Algérie

Le renard et le chacal



Le renard et le chacal
De passage à Paris en 1990, j'ai eu la chance de voir à sa sortie Dreams, de l'immense réalisateur japonais Akira Kurosawa (1910-1998), connu pour Les sept samouraïs (1954) et bien d'autres chefs-d'?uvre. Dreams est composé de huit courts métrages qui reprennent les rêves qui ont marqué la vie de celui qui rêvait de mourir en plein tournage. Le premier d'entre eux, Soleil sous la pluie, remonte à ses cinq ans. L'enfant se voit outrepasser l'ordre de sa mère de ne pas sortir car il pleut sous le soleil et on ne doit pas déranger le mariage du renard qui a lieu en ces circonstances. Je me souviens m'être redressé sur mon siège, ébahi de retrouver là un mythe bien de chez nous !Par coïncidence, je me retrouvais quelques mois plus tard à Tokyo et je ne manquais pas de demander à quelques Japonais si cette histoire était connue.Tous me confirmèrent en riant qu'elle faisait partie de leur culture la plus ancienne et ce fut à leur tour d'être ébahis d'apprendre qu'elle faisait aussi partie de la nôtre. On peut lire dans L'encyclopédie berbère de Gabriel Camps : «Dans l'ensemble du Maghreb et du Sahara, aussi bien chez les arabophones que chez les berbérophones, se trouve employée une expression curieuse pour désigner l'arc-en-ciel ou la pluie par temps ensoleillé ; on dit ''c'est le mariage du chacal'' (tameghra bbu??en et en arabe : irs ed dîb)». Comment ce mythe a-t-il parcouru plus de 10 000 kilomètres à travers la planète ' Et dans quel sens d'ailleurs ' Je l'ignore mais, depuis, partout où j'ai pu aller ou en interrogeant des étrangers venus en Algérie, j'ai pu remarquer qu'il était souvent connu sous une forme ou une autre. Eh bien oui, la mondialisation est un phénomène qui a commencé dans la nuit des temps. Il n'a fait que s'accélérer et s'amplifier à notre époque.Ce «mariage du chacal» ou du renard, plus fréquent au printemps pour des raisons évidentes, m'est revenu alors que nous annoncions le colloque international sur la littérature algérienne qui s'ouvre aujourd'hui à l'Université de Tokyo (25-26 mars). Organisé par la Société japonaise de littérature maghrébine en collaboration avec l'Association coréenne de même objet, consacré à Mouloud Feraoun et Assia Djebar, il s'appuie également sur la traduction en japonais du roman de Feraoun, Le fils du pauvre, par Etsuko Aoyagi (lire interview pp. 14 et 15) et sa diffusion en librairies. Cela nous édifie sur l'universalité de nos grands auteurs et la capacité éventuelle de notre littérature à s'internationaliser davantage, au-delà des fiefs éditoriaux de Beyrouth et Paris. Cela nous amène aussi à envisager de nouvelles ouvertures sur le monde.Si le renard japonais se marie comme le chacal algérien, nous pouvons donc être aussi les convives d'un univers culturel allant du Couchant (le Maghreb) à l'Empire du Soleil Levant. A nous de nous y inviter en devenant des pique-assiettes du savoir et de l'art.


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