Algérie

Le public unique



Une 'uvre d'art peut être sublime et ne jamais atteindre l'audience qu'elle mérite. L'inverse est aussi vrai puisqu'une autre, de qualité limitée, voire médiocre, peut connaître un immense succès. L'histoire mondiale de l'art est truffée d'exemples pareils, particulièrement depuis les temps modernes qui ont vu les industries culturelles s'établir et gagner en puissance, jusqu'à s'ériger en véritables dictatures du goût et du sens. Leur marketing, terriblement efficace, relayé par des médias aux impacts exponentiels, décident de ce qui est beau et bon et arrivent à l'imposer avec toutes les apparences d'une évidence. Si bien d'ailleurs que les erreurs de jugement de la critique paraissent, à côté, inoffensives et le plus souvent sans effet.Ce système s'est si développé et enraciné qu'il n'a plus besoin de se masquer. Ainsi, c'est avec un cynisme débonnaire que le mot best-seller a changé de sens, ne désignant plus seulement un record de vente, mais affirmant un niveau d'excellence. Ce qui est le plus vendu, le plus diffusé, le plus regardé ou lu devient le meilleur. Le monde a désappris le réflexe de considérer une 'uvre par elle-même et, de plus en plus, seuls comptent ses performances dans la distribution ou son impact médiatique. La chose est si révoltante qu'on en est presqu'à se réjouir du sous-développement des industries culturelles - pourtant nécessaires ! - dans notre pays, qui permettent encore une assez grande liberté de goût et les joies d'un certain éclectisme. Bref, nous n'en sommes pas encore à ce qu'Emile Fabre décrivait ainsi : « Le public est à ce point l'esclave de l'opinion reçue qu'il lui arrive souvent de croire qu'il s'amuse à un spectacle qui l'ennuie ». Cela dit, nous ne sommes pas immunisés contre certains travers qui prennent en importance.Le premier est que nous commençons à nous soumettre aussi à l'implacable corrélation entre l''uvre et son succès populaire. Il est quasi-naturel que l''uvre recherche le succès mais dans ce couple orageux, le second peut obliger l''uvre à se conformer aux platitudes de « ce qui marche » et, qui, par définition, s'envole rarement. La contrainte de l''uvre est d'abord celle de l'artiste, pris entre deux modèles : celui qui ose, cherche, se renouvelle et prend des risques créatifs et celui qui caresse les goûts dominants dans le sens des poils. Pas de jugement moral ici car, il est si difficile en Algérie de vivre de son art que le « caresseur » l'emporte souvent sur « l'oseur ».Mais quel désastre pour la qualité culturelle !Le second travers est que, de plus, nous employons communément un dangereux singulier : « le » public ! Or, il n'a jamais existé un seul, mais plusieurs publics, différents par les goûts, les attentes, les codes culturels, bien plus qu'il n'y a de catégories socio-professionnelles dans la société. La presse (y compris nous), est la première à se fourvoyer dans cette vision monolithique et irréaliste d'« un » public. Or, dans chaque art, il existe plusieurs publics, et chaque 'uvre est censée trouver le sien. Comme en politique, il faut mettre fin à la vision du public unique.


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