Le rêve africain Point net

C'est décidé, Rachid ira en Afrique du Sud. En dehors d'Alger et d'El Eulma, il ne connaît pas grand-chose du nord du continent. Mais un bonheur ne venant jamais seul, il va le traverser du' nord au sud. Que demande le peuple L'Equipe nationale s'est brillamment qualifiée, les affaires marchent plutôt bien, il n'est donc pas question de bouder son bonheur. C'est vraiment une bonne saison pour Rachid.
Son club de c'ur, l'Entente de Sétif, carbure à plein régime, les voitures se vendent comme des petits pains, les Verts sont déjà au pays de Mandela, et ultime extase, il va bientôt y être. Quand il est seul, Rachid se dit qu'il lui arrive peut-être trop de belles choses à la fois, lui qui a tant trimé. Il a tellement trimé qu'il se surprend à s'émerveiller de tout.
Il commence d'abord par chercher cette belle expression qu'il affectionne particulièrement mais il l'oublie souvent. Mais elle lui revient toujours': «Je ne suis pas né avec une cuiller en argent dans la bouche». Il regarde alors ses beaux souliers en cuir payés au prix du Smig et se rappelle les baskets troués qu'il a traînées pendant des mois dans les rues d'Alger où il débarquait très jeune pour des petits boulots. A propos de boulot, c'est une chanson d'Ali Amrane qui lui rappelle ses années de galère, là où il dit «j'ai 13 métiers et 14 misères».
Rachid n'a pas vraiment treize métiers, puisqu'il n'a reçu aucune formation une fois éjecté de l'école, mais il en a fait beaucoup. Il n'a par contre pas compté ses misères mais il a dû en vivre plus que ça. Rachid ne connaît rien à l'Afrique, il lui arrive même de se demander si c'est un pays ou un continent. Normal, il entend souvent dire qu'un club algérien a recruté un «Africain», un autre est sur la piste d'un Africain et que les africains de l'Entente sont partis dans «leur pays» passer des vacances.
Il a aussi vu des «Africains» traînant leur misère Square Port-Saïd et d'autres Africains repêchés sans vie au large de quelque part après une tentative suicidaire de rejoindre l'Espagne ou l'Italie. Rachid est devenu plus prospère après avoir travaillé dur. Il lui arrive de regretter de n'avoir pas fait d'études, mais quand il voit les conditions dans lesquelles sont ses amis d'enfance qui ont réussi leur scolarité, il se dit qu'il s'en est sorti plutôt pas mal.
On ne peut pas tout avoir, c'est aussi l'une des expressions qu'il affectionne. Piètre consolation, se dit-il parfois quand il se retrouve désarmé face aux choses de l'esprit. Heureusement que le foot, c'est pour tout le monde. Enfin, pas pour tout le monde, mais au moins pour lui et tous ceux qui ont été pressés de quitter l'école pour les vacances définitives. Rachid ne rate pas un match de l'Entente et de l'Equipe nationale depuis qu'il a les moyens.
Il a même été à Oum Dourman mais il ne savait pas que le Soudan, c'était l'Afrique. Il ne pouvait pas savoir que le Soudan, c'était l'Afrique, parce qu'on lui a dit que les Soudanais étaient des frères alors qu'au Square Port-Saïd personne ne disait ça des Africains qui squattaient les bancs publics. Rachid n'a pas été en Afrique du Sud pour la Coupe du monde parce qu'il avait oublié son passeport dans la dernière voiture vendue et le client ne le lui a envoyé que deux mois après, mais il ira cette fois voir la Coupe d'Afrique.
Aux dernières nouvelles, il aurait été terriblement froissé par l'information qui dit que les Algériens doivent payer une caution de 1000 euros et les récupérer au retour, une mesure pour éviter que les Algériens restent là-bas. Mais il a fini par se détendre parce qu'une idée venait de lui traverser la tête : et si ça ne tenait qu'à 1000 euros pour émigrer en Afrique du Sud '