (Centre africain des hydrocarbures et des textiles), ouvert, non seulement aux Algériens, mais aussi aux étudiants d'autres pays proches de l'Algérie (pays du Maghreb, le Vietnam du Nord, la Corée du Nord, des pays africains et d'Amérique latine). Ce centre a vu le jour suite à l'accord signé avec l'Union soviétique. Il allait jouer un rôle considérable dans le paysage économique du pays, et dans la récupération de nos richesses en hydrocarbures, et aussi servir d'étalon modèle pour la création future d'instituts de technologie dans les années 70 à travers le territoire national. Autant dire qu'il est le précurseur de l'émergence de la formation technologique du pays.
L'objectif assigné au centre est de produire l'encadrement technique qui faisait défaut et l'adapter étroitement aux besoins des entreprises par des programmes d'études pratiques adaptés à la situation de chaque branche, et aussi par l'immersion progressive de l'étudiant dans le monde industriel par le biais de stages de mise en situation professionnelle auprès d'entreprises publiques.
Plus tard, en 1973, le CAHT a été réorganisé. La cité de Boumerdès comprenait alors cinq instituts de formation d'ingénieurs et de techniciens supérieurs : INHC, IAP, INIL, INGM et Inelec) et un institut de management (Inped). A l'image du CAHT et excepté l'Inped, chaque institut est orienté vers une branche d'activité, et les spécialités développées par ces instituts formaient un ensemble harmonieux qui quasiment les attentes de tout le secteur de l'industrie publique du pays.
A cette époque, la cité abritait aussi un «pôle technologique», selon la sémantique utilisée aujourd'hui, de première importance, composé du Centre de recherche et de développement en hydrocarbures de la Sonatrach, le Laboratoire d'étude et de recherche minière de la Sonarem, le Laboratoire de recherche sur les matériaux de construction de la SNMC, le Laboratoire de recherche sur les cuirs et peaux de la Sonipec et le Laboratoire de recherche sur les tabacs de la SNTA.
En somme, un véritable «pôle technologique» unique en Afrique, en rappelant que nous sommes en 1973. C'est le précurseur des pôles technologiques que nous connaissons actuellement, toute prétention gardée et à échelle réduite, comme à Singapour, en Indonésie...
Le rôle du CAHT dans la récupération de nos richesses
Revenons au début de l'année 1971. C'est suite au refus des compagnies pétrolières françaises de renégocier les prix des hydrocarbures que le chef de l'Etat algérien, Houari Boumediène, prend la décision, le 24 février 1971, de nationaliser les hydrocarbures du pays, dans un contexte très difficile, marqué par la rareté d'ingénieurs et de techniciens nationaux, aptes à assurer la relève des entreprises étrangères défaillantes.
Et pour ne pas arranger les choses, les compagnies françaises décrètent un embargo sur le pétrole algérien et se retirent brusquement, laissant les installations à l'arrêt et la production des hydrocarbures quasi nulle. Une prise de décision politique s'impose, et c'est là qu'intervient le rôle quasi révolutionnaire du CAHT.
Pour faire redémarrer ces installations, la Sonatrach fait appel à des ingénieurs et des techniciens supérieurs du CAHT de Boumerdès, et aussi à des étudiants de fin de cycle du même centre. Avec le concours des ouvriers algériens hautement qualifiés restés sur les chantiers pétrolifères du Sud, ces ingénieurs et techniciens avaient rempli avec courage et dévouement leur mission.
évoquant cet événement dans un discours du 15 mai 1971, Houari Boumediène déclarait : «Les récentes promotions du CAHT de Boumerdès ont contribué à la relève des techniciens et cadres étrangers défaillants lors de la récupération de nos richesses en hydrocarbures en février 1971.»
Une reconnaissance qui rehausse le prestige du centre et de ses ressources humaines. Il faut souligner que cette nationalisation a inspiré d'autres Etats. Dix mois plus tard, la Libye nationalise les avoirs de la British Petroleum (britannique), et au mois de juin 1972, l'Irak exproprie Iraq Petroleum Company.
Par ailleurs, la cité de Boumerdès a tenu un rôle important dans l'encadrement politique du pays. Au sein des différents gouvernements qui se sont succédé, on a pu compter 6 ministres et un chef de gouvernement qui en sont issus (Cherifi, Baghli, Boumahrat, Isli, Makhloufi, Khebri, Benbitour) et plusieurs écrivains de renommée. De même, les pays qui ont envoyé leurs étudiants au CAHT et plus tard dans les instituts nationaux de Boumerdès ont pu améliorer leur encadrement politique et économique, consacrant ainsi le rôle majeur de la cité de Boumerdès dans le renforcement des relations bilatérales avec les pays amis de tous les continents.
Conclusion
A titre conclusif, le départ des colons a laissé le site de Boumerdès en état de friche. Après avoir créé la société Sonatrach en 1963, le pays, qui n'était pas pourvu de centres de formation technologique, pourvoyeurs de ressources humaines adaptées à la situation, a mis en place, en 1964, le CAHT pour répondre aux objectifs des entreprises publiques. Le centre était une référence dans le domaine de la formation.
Le Président Houari Boumediène s'y réfère souvent pour répondre aux critiques lorsqu'il est accusé de promouvoir un pouvoir technocratique. Il avait coutume de répéter, pour répondre à ces critiques : «Ceux qui nous accusent d'être des technocrates reconnaissent que nous avons des techniciens.»
Naturellement, un véritable «pôle technologique» d'une échelle modeste y voit le jour en 1973, ouvrant une ère nouvelle pour le devenir de la formation et de la recherche technologique à la hauteur des ambitions du pays. La cité commençait à tenir toutes ses promesses, si bien que des pays du Golfe traitaient leurs enregistrements sismiques dans le laboratoire de la Sonatrach de Boumerdès. Aujourd'hui, il est amèrement regrettable de constater l'effondrement de ce joyau académique et de recherche suite à la transformation de la cité scientifique en une cité administrative avec la création de la wilaya, consacrant ainsi la prépondérance de l'administratif sur le technologue et le scientifique.
A notre humble avis, il eût été préférable de garder et de renforcer l'existence des instituts et le «pôle technologique» avec les spécificités pour lesquelles ils ont été créés, et d'héberger les services de la wilaya de Boumerdès dans un site de la région où la tradition administrative est consacrée. Ceci aurait permis la poursuite du développement du «pôle technologique» d'une part, et, d'autre part, aux instituts d'échapper au phagocyte par l'université créée en 1998.
La méconnaissance des responsables de l'époque a ainsi mis fin à la première et peut-être l'unique expérience réussie d'adéquation formation-emploi dans le pays, que l'université peine à recréer. Quoi qu'il en soit, la cité scientifique de Boumerdès a vécu et assumé dignement la période fondatrice de l'Etat algérien et constitue, à ce titre, un témoin essentiel de l'histoire de la formation technologique en Algérie.
B. K.
* Professeur des universités, expert en enseignement supérieur et recherche scientifique, expert en conduite de changement


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