Ils sont deux à être
aiguisés, ces attributs sensoriels avec lesquels on aborde ce mois dit,
communément, sacré.
Il s'agit des
sens visuel et olfactif. Si le premier est objectivé par la matérialité des
victuailles, il n'est, malheureusement, pas de même pour le second ; incontrôlable,
il capte les effluves à des dizaines de mètres. Le jeûneur, succombera aux
chants des sirènes culinaires. Orientaux ou méditerranéens, les ingrédients se
déclinent sous les vocables de poivre, cumin, safran, carvi, cannelle, anis et
les aromates sous ceux de thym, persil, laurier et coriandre. A
l'enregistrement des données olfactives, l'esprit se formate instantanément
pour élaborer son logiciel de rupture de jeûne. La vue déambulera ensuite,
comme doté d'un faisceau laser, pour complément de festin. Les jeuneurs
invétérés ont, même, leurs pages jaunes où ils peuvent s'informer sur les
places fortes de l'hallucination ramadanesque. On apprend ainsi que c'est à
Hadjout que l'on trouve la meilleure viande caprine ; on évoque à ce titre, la
pauvreté de cette chair en matières cholestérémiantes. Médèa offrirait, de la
viande ovine à moins de 700 Da le kilo. Boufarik, indétrônable sur le marché de
la z'labia de même nom, a perdu son leader ship sur la limonade au jus de
citron, détrôné par Koléa et Bou Ismail. Maintenant, en ce qui concerne le
lapin, l'oie ou même le canard, l'ancien marché couvert d'El Harrach, offre les
« proies » choisies sur pied et ensachées dégoulinantes d'hémoglobine. Certains
tentent, même, le long périple des Hauts plateaux pour la viande de mérinos des
Ouled Djellal. Quant aux adjuvants psychédéliques, Djendel (Ain Defla), serait
le nouveau fief du tabac à priser (chemma) de fabrication artisanale. Même si
les temps sont durs parfois, on se saigne (sans jeu de mots) pour satisfaire à
ses envies incompressibles. La table généralement dressée pour les convives,
sera dressée tout le long de ce mois, pour soi et les siens. On semble prendre
une revanche sur l'ordinaire. Les excentricités sont tolérées et même
encouragées par le propre comportement du chef de famille. La rupture du jeûne,
réussit la prouesse de réunir toute la maisonnée, même ceux d'entre elle qui ne
jeûnent pas encore.
Le Ramadan, rompt
les barrières du cloitre nocturne jusque là érigé en règle de conduite sociale.
Les lampions festifs s'éteindront dès l'annonce, de la fin du jeune. En
opposition au quotidien morose où, l'hibernation culturelle est devenue un
trait de caractère national et les plaisirs de la table en ville du seul
privilège des nantis, le citoyen moyen s'offre un mois de bonne chair, quitte à
s'endetter jusqu'au cou ou mettre les bijoux de famille au clou.
Il lui restera, le régime à féculents, les
Å“ufs et le raib (lait caillé) pour tenir le reste de l'année. Le Salaire
national minimum garanti de 15.000 Da, même multiplié par 4 ou 5, arrive à
peine à couvrir les besoins nutritionnels de base. S'en rend-on compte au
moins, en haut lieu ? Le teint frais et la bouche vermeille de certains
orateurs faisant dans la béatitude, semblent contredire ce candide
questionnement.
Agence postale,
immensément vide au cinquième jour du Ramadan, d'une ville jadis propre, du
Littoral algérois, Une dame très avancée dans l'âge s'approche de l'ancien
fonctionnaire, présentement à la retraite, affairé à compter ses sous pour lui
demander de remplir son chèque délavé.
« Ya oulidi (mon
fils), on ne m'a pas encore versé les 100.000 de la pension…il me reste encore
10.000 (100 DA), je veux les retirer ». Que peut-on encore acquérir avec ce
dérisoire pécule ? En sortant de l'agence, le vieux « cadre » administratif
abasourdi par tant de déchéance matérielle, s'estimait heureux de pouvoir
encore vivre à l'abri du besoin. Ali ben Abi Taleb, compagnon et gendre du
Prophète, ne disait-il pas ? : « La pauvreté est proche de l'apostasie ! ». A
quelques mètres plus loin, un autre spectacle était offert à la cantonade ;
l'antenne communale était le théâtre d'une agitation fébrile et humiliante. On
y distribuait le « couffin du Ramadan ». Le gardien de l'école, « payé » par
l'indemnité pour activité d'intérêt général du dispositif du filet social (*)
dont il est nul besoin d'évoquer le montant, de crainte d'être reconnu par le
voisinage, se couvrait le visage de la main. Honteux de sa condition sociale;
il attendait indolemment son tour, comme beaucoup de mères de familles. La
somptueuse mairie, enguirlandée à profusion et protégée par une belle et haute
barrière en fonte, à un jet de pierre, énigmatique comme un sphinx, semble à
travers ses baies vitrées opaques, regarder au loin. D'ailleurs, cette
collectivité semble aussi absente dans d'autres registres, notamment, urbains.
