Au 14ème siècle, les villes côtières du Maghreb, devenues plus ou moins autonomes, ne peuvent plus compter sur leur arrière-pays révolté, conséquence de la décomposition des dynasties berbères locales, et se tournent alors vers la piraterie maritime pour survivre. Au 15ème siècle, l'incertitude politique et les guerres inter-dynastiques favorisent l'implantation ibérique au Maghreb et multiplie les bases d'occupation (Ceuta en 1415, Tanger en 1471). En 1492, la Reconquista espagnole met fin à sept siècles de colonisation arabo-musulmane dans la péninsule ibérique. Les juifs et les musulmans ayant refusé la conversion forcée furent expulsés d'Espagne par les rois catholiques. Nourris par un sentiment de revanche sur les conquérants musulmans, la flotte espagnole poursuit les Maures jusqu'en Afrique du Nord et s'empare de plusieurs ports maghrébins : Mers El Kébir et Agadir en 1505, Oran en 1508, Bejaia et le Peñon d'Alger en 1512. Le Maghreb en péril prend alors une décision lourde de conséquences : Alger sollicite la protection de deux aventuriers Grecs, récemment convertis à la religion musulmane, qui pratiquent la course pour leur propre compte : Kheir Eddine et Baba Arrouj (les frères Barberousse). A l'invitation du souverain hafside de Tunis, ils s'établissent à Djerba. En 1514, Aroudj s'empare de Djidjelli et, à l'appel de ses habitants, devient le maître d'Alger en 1516 avant de prendre Tlemcen où il est finalement tué en 1518 par les Espagnoles venus d'Oran. Son frère Kheir Eddine, qui hérite d'une situation difficile, fait appel au Sultan ottoman Selim et lui offre, en échange de son aide, de placer ses "nouvelles possessions" et lui-même sous sa domination. Le Sultan accepte, lui décerne le titre de Pacha, le nomme beylerbey (gouverneur de province) et surtout lui envoie une armée de terre et de mer moderne et disciplinée. Le nouveau maître d'Alger restaure l'ordre religieux et politique et n'hésite pas à noyer dans le sang toutes révoltes indigènes. Il s'empara ensuite de plusieurs ports algériens, dont celui de Bouna en 1522. L'on assiste alors à l'installation d'un embryon d'Etat quasi-indépendant du pouvoir central ottoman, connu sous le nom "d'El Djazaïr" ou "Régence d'Alger". Le Capitan Pacha va dès lors écumer la Méditerranée avec ses galères, pillant les côtes latines et interceptant les pavillons chrétiens.
Il convient de souligner la différence entre le pirate sans fois ni loi, appelé forban en Méditerranée, n'agissant que par intérêt personnel, et le corsaire qui, au Maghreb, n'existe précisément qu'en vertu de la foi pour le compte de l'Etat. La course est, en effet, une des formes militaires de la guerre pratiquée par le Maghreb contre les états chrétiens, ce qui lui confère - en théorie - une dimension religieuse. Elle s'exerce dans un cadre défini par un Etat assez fort pour en dicter les règles, et contrôler leur application. Quoi qu'il en soit, les activités des corsaires, comme celles des pirates, consistaient à faire du butin et surtout des captifs : les femmes sont le plus souvent expédiées dans les harems ; les hommes utilisés comme exclaves domestiques ou rameurs sur les galères, mais sont généralement l'objet d'un rachat à négocier ultérieurement. Bien qu'à cette époque les corsaires maghrébins dominaient la Méditerranée, ils n'étaient pas seuls à s'équiper pour la course. Les corsaires chrétiens, dont la composante la plus célèbre est l'Ordre de Malte, tenaient eux aussi la mer et menaient leurs croisades contre les galères barbarèsques. Des captifs musulmans, dont ceux de Bouna, furent également enchainés et vendus comme esclaves sur les place publiques européennes.