L'approvisionnement en eau de certains quartiers, se fait depuis plusieurs
jours par citernage. Le ramassage des ordures ménagères confié à la
sous-traitance, est du seul discernement de l'adjudicataire dont le travail
baclé, n'est presque jamais controlé. S'il est vrai que l'on ne peut endiguer
l'insidieux dénuement et éviter la chute à tout le monde, il n'en demeure pas,
cependant, que la dignité humaine n'a pas à être mise à mal par un quelconque
pouvoir bureaucratique. Et, comme un malheur n'arrive jamais seul, l'assommoir
était asséné le soir même par le JT du 20 h. Le ministre national de la
Solidarité, en compagnie du patron du vénérable syndicat, prenait son « f'tour
» au resto du « cÅ“ur » de la cantine de l'Agha. Interrogé par la journaliste,
il disait être « said » par tant de solidarité en ce mois de piété. On pourrait
comprendre, qu'en dehors de cette chronologie, les hères et les démunis,
pourraient se nouer le tube digestif.
Cette séquence
télévisuelle, renvoyait le vieux « cadre » administratif, à un épisode, aussi
lamentable, vécu à la même occasion du Ramadhan. Son supérieur hiérarchique de
l'époque (1975), l'instruisait pour faire inviter à son auguste table, les non
voyants de cette séculaire cité du Sud où la solidarité est l'une des plus
agissantes du pays. Le vÅ“u ou plutôt l'ordre, fut promptement exécuté par le
subalterne qui, pressentant le « piège », prit la décision de rompre le jeune
parmi les siens. Qu'elle ne fût sa surprise au moment du 20 h, en voyant ces
pauvres handicapés filmés à leur insu par une insolente caméra, ramenée d'une
station régionale à quelques 200 kms du site de l'événement. Les malheureux
convives, ne se doutant de rien, bien évidemment, souriaient d'aise pour être
les hôtes de la résidence officielle. Ils remerciaient ainsi, le maitre de
séant pour tant de condescendance. Dans leur académisme journalistique de pure
forme dont nous ont habitués les commentateurs télévisuels, on désigne cela par
: « El Iltifata Attayba ! ».
Ils sont,
malheureusement, nombreux ces slogans qui se nourrissent de déchéance socio
économique de larges franges de population laissées en rade par « El Infitah ».
Un fait divers, publié par un quotidien national, nous apprend comme pour
tourner encore le couteau dans la plaie, qu'un vieil homme de Bouguirat
(Mostaganem), s'est présenté chez un chirurgien dentiste pour lui adapter une
prothèse dentaire léguée par un parent défunt. Le cout d'un nouvel appareil,
est hors de portée des édentés démunis économiquement. On parle, pourtant, de
la couverture sociale du tout venant. Cette disposition même affirmée, est sans
nul doute rendue virtuelle par son pénible parcours bureaucratique. N'a-t-on
pas délivré des prises en charge finalement à de défunts postulants ? Le
rédacteur de l'article qui a trouvé la demande du vieil homme « saugrenue »,
n'a pas manqué de rapporter la posture magnanime du praticien qui a « éconduit
gentiment » le malheureux demandeur. Peut- on déjà éconduire quelqu'un
gentiment ? Sous le sceau de libéralisme aussi sauvage qu'inhumain, cette
féroce désocialisation n'arrête pas de livrer de pleines cohortes sociales, à
des lendemains incertains.
(*)Un ministre de
la République, en disait à l'époque de son institution :
« Cette indemnité
qui n'est pas un salaire, évitera aux couches vulnérables de choir brutalement
sur le béton de la libéralisation économique ». Depuis lors, les mailles du
filet sont bien flasques.
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Posté Le : 19/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com