En 1535, l'Empereur Charles Quint envoya une escadre espagnole prendre possession de Bouna. Au bout d'une semaine de pillage et de destructions, la flotte espagnole regagna le large, laissant 600 hommes armés de canons en garnison dans la Qasba afin d'empêcher toutes tentatives de réoccupation de la forteresse par Kheir Eddine. Pour couper tout contact avec l'extérieur, l'empereur ordonna la démolition de la muraille qui joint la ville à la forteresse. Cependant, face au blocus maritime imposé par les Turcs et à l'hostilité de la population, des dizaines de soldats espagnoles, décimés par la faim, succombèrent à même l'enceinte de la citadelle quasi assiégée. Au bout de cinq années d'occupation désastreuse, Charles Quint finit par ordonner, en 1540, l'évacuation de Bouna. Après le départ de la flotte espagnole, les autorités turques fortifièrent la ville et la dotèrent d'un modeste quai surmonté par l'imposant Fort Cigogne. L'un des corsaires légendaires qui juissait d'une grande popularité à Bouna en particulier fut le Raïs Mourad. Et c'est en représailles à l'une de ses attaques que sera montée, en 1607, la terrible expédition Franco-Toscane qui va prendre Bouna et ses habitants aux cris de "Saint Augustin, Victoire, Victoire …". Dès le 17ème siècle, la Régence d'Alger est confiée à un Dey résidant à Alger et qui nommait un Bey à la tête de chacune des trois provinces : l'Oranie, le Titteri (Médéa) et le Constantinois. Quant à l'intérieur du pays, les autorités turques se contentent de prélever les impôts et réprimer les révoltes des tribus arabes et kabyles.
Le brigandage maritime irrite les puissances européennes. De 1622 à 1825, plusieurs expéditions militaires furent dirigées contre la Régence. Durant cette période, Alger subira d'intenses bombardements des armadas anglaises, françaises, danoises, espagnoles, américaines et hollandaises. Le plus spectaculaire et le plus dramatique des bombardements fut celui de la flotte anglo-hollandaise commandée par Lord Exmouth en 1816. Il y eu plusieurs dizaines de victimes algéroises, et un dégât considérable sur le port d'Alger. Ces successions de canonnades sur la ville blanche n'apportèrent guère de résultats convaincants. Alger souffre à chaque bombardement naval mais y gagne une réputation d'invincibilité, d'où son surnom : "El Djazaïr El Mahroussa" (Alger la bien gardée). Plus que jamais les turcs sont toujours là. Aussitôt les navires chrétiens disparus à l'horizon, les corsaires construisent de nouveaux chebecs et repartent sillonner les mers. Ainsi une minorité de Turque régnait en despote pendant trois siècles sur le Maghreb central et oriental et firent d'El Djazaïr, entre autres, le plus redoutable port de course. En ce début du 18ème siècle, qui inaugure la machine à vapeur et "le siècle des lumières" en Europe, le Maghreb, de plus en plus redoutée, infréquentable, exposé aux expéditions punitives des pays latins, sera isolé de l'Orient musulman et de l'Occident chrétien. Néanmoins, durant ces trois siècles, qui correspondent à l'âge d'or de la course barbaresque, l'idée dominante a longtemps été celle d'un affrontement quasi permanent avec la chrétienté. En effet, si les rapports avec les Etats européens étaient toujours conflictuels, ils se doublaient de relations commerciales régulières. Dès 1535, le roi de France, François I, ose l'alliance avec le Sultan turc Soleiman I pour combattre la flotte espagnole de Charles Quint, leur ennemie commun. Moyennant une très forte redevance annuelle, Soleiman I octroi à François I des privilèges sur la côte algérienne, en particulier le droit d'y faire des comptoirs pour le commerce et la pêche, désignés plus tard sous le nom de "Concessions d'Afrique". Ces comptoirs commerciaux, dont le plus important était la Compagnie du Corail du Bastion de France (Vieille Calle), suscitèrent cependant des querelles interminables et furent souvent la cause ou le prétexte des hostilités entre la France et la Régence jusqu'à la prise d'Alger en 1830.
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Posté Le : 20/06/2009
Posté par : nassima-v
Source : annaba.net.free.fr